L’ancien enseignant et le parent que je suis ne peuvent être autrement qu’aux côtés des grévistes. Et pourtant, comme à chacune des grèves dans l’Education nationale, la désagréable impression que, gagnées ou perdues, le système éducatif, lui, n’a rien gagné parce qu’il n’a pas bougé.
Le grand reproche qui pouvait être fait à Xavier Darcos, c’est que sa soi disant réforme, non seulement n’en était pas une, mais qu’elle ne faisait qu’accentuer la structure et la conception d’un système éducatif dont on commence à reconnaître son inefficience. Une vraie contre-réforme. En ce sens d’ailleurs, la suppression des RASED est une véritable stupidité puisque c’était le seul instrument qui restait pour pallier, même d’une façon infime, aux dégâts provoqués et constatés par la machine éducative qu’il consolide et verrouille par ailleurs. Cela a d’ailleurs bien été pris de cette façon, cette fois par la majorité enseignants et parents.
Dans la conception actuelle de l’école, il est bien évident que supprimer un certain nombre de moyens, vouloir tasser dans un laps de temps raccourci un programme alourdi, y faire réparer, en surplus et par les mêmes, les difficultés qu’ils n’ont pu solutionner dans l’activité ordinaire (soutien scolaire), c’est aller encore plus vite droit dans le mur.
Mais, finalement, en protestant à juste titre contre ces décisions, les grévistes vont dans le même sens. C’est là le paradoxe. Bien sûr qu’il faudrait au contraire se réjouir de la suppression des RASED… à condition que le système éducatif, ses orientations, les pédagogies, les pratiques, fassent que l’école s’adapte aux différences, aux rythmes, aux processus d’apprentissages, de chaque enfant, et non l’inverse.
C’est toute la conception de l’école qui est à ré-envisager. De fond en comble. Contrairement à la crise financière où peut de sonnettes ont été tirées longtemps à l’avance, peu de propositions alternatives ont été émises, il y a plus d’un siècle qu’en matière d’éducation de multiples analyses ont été faites, des alternatives non seulement proposées mais expérimentées, des plans établis (Langevin Wallon par exemple), les sonnettes d’alarme tirées et retirées. En pure perte.
Ni les politiques (1), ni les enseignants, ni les parents, ni les intellectuels éminences grises, n’osent, ne veulent remettre en question le système le plus figé qui soit. Comme les mouches dans un bocal qui se fracassent à l’infini sur les parois de verre. Ces dernières ont au moins l’excuse de ne pouvoir briser le bocal.
Beaucoup de mes copains ont fait grève, manifesté… pour finalement maintenir le système qui convient à tout le monde, et dont tout le monde souffre, les enfants en premier. Mais, dans l’urgence, que pouvaient-ils faire d’autre ?
Faire grève et manifester pour… la même école, c’est ce qui se renouvelle à chacune. La boucle est infinie. Réclamer des bouts de sparadrap ou des emplâtres, empêcher qu’on ôte des béquilles, la protestation, orientée de cette façon, ne peut aboutir qu’à cela.
C’est le système et aussi ce qu’il vise dans ses finalités qui doit faire l’objet de manifestations, de résistances. Il y a pourtant du monde qui peut le comprendre, qui l’a compris : les mouvements pédagogiques, un nombre de plus en plus important de parents, beaucoup de citoyens. Ce qui est nécessaire pour étayer la construction d’une nouvelle école ne manque pas non plus. C’est celle-ci qu’il va falloir, urgemment, mettre en avant des luttes. Pourquoi fait-elle encore peur ?
Et question que je me pose : est-ce que j'ai envie de sauver l'école publique, telle qu'elle est ? non ! Mais est-ce que j'ai envie qu'elle disparaisse ? diantre non !
« Du taylorisme scolaire à un système éducatif vivant », 2004, éditions Odilon. Extraits
(1) je ferais une petite exception pour les tentatives des Edgar Faure ou autres Jospin, restée vaines surtout parce qu’elles n’ont pas été appliquées ou qu’ils n’ont pas modifié le système pour pouvoir les appliquer.
J'ai découvert votre blog il y a quelques semaines et je commence à le parcourir avec intérêt. Je suis tout à fait d'accord avec votre billet sur la grève. Mais cela suscite en moi de nombreuses interrogations. Je suis parent de deux élèves dans le primaire, élu au conseil d'école depuis l'an passé et j'essaie de comprendre le fonctionnement de "l'école" !
"Mais, finalement, en protestant à juste titre contre ces décisions, les grévistes vont dans le même sens. C’est là le paradoxe. Bien sûr qu’il faudrait au contraire se réjouir de la suppression des RASED… à condition que le système éducatif, ses orientations, les pédagogies, les pratiques, fassent que l’école s’adapte aux différences, aux rythmes, aux processus d’apprentissages, de chaque enfant, et non l’inverse."
Tout à fait d'accord. Cela me fait penser à un autre combat de même nature. Il y a des pétitions qui circulent contre les caisses automatiques dans les supermarchés. On en vient à défendre le métier de caissières sous payées, travaillant à temps partiel forcé, déconsidérées par la hiérarchie et les clients stressés, futures ou déjà malades du dos, des bras... Bref on devrait se battre pour leur suppression mais au nom du maintien de l'emploi on se bat pour les garder ! C'est au niveau d'un emploi digne pour tout le monde que le combat devrait se situer.
On défend aujourd'hui les RASED et demain ce sera le soutien obligatoire suite à la suppression du samedi. Actuellement il y a quelques voix pour le critiquer. Mais dans 2, 5 ou 10 ans quand on le supprimera, il y aura des grèves pour demander son maintien !
"C’est le système et aussi ce qu’il vise dans ses finalités qui doit faire l’objet de manifestations, de résistances. Il y a pourtant du monde qui peut le comprendre, qui l’a compris : les mouvements pédagogiques, un nombre de plus en plus important de parents, beaucoup de citoyens."
Oui... mais non ! Oui il y a du monde qui prend du recul et qui se pose la question des finalités. Mais ce monde n'est rien contre l'inertie de la machine (tiens, je n'ai pas dit mammouth). Une anecdote : l'an passé dans l'école de mes enfants, il y a eu une suppression de classe à cause de la baisse des effectifs. Les parents se sont mobilisés, nous sommes allés voir l'inspecteur d'éducation de la circonscription pour lui demander de défendre notre point de vue (l'aspect social du quartier, le nombre d'enfants en difficulté qui nécessite moins d'enfants par classe que la moyenne, tels étaient nos arguments). L'IEN nous a bien reçu et a récité son texte : les chiffres, les chiffres, les chiffres avec 2 décimales pour compter les enfants. Et quand on parle du contexte social "il sait bien mais on n'y peut rien"... Et quelques semaines plus tard, je rencontre le même IEN en train de fustiger la politique actuelle, de défendre nos idées dans un débat citoyen, puis à la grève du 20 il était dans les rangs des manifestants à serrer les mains des syndicalistes pour afficher son soutien. Je ne dis pas qu'il aurait pu sauver la suppression de la classe de notre école, mais pourquoi ne nous a t'il pas reçu moins technocratiquement ? Quelle schizophrénie que de devoir appliquer des décisions qu'il ne cautionne pas ! Est ce un soldat ? Ou alors il cache bien son jeu et c'est un infiltré ! Cela me laisse donc prudent sur la capacité de réforme (révolution ?) de l'énorme machine.
Je vois également d'autres freins : même si j'ai le sentiment qu'une autre école est possible, je ne vois pas comment elle peut s'appliquer concrètement dans l'école de mes enfants. Il y a pourtant quelques avancées : ateliers l'après midi, mélange des classes par exemple. Mais globalement les enseignants restent sur les schémas classiques. Et les parents le demandent également : le retour aux fondamentaux, le soutien du soir sont très appréciés. Il faudra beaucoup de temps avant que les grandes idées ne s'installent vraiment dans les écoles des quartiers... Il est plus rassurant pour tout le monde de rester sur le modèle de la domination, pour reprendre l'idée de Marshall B. Rosenberg (Vers une éducation au service de la vie). On est tous entrainé par l'inertie actuelle, que les quelques cas isolés qui arrivent à s'en extraire ne peuvent rien pour l'arréter, ou même la ralentir.
"Et question que je me pose : est-ce que j'ai envie de sauver l'école publique, telle qu'elle est ? non ! Mais est-ce que j'ai envie qu'elle disparaisse ? diantre non !"
Après tout, nous sommes majoritairement issus de l'école publique, et personnellement, je ne me plains pas de ce qu'elle a fait de moi. Alors pourquoi la changer ?
e-candide