Multiâge : des recherches plus que contestables
"Il apparaît donc que la fréquentation d'un cours multiple, en CE1 comme en CM1, n'est jamais efficace au plan pédagogique, elle est même néfaste quand les élèves sont placés d'office dans ce type de classe parce qu'il n'y a pas d'autre choix pour eux".
C’est la conclusion des travaux de deux chercheurs de l’IREDU (Institut de Recherche sur l’Éducation, Sociologie et Economie de l’Éducation) à propos de ce qu’ils ont appelé classes multiâge mais qui n’ont que deux niveaux et que même le café pédagogique présente comme « un pavé dans la mare ».
Quelle mare ? La mare qu’aurait contribué à créer elle-même une des deux chercheurs, Christine LEROY-AUDOIN il y a 10 ans : « Les risques de redoubler la 6e sont, pour des élèves de mêmes caractéristiques socio-démographiques, de 23% pour ceux qui ont été scolarisés en cours simples en primaire alors qu’ils ne sont que de 12,9% et 11,3% pour les élèves issus respectivement de cours multiples ou de classe unique.» (Christine Leroy-Audoin et Alain Mingat - "Les groupements d’élèves dans l’école primaire rurale en France :efficacité pédagogique et intégration des élèves au collège" 1996).
Oui, dans les années 90, suite à la résistance gauloise de quelques villages qui ne voulaient pas perdre leur classe unique, de nombreux travaux ont été alors commandités par le ministère lui-même, pensant clore le bec aux irréductibles. Et, que ce soit à la DEP (Direction de l’Évaluation et de la Prospective) avec en particulier les travaux de Françoise OEUVRARD ou à l’IREDU avec les travaux d’Alain MINGAT, Cédric OGIER et… Christine LEROY-AUDOIN, ou à l’Inspection Générale avec le rapport FERRIER, tous ces travaux convergeaient à la surprise générale : les résultats étaient meilleurs dans les classes uniques ou à cours multiples (plus il y a de cours, meilleurs sont les résultats, dixit FERRIER). Ce qui a d’ailleurs provoqué le moratoire décidé par BAYROU, interrompu par Ségolène ROYAL. Résultats surprenants, incompréhensibles dans la logique et la conceptualisation de l’éducation sur laquelle est fondé tout le système éducatif. Dans le même temps, des travaux semblables à l’étranger donnaient des résultats identiques.
Mais, la référence était d’abord la classe unique (6 cours !), puis les classes rurales à 3 cours (souvent correspondant aux deux derniers cycles) des écoles à 2 classes qui devaient être visées par la suite de l'éradication. Il n’a jamais été question, dans ces travaux, des classes urbaine à deux cours. Pire, dans l’étude comparative faite par Françoise OEUVRARD, les RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux éclatés) se retrouvaient en dernière position alors qu’ils avaient soi-disant été créés pour améliorer les résultats en réduisant le nombre de cours à … deux ! Une partie des classes à deux niveaux se trouve donc dans ces RPI dont on sait depuis près de 20 ans qu’ils n’obtiennent pas les résultats attendus.
Quant à l’évaluation qui était faite sur les « résultats », elle portait sur les enfants entrant en 6ème. Parce que si personne n’a vraiment cherché à comprendre les raisons de ces résultats embarrassants (en dehors de votre serviteur et de ses amis des CREPSC), tout le monde s’accorde au moins pour reconnaître à ce type de classe de permettre à chaque enfant d’évoluer à son rythme pendant 6 ans pour les classes uniques, au moins 3 ans pour les autres. L’évaluation n’a donc pas de sens à des stades intermédiaires, évaluations sur lesquelles se sont basés nos deux chercheurs : CM1 pour des classes de CM1/CM2 et CE1 pour des classes CE1/CE2 ce qui est pour le moins difficile de justifier "scientifiquement". On admet que sur deux ans les rythmes peuvent être différents... et on vérifie dès la première année si tous les enfants sont au même niveau !
Un des phénomènes provoqué par la classe unique, et les classes à au moins 3 cours, c’est l’impossibilité d’utiliser les mêmes pratiques que celles à peu près généralisées dans le mono-cours de la chaîne tayloriste éducative. Nous ne pouvons aller jusqu’à dire que toutes les classes uniques étaient en pédagogie Freinet, voire au-delà, mais la quasi totalité sortait des pratiques stéréotypées. C’est ce qui ressort de près de 20 ans de contacts et d’échanges avec ces classes. C’est également ce qui ressort de tous les reportages des médias qu’on ne peut pas taxer de complaisance envers l’horreur du jour, le pédagogisme ! Je ne connais que deux exceptions : celle bien connue de « être et avoir » et une autre en Auvergne.
Mais ce n’est pas le cas des classes à deux cours, complaisamment étudiées par LEROY-ARDOIN et Bruno SUCHAUD ! Souvent classes urbaines et surtout de RPI en milieu rural. En ce qui concerne les RPI, il y a de multiples raisons à cette faiblesse, qui ne tiennent pas au nombre de cours mais surtout à l’absence de continuité et au morcellement de l’unité pédagogique et de vie. Mais les informations sur cette faiblesse avaient été à l’époque censurées par le ministère : il aurait été mal venu de faire état de ces résultats alors que l’on n’arrêtait pas de chanter dans les académies les bienfaits des regroupements afin de convaincre parents et maires… et à les engager à payer. A l’inverse, dans ces classes on peut encore être tayloriste ! Et en dehors de quelques freinètistes, l’immense majorité des enseignants y a les mêmes pratiques que dans une classe mono-cours… partagée en deux !
Alors nos deux chercheurs ont simplement prouvé que dans un moteur à essence, il vaut mieux mettre de l’essence et dans un moteur diesel du gasoil ! Les classes à deux niveaux qu’ils ont étudiées ne sont pas les classes multiages dont il était question dans les études précédentes. Et même en ce qui concerne les classes à deux cours, dire que les choix opérés par les enseignants apparaissent donc efficaces puisqu'ils permettent de neutraliser les effets négatifs des classes à plusieurs cours relève de l’escroquerie interprétative, même s’ils avaient indiqué « classes à deux cours ». Ce d’autant qu’ils ne sont pas allés voir en aval s’il n’y avait pas eu des effets positifs.
Il est intrigant que le ministère commandite une telle étude… alors qu’il ne la jamais fait pour les classes de cycle 2 ou 3 (3 cours) qui existent quand même et qui sont conformes à sa propre réforme.
Que l’on veuille torpiller, avec l’approbation générale, une réforme qui n’a jamais eu lieu (comme la plupart) on ne s’y prendrait pas mieux. Ce qui est plus ennuyeux, c’est que des « chercheurs » truquent ainsi les dés en faisant croire à un échec… qu’ils n’ont ni étudié, ni constaté.