Je ne peux pas aller faire pipi pendant la classe : les wc sont fermés après la récré : mon garçon, 6 ans et demi.

Un soir il est rentré, le pantalon mouillé. Bien sûr il n'a pas osé demander. Ce d'autant que, ce jour, il devait avoir, par ailleurs, une histoire avec la maîtresse ou l'ATSM. Prendre des risques supplémentaires pour troubler encore l'ordre public eut alors été probablement superflu ! Bien sûr la maîtresse n'interdit pas d'aller faire pipi. "Il n'avait qu'à demander". Il y a bien pire que cette maîtresse là qui, en dehors des sacro-saints apprentissages dits "fondamentaux" qui nécessitent des tables alignées, des manuels et l'ordre strict, crée des espaces ouverts intéressants. Ce qui est d'autant plus significatif de l'incroyable habitus dans lequel la quasi totalité du monde enseignant est enfermé... et une grande partie du monde des parents, quoique, de leur côté, une révolte commence à poindre.

Dans la quasi totalité des écoles, le besoin de faire pipi pendant la classe n'est pas très bien vu, surtout s'il y a récidive, et crée l’opprobre. Dans de très nombreuses classes il est soit interdit, soit assorti d'une sanction (pour éviter quand même d'avoir à répondre du dégât dans les culottes).

« Bof ! Tu ne vas pas faire une histoire pour un pipi ! ». C'est la réaction fréquente quand on ose évoquer ce sujet. Et c'est bien ce qui est le plus dramatique.

Si une certaine prudence commence à être de mise du côté des enseignants et de leur administration, c'est parce que quelques médecins ont quand même dénoncé les risques de cystites que cela pouvait occasionner aux fillettes. Dans les maternelles également, les enseignants finissent par apprendre que la maîtrise de la mixtion n’était possible qu’à partir d’un certain âge (5-6 ans… voir plus suivant les enfants).

Ce qui devrait paraître intolérable à tout le monde et en particulier à tous ceux qui se targuent d’être des éducateurs, c’est que la satisfaction d’un besoin naturel puisse être soumise à demande d’autorisation, éventuellement donc être refusée, pire, soumise à sanction. Comment ensuite s’étonner que des jeunes qui, depuis l’âge de deux ans pour beaucoup, ont dû toute leur vie être soumis à l’autorité pour uriner (c’est bien l’autorité qui leur indique qu’ils ont un unique créneau pour ce faire), voire être en but à des sanctions parce que leur vessie ne se conformait pas aux plannings de l’institution, se conduire ensuite autrement que comme des moutons ou des révoltés ?

Le contrôle du pipi par l’institution qu’il ne faut surtout pas prendre comme une vision caricaturale, est aussi représentatif de la réelle violence de cette institution.

Parce que, qu’est-ce qu’il y a d’ennuyeux d’avoir une vessie pleine… au mauvais moment ?

1/ Trouble de l’ordre public. C’est évident. Dans une école qui est toujours conçue comme un ensemble d’enfants écoutant ou exécutant simultanément les consignes d’un maître[1] tout puissant, si l’on tolère qu’il y en ait qui échappent quelques minutes à son pouvoir, tout le système risque de s’écrouler. Il s’agit bien d’un trouble à l’ordre public… tel l’ordre qui condamne toute attitude non conforme parce qu’elle remet de facto en cause le système établi.

2/ Remise en cause du « maître ». Comment ? Il ose me demander de s’absenter alors que je dispense le savoir ?. C’est intolérable, comme un crime de lèse majesté qui doit être puni.

3/ Peut-être que le besoin d’uriner n’est pas réel, peut-être que ce n’est qu’un prétexte ? La nécessaire mise en doute de l’affirmation qu’une vessie est pleine : Et si ce n’était que parce qu’il s’ennuie ? Parce qu’il ne comprend rien ? Parce que mon cours est inutile, inintéressant ? Le soupçon qu’il ne s’agit que d’échapper un court moment à la classe.

On voit bien que cette histoire de pipi est loin d’être anodine, qu’il y a derrière un système entier qui y révèle en quelque sorte son vrai visage.

Et si encore ce système s’avérait efficace pour que s’effectuent les apprentissages des langages qui feront de notre enfant ou adolescent un homme libre, comme nous le répètent ou osent nous le répéter tous nos hommes politiques. Mais non, même pas, c’est même l’inverse qui se produit ! De là à penser que, ouvertement, les systèmes éducatifs ont bien comme rôle de « produire » les « esclaves » dont nos sociétés ont de plus en plus besoin, il n’y a qu’un pas qu’il vaudrait mieux franchir avant qu’il ne soit trop tard.

Evidemment, cette histoire de pipi est toujours prise comme un « détail », tout comme le poids des cartables, l’emprise de l’école à la maison par les devoirs, l’interdiction de circuler dans la classe ou dans l’école, l’entrée en rang, les sirènes qui ponctuent les entrées, les sorties, le changement de prof, l’interdiction aux parents de pénétrer dans les locaux scolaires hors autorisation ou l’interdiction de parler pédagogie dans les conseils d’écoles, etc. Et c’est bien ce qui est le plus dramatique… ces « détails ».

 



[1] Avez-vous remarqué cet horrible mot employé couramment par tous, enfants, parents, enseignants ? « maître » ! On pourrait l’entendre dans le sens des orientaux : le rôle du « maître » étant de se faire dépasser par ses « élèves » dans ce qu’il est. Malheureusement, ce n’est pas ce sens là mais plutôt le sens de celui qui a un pouvoir, qui est LE maître comme l’était celui qui avait des esclaves.