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Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
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20 décembre 2007

Evaluation, encore !

,Une nouvelle couche est remise par notre ministre sur l’évaluation. En apparence, il n’y a pas grand chose de neuf à part le décalage de 3 mois d’une évaluation qui passe du début de la 6ème à la fin du CM2.

Sauf deux points considérables :

- Cette fois ladite évaluation devient bien une sorte d’examen de passage qui ne porte pas son nom.

L’histoire de l’évaluation à l’école résume bien les logiques successives et les problèmes qu’on a tenté de résoudre depuis qu’a été instaurée l’institution école (1). Que l’on soit passé de la notation sur 20 qui ne faisait que hiérarchiser les élèves à des évaluations plus complexes qui tentaient d’être indicatives à la fois pour l’apprenant (l’élève) ou l’appreneur (le prof), ce qui était une des plus récentes tentatives (réforme de 1989). Que ce soit dans la conception d’un outil national, que ce soit du côté des enseignants dans l’utilisation de cet outil ou dans la conception d’outils évaluatifs plus personnels, que ce soit dans la lisibilité de la communication des résultats aussi bien aux élèves qu’aux familles, on n’est jamais arrivé à quelque chose de satisfaisant. Alors que les intentions étaient louables.

Essentiellement d’une part parce qu’il est impossible de définir une progression linéaire et identique pour tous (évaluation collective et de masse) que l’on pourrait évaluer, d’autre part parce que l’on ne peut évaluer que des performances qui n’indiquent ni si les compétences requises sont réellement absentes, ni pourquoi elles sont absentes ou non mobilisées (Einstein était un élève médiocre !), ni si les performances évaluées ne seront pas réalisées le lendemain ou dans un autre contexte.

L’évaluation est donc un vrai problème et un vrai casse-tête, surtout lorsque l’on veut en faire un outil universel.

Dans les faits, l’évaluation revient à n’être qu’un document administratif dont il faut remplir les cases mais qui, à partir de maintenant, devient le passeport pour passer à l’étage supérieur. Elle redevient ouvertement un outil de tri, ce qu’elle était à l’origine. Le problème de ce que l’on fait de ce qui est trié n’étant par contre pas résolu et en contradiction avec les déclarations qui veulent moins de redoublement… pour ressembler aux autres pays qui réussissent mieux leur système scolaire.

- Le changement encore plus considérable, c’est que les résultats globaux chiffrés et par établissements de ces évaluations seront communiquées aux familles dans l’objectif avoué que des comparaisons puissent s’effectuer. Et qu’elles puissent servir d’élément quant au choix de l’établissement puisque, en même temps et d’une façon politiquement parfaitement cohérente, la carte scolaire est supprimée (2)

Pour une fois, je suis tout à fait d’accord avec les syndicats qui s’élèvent vivement contre cette mesure. Pour trois raisons essentielles :

Lorsqu’un établissement et son personnel sont jugés sur des chiffres, encore plus quand de ces mêmes chiffres vont dépendre des primes au mérite (annonce simultanée du ministère de la fonction publique, politiquement parfaitement cohérentes avec les mesures du ministère de l’EN), il est humainement logique que les personnels cherchent « à faire du chiffre ». C’est ce que l’on constate par exemple en ce qui concerne les services de police, ce qui est d’ailleurs admis par les policiers eux-mêmes, la course au chiffre sans que l’on constate une amélioration quelconque de la sécurité.

Cela n’est pas nouveau : il n’était un secret pour personne parmi les vieux instits, qu’à l’époque du certificat d’études, la notoriété (donc la tranquillité) d’un instituteur rural dépendait du rapport réussites et échecs à ce fameux certif. Que pour ce faire, quelques-uns étaient amenés à ne pas présenter tout le monde (ce qui n’avait pas de conséquences sociales trop grandes puisqu’il y avait la ferme, l’apprentissage, les maisons familiales pour les recueillir) et à pratiquer un bachotage intensif.

Il n’est pas plus un secret que des établissements secondaires réputés ne le sont que par la sélection ouverte ou insidieuse ou sociale des élèves qui y entrent.

Inconsciemment ou non, l’objectif devient la réussite à l’évaluation qui est alors une sorte d’examen. On sait très bien que cet objectif ne conduit, pour une partie des élèves, qu’à une éventuelle connaissance éphémère qui disparaît au lendemain de l’examen.

Comme pour les policiers, on incite à réussir l’apparence. Les résultats chiffrés ne reflètent pas une réalité.

La seconde raison c’est qu’on sait bien qu’en évaluant à la fin du CP un ensemble d’enfants, quoi que fassent les enseignants, les résultats chiffrés d’une classe recevant une majorité d’émigrés ne pourront être les mêmes que ceux d’une classe recevant les enfants d’un milieu où l’on n’a pas à apprendre le français. Vouloir comparer des chiffres quand les contextes sont totalement différents d’un milieu à l’autre, d’une année à l’autre, est insensé. Si l’on pouvait accorder une valeur et une utilité à ces chiffres, cela ne pourrait être qu’en comparant un ensemble d’enfants à lui-même, c’est à dire à son évolution d’une année à l’autre.

La troisième raison, c’est que ces résultats chiffrés n’ont aucune signification éducative. Il y a bien d’autres éléments qui doivent entrer en ligne de compte si l’on veut faire un choix. Eléments absolument inchiffrables. Eléments dépendant aussi de ce que chacun attend de l’école pour son enfant.

Mettre le nez de toute une population sur des chiffres à qui on fait semblant d’accorder une valeur incontestable, c’est occulter la façon dont ils sont obtenus. C’est occulter les conséquences multiples des pratiques. C’est occulter que ces pratiques ne sont pas neutres. C’est transformer l’école en une fabrique d’objets conformes, ce qu’elle est déjà mais au moins involontairement de la part de ceux qui y enseignent.

Il est évident que ces mesures (évaluation, comparaison, prime de mérite, suppression de la carte scolaire) ne peuvent qu’aboutir à la ghettoïsation sociale totale, sans pour autant améliorer et faire évoluer d’un poil l’école. On ne peut que juste reconnaître que c’est conforme à une politique qui se développe dans tous les domaines. Si ce n’était le fait que ce sont des enfants, nos enfants, qui font l’objet de ces manipulations institutionnelles, on pourrait se dire qu’après tout, autant laisser aller au fond cette logique pour qu’enfin on ne s’aveugle plus. Malheureusement, plus une cécité s’accentue, plus elle devient inguérissable.

On a de la chance de vivre dans un monde civilisé.

(1)   Voir éventuellement première partie d’un travail réalisé en collaboration avec Jean-Louis Chancerel, conseiller scientifique auprès du ministère de l’Education à Lausanne. ici

(2)   J’ai critiqué ouvertement et publiquement la conception de la carte scolaire. Mais pour permettre un choix entre des pédagogies et des philosophies éducatives différentes, à condition qu’elles puissent être offertes sur un même secteur. Et tout en soulignant la nécessité de l’éducation de proximité (je suis cofondateur de l’association européenne de défense de l’éducation de proximité !)

Commentaires
P
Que dire ? trois semaines sans venir et voici que je découvre qu'on veut nous mettre des programmes évalués en maternelle....J'en reste sans voix...mon Deuz de 4 ans fin décembre, un peu "à la ramasse" sur certains apprentissages (normal aussi, avec 6 mois de moins que la plupart des copains...)que deviendrait-il ??? Aujourd'hui son instit nous dit "pas de souci, ça viendra en son temps" mais demain ???<br /> et mon Prems, si vif, mais si joueur, si fatigable, aurait-il été respecté si des "éval" avaient montré une certaine "avance" ??<br /> <br /> ça fait froid dans le dos, et pourtant...<br /> une amie vient de déménager de l'ouest à l'est. Pas le choix de l'école, carte scolaire oblige, et pas de privé ou presque, donc pas d'alternative.<br /> Son 4 ans fin d'année, en MS, débarque dans une classe de MS où tous les enfants savent l'alphabet, associent les lettres, comptent jusqu'à 20, écrivent en cursive tous les matins la date et le thème du jour....Temps de jeu libre : ZERO, pas UNE minute dans la journée. Ce môme, par ailleurs très très actif est littéralement en train de devenir dingue, en huit semaines seulement. :(<br /> il rentre déjeuner chez lui, mais sa maman ne peut pas le faire manger, il est trop occupé à...jouer ! <br /> L'instit le menace d'exclusion (en MS !!)<br /> Les parents ? la plupart sont ravis que leur petit soit "si avancé".....<br /> Les instits ? ils savent qu'elle massacre des gamins, la maîtresse de CP reconnaît que tous les ans il lui faut réintroduire la manipulation, l'expérimentation, et leur réapprendre à jouer... Mais "on ne peut rien faire"...<br /> <br /> alors, Au Secours ! <br /> Je suis preneuse s'il y a des solutions que je pourrai donner à cette maman... Elle est en recherche d'emploi, donc pas question de garder son fils à la maison, mais elle est extrêmement inquiète...
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L
J'adore les profs masos ;-)... et les ien en roue libre !<br /> <br /> Pour la psychose sécurité, ce qui est le plus dingue, c'est que l'enfer est vraiment pavé de bonnes intentions ! Depuis quelques mois, la mairie a installé de grandes barrières tout le long de la rue de l'école maternelle, avec l'interdiction de stationner qui va avec... Motif ! Sécurité des enfants ! Rien à dire, n'est-ce pas ??? Sauf que depuis les voitures n'ont jamais roulé aussi vite devant l'école... Le gentil cahot de voitures et de piétons antérieur avait l'immense avantage de ne pas faire trembler tous les parents que leur bambins leur échappent : au pire, ils étaient bousculés par une voiture en manoeuvre ou roulant au pas... Aujourd'hui, c'est le choc à 50km/h qui les guettent !<br /> <br /> Et la psychose de la réussite, elle existe déjà même à l'école maternelle... Par contre, personne ne semble choquer que des tas d'enfants arrivent chaque matin avec des mines tristes+++... On sert à tous un immense mensonge : travaillez dur, vous serez forcément heureux et votre vie sera réussie... prenez du plaisir, vous serez les damnés de la terre... Et c'est vrai dès la maternelle !!! Les enfants qui rigolent forts, qui préfèrent bailler aux corneilles ou jouer plutôt que de peiner sur leurs tristes feuilles de "travail" sont stigmatisés par tout le monde, et les enfants reprennent à leur compte les propos réprobateurs tenus par les enseignants...<br /> <br /> Ne parlons même pas des parents qui osent dire qu'un truc ne tourne pas rond dans ce qui est proposé à un enfant qu'on connait bien, le sien !<br /> <br /> Je suis en plein dedans, et nous quittons l'école demain soir !!!
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P
Puisqu'une "hyène";-))) réagit, c'est maintenant un enseignant très trad (traditionnel, pas crade !)<br /> Mon cher Bernard et cher collègue, je dois te dire que dans un premier temps tu m'as profondément choqué ! Mais je ne sais pas pourquoi, j'y suis revenu et en ai même redemandé ! je ne suis tombé sur ton blog il y a peu de temps et je n'ai pas encore remonté dans toutes ses profondeurs. Dans un second temps je t'ai lu différemmnt et crois avoir pigé que tu ne t'attaques pas à nous, nous les horribles trades. Mais avoue qu'il n'est pas évident de ne pas prendre ton analyse de l'école pour nous qui la faisons !<br /> C'est un peu ce que dis plus haut berroy qui pourrait être mon supérieur hiérarchique (finalement j'aimerais bien l'avoir comme ien çui-là ! même s'il dit qu'il est en roue libre !) : on ne voit pas trop tout ce que tu soulignes à longueur de billets et on n'aime pas trop que tu nous le soulignes ! Faudrait peut-être que je prenne deux ou trois jours de congés pour me mêler incognito au trottoir de mon école.<br /> Et puis tu nous emmerdes : est-ce que tu te rends compte de ce qu'il faudrait qu'on fasse, qu'on change, qu'on dépense en énergie folle, si on voyait ce que tu nous dis de regarder ?<br /> Je dois être maso : je vais continuer à te lire !
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B
Réponse à berroy<br /> Je vous remercie de me faire l'estime de me lire et de votre honnêteté. S'il était besoin d'une qualité morale pour que notre société change, ce serait l'honnêteté intellectuelle.<br /> Comme l'écrivait Karl POPPER, toute théorie, toute réflexion, n'ont de valeur que si elles sont critiquables, contestables. Je suis prêt à soumettre les miennes à vos critiques ou à votre contestation, sur ce blog ou en messagerie privée.<br /> Pour ce qui concerne les propos de Bentolila, sachez d'abord que je n'ai aucune estime pour ce pseudo-scientifique qui n'étaie jamais ses thèses sur quelconque de ses travaux ou, tout au moins, qui n'en fait jamais état, qui, comme Finkielkraut, habille de jolis mots des propos de comptoir. Ce qui fait d'ailleurs que les dits propos sont médiatiquement audibles. S'il a probablement des compétences dans son domaine, la lingustique, comme tout le bataillon d'éminences grises des minuistères successifs, il fait partie de ceux qui n'ont jamais appris à lire à personne mais qui décrètent "ce qu'il faut faire".<br /> Il est presque certain que ses suggestions seront reprises puisqu'elles ne coûtent rien et qu'elles sont parfaitement en cohérence avec le train de mesures en cours. Le piège sera parfaitement refermé sur l'ensemble des enfants du primaire et, pour refuser de voir et d'admettre que chez nous et ailleurs les problèmes sont envisagés et résolus autrement,l'école va de plus en plus dans un mur que par ailleurs tout le monde reconnaît.<br /> Il reste à espérer que la masse des enseignants, le corps inspectoral (??), contnueront à opposer la résistance passive et intuitive qui a quand même limité les dégâts jusqu'à présent. Que les parents qui sont, au niveau de la maternelle, un peu plus parent que parent d'élèves, commenceront à être heurtés. Encore qu'il est facile d'instaurer des psychoses de la réussite comme on a instauré des psychoses de la sécurité.
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B
Bien que IEN (hyène comme je sais qu'on nous surnomme) je suis un lecteur assidu de votre blog. Si je ne suis pas forcément toujours d'accord avec vos analyses, je reconnais qu'elles sont toujours étayées par un vécu professionnel que j'imagine intense et un vécu parental probablement aussi intense. Même votre billet sur nous, les inspecteurs, est une excellente analyse. Nous sommes dans une position ambigüe et, croyez-bien, il n'est pas facile de relayer des instructions gouvernementales aussi changeantes que les ministres et les politiques, de faire semblant d'y croire, de protéger ce que dans notre for intérieur nous voudrions plutôt condamner, etc. J'ai cru pendant longtemps à mon rôle dans un système éducatif auquel je croyais que vous décrivez plutôt comme une machine. Avec l'âge, je n'assure plus que le service minimum. Votre réflexion a l'immense avantage de partir d'un autre regard, celui de la base comme on dit. Sincèrement, j'aurais aimé être votre inspecteur ! <br /> Votre dernier billet tombe juste au moment où j'entendais les dernières propositions de la commission Bentolila, en particulier la transformation de l'école maternelle en une école avec programmes, évaluations... je serais curieux de savoir ce que vous en pensez.
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