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Le blog de Bernard Collot
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6 septembre 2007

L'autorité : ses dessous

Voici le message que je reçus un jour d’un ami qui avait quitté sa classe unique perdue dans les montagnes des Pyrénées et qui venait de faire son premier jour de rentrée… en ville :

"Les enfants étaient là, devant moi, silencieux. Ils avaient attendu que je leur dise de s’asseoir. Ils me regardaient. Ils attendaient des instructions pour leur moindre geste. J’étais ahuri, désarçonné, ne sachant plus que faire. J’avais des zombies devant moi. J’ai été effrayé à la fois par l’état dans lequel on les avait mis et par l’ampleur de la tâche que j’allais avoir pour les rendre à nouveau… normaux"

N’importe quel autre enseignant eut été au contraire ravi. C’est d’ailleurs les images de rentrée que l’on voit en première page des journaux avec le maire et l’inspecteur d’académie ou sur les écrans avec un président frétillant et ses éminences tristes. Devant des alignements bien ordonnés et bien sages. On sent même que l’on se retient de ne pas sous-titrer "Pourvu que cela dure !"

Ce à quoi tout le monde aspire, c'est à la docilité. Après tout, si l'on reste aux croyances généralisées sur ce qu'est l'école, ce que sont les apprentissages, ce que sont les pratiques utilisées et prônées, cette docilité est quasiment indispensable. L'autorité doit donc essentiellement aboutir à la docilité, cette dernière permettant alors le déversement collectif, l'exécution collective de consignes que l'on pense hautement productives.

L'essentiel de ce qu'on appelle règles a cet objectif d'instaurer la docilité nécessaire : rentrer en rang, ne pas s'asseoir tant qu'on n'en a pas reçu l'ordre, ne pas parler en classe, tirer un trait à trois carreaux précis de la marge, ne pas aller aux toilettes etc. Il est évident que lorsque la sonnerie retentit, c'est une cocotte minute qui explose dans la cour. Et les règles sont alors celles de la loi de la jungle. D'où alors l'édiction de nouvelles règles qui ne sont que des interdictions du genre "on ne frappe pas un camarade, on ne joue pas au ballon, on ne fait pas…". Ces dites règles nécessitant évidemment surveillance (personne n'est choqué par le rôle officiel attribué aux enseignants de service : surveillance de la récré !) et le pendant étant alors le cortège de sanctions pour tenter d'imposer… l'autorité. On ne se pose jamais la question des causes institutionnelles de l'agressivité, de l'incivilité.

Cette autorité incantée, réclamée qui ne peut qu'aboutir à la docilité si elle est effective, elle est aussi nécessaire pour contraindre tous ceux qui n'arrivent pas à trouver un intérêt, un attrait, une raison aux heures à passer passif à exécuter, les contraindre à les subir quand même docilement.

Vous avez bien raison Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les bien penseurs : il faut rétablir cette autorité par la coercition sinon votre système éducatif ne pourra pas fonctionner. Peu importe qu'il soit efficient, pourvu qu'il puisse fonctionner tel quel.

Cette autorité doit aussi restaurer le respect. Je n'ai jamais tant entendu ce mot, soit dans la bouche des bandes des cités que dans celle de nos dirigeants. Vous avez au moins un point commun. Le respect qu'un homme de troupe doit à ses gradés, le salut réglementaire sous peine du gnouf. Mais là au moins on sait que ce n'est pas éducatif et que sans cette parodie, aucun poilu ne serait sorti des tranchées pour aller se faire massacrer. Il les fallait dociles au point de n'être, eux aussi, plus que des zombies. Et puis il y a aussi le respect qui n'est que celui de la servilité : respecter les clients pour qu'ils achètent, le chef de bureau pour avoir de l'avancement, etc. Et c'est malheureusement ces deux perversions du respect que l'on attend des enfants puisque ce sont elles qui vont permettre d'obtenir cette docilité proche de la servilité dont le système a absolument besoin.

Ce n'est pas le retour à l'autorité qui est réclamé, c'est placer l'école totalement sous l'égide de la force. Sans se rendre compte d'ailleurs que cela, enfants et ados l'intègrent : ils réagissent à leur tour à la force… par la force. Celle du chahut en classe, celle de l'agressivité dans la cour ou en dehors de l'école. La parole, sensée être la source de la civilisation puisqu'elle seule peut créer les liens qui font les communautés, ils ne l'ont pas. Tout alors ne peut se résoudre que par des conflits. Et les détenteurs officiels de l'autorité n'ont plus que la surenchère à leur disposition, souvent pour calmer leurs peurs des autres. C'est à cette surenchère qu'appellent notre président, notre ministre.

Même si on obtenait une cohorte de moutons assis sur les bancs, tout le monde sait qu'un mouton n'apprend rien d'autre que ce qu'il sait déjà faire, brouter.

Je reviendrai dans le billet suivant sur le comment et le pourquoi, dans certaines écoles, on se respecte, on vit harmonieusement ensemble, on aime y venir et on apprend.

Commentaires
P
Mes filles ne sont pas dociles, on me reproche parfois leur désobéissance. A la lecture de ce billet, je me rends compte que cette indocilité qui me pèse parfois (oui desfois ç'est un poil usant...) est juste due à la curiosité de tout qu'elles ont en elles et qu'on essaye de préserver avec leur papa. Nous vivons dans une petite ville et jusqu'à présent, cette part de leur enfance est préservée, le droit à l'indocilité à la soif de connaissance, même à contre sens de ce qui ce passe dans le groupe. Mais autour de moi et dans mes souvenirs d'enfant, j'ai bien des enseignants cassants, normalisants, poussant du bâton les moutons.<br /> J'attends le billet sur le vivre ensemble pour mettre un peu de couleur dans ce gris et ce noir...<br /> Princesse Petit Pois
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