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Le blog de Bernard Collot
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22 juin 2007

Concurrence pédagogique : qu’est-ce qui fait peur à tout le monde ?

La carte scolaire n’a pas fini de faire couler de l’encre et pondre des décrets, des circulaires, calculer des quotas…

Il est évident que ce qui est engagé par le nouveau ministre ne change rien quant à la conception de la répartition uniquement territoriale des moyens scolaires. Les dérogations permettant seulement à quelques-uns d’échapper à un milieu, à un environnement considérés comme défavorables. Comme si la qualité d’un établissement dépendait du public qu’il reçoit. Comme si la qualité d’un jardin dépendait uniquement des graines que l’on y sèmerait et non des façons culturales et des amendements apportés au sol. Pour faire archaïque, difficile de faire mieux !

Ainsi que je l’ai déjà maintes fois répété, le seul choix rationnel possible n’est pas celui du territoire mais celui de la pédagogie ou de l’approche éducative privilégiée. Au contraire, il a été démontré, en milieu rural par exemple, à quel point la proximité était un facteur favorisant[1]. Ce n’est pas le choix du territoire (cas actuel) qui est à défendre mais le choix de ce qui peut se faire de différent sur le même territoire.

Il est curieux de constater à quel point cette idée de permettre aux parents (et au moins aux ados) de choisir un type de pédagogie si celle-ci est clairement affichée donne des boutons à la totalité des partenaires du système éducatif. Comme il est curieux de constater que chaque projet d’établissement encore appelé « expérimental » se heurte à d’énormes difficultés chaque fois qu’il n’émane pas de l’institution elle-même.

Il encore curieux de constater que l’on continue d’ignorer et d’occulter toutes les expériences d’approches différentes qui se sont déroulées depuis près d’un siècle et qui ont donné toute satisfaction et continuent d’en donner même si elles s’effectuent avec des publics dits difficiles.

Il est vrai que ces approches différentes qui permettent d’aboutir à une amélioration des résultats « scolaires » sont toutes basées sur une autre conception des activités favorisées, des projets individuels ou collectifs permis et de l’auto-organisation qu’ils nécessitent, de l’implication très forte des enfants dans cette auto-organisation, de la très haute valeur accordée à l’expression, la création, la communication, etc. Autrement dit, ces approches différentes sont, dans les principes qui les sous-tendent, complètement opposées à l’approche classique actuellement généralisée. C’est bien au-delà des pratiques dénoncées ces derniers temps par les lobbys et chantres libéraux, simples variantes dans la même logique classique.

On peut donc dire que ces approches sont… subversives. Si on ne peut faire autrement que constater qu’elles sont efficaces en termes d’apprentissages, on ne peut faire autrement que de constater qu’elles favorisent la construction de citoyens actifs. C’est d’ailleurs probablement pour cela que l’État, de gauche ou de droite, s’est toujours bien gardé d’évaluer officiellement les résultats des dits établissements. Ce qui est tout aussi surprenant pour un État de gauche (qui devrait être attentif à la construction des citoyens) que pour un État de droite (qui n’arrête pas de proclamer que pour lui seuls les résultats comptent).

Donner le choix, sur le même territoire, entre deux approches qui ne cessent de faire l’objet de polémiques, ne semblerait que du bon sens et relever de l’efficacité de l’entreprise (seul la mise en œuvre permettant de vérifier la validité des concepts et théories).

Que l’État se refuse à admettre qu’il existe deux approches contradictoires de l’acte éducatif se comprend : si la seconde, celle qui fait l’objet de dénigrement depuis plus d’un siècle, venait à démontrer son efficience et sa supériorité quant aux apprentissages, cela impliquerait la transformation radicale de tout le système éducatif. Une sacrée « rupture » qui ne serait plus alors un simple slogan. La première vraie révolution depuis 1789 !

Que les parents soient massivement réticents, cela se comprend aussi : « vous avez peut-être raison, on sent que vous avez même raison, mais comme il y a un risque, on aimerait autant que vous fassiez comme tout le monde : même si c’est moins bien, au moins tout le monde est logé à la même enseigne », c’est ce que me disaient certains parents lorsque l’on a commencé à vivre autre chose dans ma classe unique. Et il a fallu un certain temps, la vérification des faits, pour que, peu à peu, l’approche différente soit acceptée de façon tranquille. Avoir un choix à faire est bigrement embarrassant puisqu’il faut l’assumer. Donc prendre une partie de la responsabilité.

Que les parents privilégiés soient même franchement contre, cela se comprend : dans un système bancal et inefficient, ils sont à peu près certains qu’ils pourront permettre à leurs enfants de tirer leur épingle du jeu, et du coup d’être à leur tour privilégiés dans une monde de la compétition impitoyable. Les exceptions mises en exergue jusque dans des fonctions gouvernementales ne sont là que pour créer les rideaux de fumée nécessaires et justifier l’injustifiable.

Que les enseignants soient particulièrement réticents à toute possibilité de choix, cela se comprend : cela leur évite d’avoir à rendre compte de leurs propres choix qu’ils revendiquent par ailleurs. Et il faut reconnaître qu’alors ce serait un sacré bouleversement parce qu’alors il faudrait déterminer devant qui, dans quelles instances, suivant quels critères ils devraient rendre compte. Et cela supposerait alors l’intervention des intéressés dans l’élaboration de ce qui pourrait être proposé comme choix et qu’ils seraient les premiers à subir.

Que les enseignants qui pourtant revendiquent la possibilité de « faire autrement » soient aussi réticents est plus surprenant. Ils réclament par contre la possibilité de participer à des établissements « expérimentaux ». De ce fait ils suscitent la méfiance de la corporation quant aux moyens différents, aux conditions particulières, au public plus ou moins sélectionné dont ils pourraient bénéficier ; même si ce n’est jamais le cas et si, au contraire, ces établissements, quand ils sont créés, récupèrent plutôt les publics en difficulté. Mais c’est vrai qu’en se situant hors de la normalité (expérimentation)… ils y restent, comme par exemple les lycées autogérés de Paris ou St-Nazaire.

Et l’on en reste perpétuellement à un système archaïque, même lorsque les enquêtes européennes démontrent que justement ce sont les systèmes éducatifs qui sortent de la norme tayloriste qui obtiennent les meilleurs résultats pendant que les autres s’enfoncent inexorablement, malgré toutes leurs réformes… qui ne changent surtout pas le système.

Ce qui est encore plus étonnant, c’est que permettre le choix entre deux approches radicalement différentes aurait dû être prôné autant par un gouvernement « de gauche » que par un gouvernement « de droite » : les premiers au nom de la participation et de la responsabilisation citoyenne, de l’humanisme, de l’émancipation des individus les seconds au nom de la concurrence, de l’efficacité, de la culture du résultat, de la diminution de l’omnipotence de l’Etat

Est-ce que l'on pourrait suggérer que ce refus constant de permettre un vrai choix éducatif dénote une société stéréotypée, figée dans un fatalisme suicidaire, plus capable de maîtriser son propre destin, et ceci dans toutes ces strates ?



[1] J’ai créé en 1993 avec des éducateurs portugais et espagnols l’Association Européenne de Défense d’une Éducation de Proximité (siège à Setubal).

 

Commentaires
B
Tu as tout à fait raison Georges. Rien ne surgit du néant. Les noms que tu cites ont la particularité de ne pas être que des penseurs (des intellos !)mais tous des praticiens qui ont eux-mêmes mis en oeuvre ce qu'ils pensaient et souvent pensé après avoir mis en oeuvre. Et tout ce que l'on met en oeuvre aujourd'hui est le prolongement, s'assoit sur cette immense intelligence collective.<br /> Ce que j'ai pour ma part pu faire et écrire, dépend non seulement de cette culture, de mes propres pratiques, tâtonnements et des constats que j'ai pu en tirer, mais aussi d'innombrables échanges pendant plus de 50 ans avec des centaines de collègues s'attelant à une remise en question de leurs pratiques, sans idées préconçues. Et je continue à participer quotidiennement à ces échanges dans le labo des CREPSC.<br /> Pour développer tous "ces prolongements" ou expériences convergentes (et vérifiables), d'une part je manque de temps (je me suis attelé à un ouvrage qui traîne depuis trop longtemps), d'autre part beaucoup les développent, dont toi-même je crois.<br /> Je rajouterais une autre source, très importante pour moi, c'est tout l'apport de la systémique, des sciences de la complexité, de la cognition, de la biologie... Il n'y a pas, actuellelment, une seule avancée scientifique qui n'aille pas dans le sens de ce que développent et de ce sur quoi s'appuient, parfois sans le savoir, les pédagogies nouvelles (bien anciennes pour beaucoup). C'est un nouveau paradigme éducatif et autre (paradis ?!) qui s'ouvre devant nous. Mais on sait que les changements de paradigmes ne sont pas faciles et se heurtent à des résistances.
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G
Peut-on donner une suite constructive à cette réflexion en fournissant davantage de références comme par exemple les lycées autogérés de Paris et de St Nazaire. De ce fait on peut poursuivre ce travail soi-même (je pense que c'est le but de ce blog) en vérifiant les informations et en les prolongeant. Dans le cas contraire il est trop facile de dire que ne sont que des idées qu'on peut opposer à d'autres idées elles-mêmes non vérifiées. Assez rapidement je pense à l'école de la Neuville (le rôle du désir dans l'éducation mais aussi à Pestalozzi, à Yverdon, Freinet, au Pioulier, Neill, à Summerhill, Makarenko, à Gorki et Djerzinski. Ce serait bien de développer un peu tous ces prolongements pour justement ne pas apparaître comme "prophète isolé"
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