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Le blog de Bernard Collot
Le blog de Bernard Collot
Derniers commentaires
27 janvier 2009

Cour de récréation mortelle

Dans le dernier commentaire que je reproduis ci-dessous, un lecteur témoigne du drame qu'il a vécu et vit toujours.

Très intéressant vos points de vue (c'était à propos de l'injustice).
Voici le témoignage de notre fille de 8 ans. (Ainsi que beaucoup d'autres parents et enfants victimes d'injustice ont l’École !).
Il n'est nullement question de vous jeter la pierre. Heureusement que tous les instits ne sont pas comme "ceux concernés !"... Parce qu'il y en a de bons, de très bons ! et de mauvais, très très mauvais... l'élève "lui", est au milieu de tout ça !

À méditer.

Je précise que ma fille en est morte, elle n'avait que 8 ans.
Voici sur le blog suivant son histoire,vous y lirez ses écrits,sa détresse.
Attention, âmes sensibles s'abstenir !

www.noelanie.unblog.frwww.noelanie.unblog.frwww.noelanie.unblog.frwww.noelanie.unblog.fr

On a beaucoup parlé des "jeux" (!!!) de strangulation, peut-être à la suite de ce drame. Bien sûr il y a les problèmes de "surveillance", d'inattention à la parole de l'enfant, voire d'inattention à ce qui se passe sous le regard même de l'adulte, d'irresponsabilité ou d'incompétence de ceux qui ont en charge des enfants. Mais je voudrais revenir sur ce qui englobe, permet que de tels drames puissent avoir lieu. La conception même de l'école comme lieu de non-vie.

Toutes les cours de récréation ou presque sont des jungles, plus ou moins admises comme telles, que j'ai souvent comparées au cours des prisons. On fait passer, quotidiennement deux quarts d'heure, les enfants de salles de classe où l'interrelation n'est pas permise, dans un espace goudronné pour... se défouler. Une cocotte-minute dont le couvercle est soigneusement vissé, que l'on ouvre brutalement. Et dans la majorité des cours, il se passe une multitude d'événements dont l'adulte ne prête pas attention parce que ce n'est pas son problème. Il n'intervient que lorsque cela lui paraît grave... s'il s'en est aperçu.

Lorsque mon fils (8 ans comme Noémie) rentre de l'école, il ne me parle que de ce qui se passe pendant la récré, sa journée n'est marquée que par cela (ce n'est pas toujours négatif), de ses relations avec ses copains, des altercations, des positions qu'il a prises ou a été obligé de prendre, de ce qu'il a subi... ou fait subir. Il est marqué par cela, jamais ou très rarement par quelque chose qui l'a marqué en classe, à part des remontrances qu'il considère comme injustes (et une fois l'an passé où il a subi une agression physique violente... de son institutrice).

Sa construction sociale se fait dans la jungle de la cour, peu importe que cette jungle soit plus ou moins dangereuse, plus ou moins "surveillée", d'une année à l'autre ou d'une école à l'autre. La structuration sociale de ces cours s'établit sur des rapports de dominance et de soumissions. Même si de ceux-ci ne résulte pas toujours une agression physique. La structure sociale qui s'instaure, c'est la bande ou les bandes.

Mon fils me parle sans cesse de la "bande de untel" qui ne veut pas l'accepter, qui veut qu'il quitte la bande de "l'autre tel", de son copain qui lui en veut parce qu'il ne fait plus partie de sa bande. L'autre jour, il est rentré en pleurant parce qu'il en avait "marre des bandes" qui l'empêchaient de jouer avec les copains qu'il voulait. Bien sûr, il ne s'agit pas forcément de "bandes" qui terrorisent ou se livrent à des exactions. Elles ont souvent un caractère fluctuant, provisoire. Mais elles possèdent structurellement tous les éléments qui permettent les dérives, y compris dans leur intérieur de par les rapports de dominance qui s'y instaurent. À remarquer que les enfants ne connaissent le plus souvent pas d'autre forme de relation sociale que celle de la soumission, en classe ou dans la famille... ou dans la rue.

L'agressivité serait naturelle chez l'enfant, voire même nécessaire, voire une qualité. Je m'inscris en faux contre cette assertion portée même par pas mal de psychologues, qui d'ailleurs justifierait en elle-même les tueries et autres génocides auxquels se livre avec constance l'humanité. Le "naturel", si tel il était, est bien pulsé par toute notre société dont on ne perçoit même plus la violence banale: il faut être un "gagnant", voir un "killer", compétition, concurrence prônées comme seul levier du fonctionnement social et économique. Lutte politique conçue comme des coups à porter pour éliminer les autres et se maintenir en haut de la domination. "Combat", terme employé à tout bout de champ. "Il faut te battre", encouragement le plus utilisé. Hystéries dans les stades pour "la victoire" de son équipe et non pas pour le spectacle offert. Etc., etc.

L'agressivité est toujours une réponse à une frustration, une négation de l'identité, l'impossibilité d'appartenir à un groupe (et non pas à une bande). Les enfants agresseurs dans la cour ne sont jamais ceux qui sont reconnus en classe (bons élèves), même si cette reconnaissance n'est, elle aussi, qu'un ersatz. Cette non-reconnaissance peut aussi avoir sa source dans la famille, l'inexistence du dialogue (qui suppose obligatoirement la reconnaissance de l'autre) ou toute souffrance non reconnue. La grève qui va jeter jeudi des milliers de personnes dans la rue n'est d'abord qu'une réaction, très soft, à la non-reconnaissance qu'elles subissent continuellement. L'appel à un dialogue, qui de toute façon n'aura jamais lieu, n'est qu'une tartufferie puisqu'on continuera à mettre en avant une crise qui justifierait cette non-reconnaissance. On négociera, peut-être, suivant le rapport de force jugé par le degré et l'étendue de l'agressivité qui s'exprimera. Et on se plaindra de l'agressivité des grèves sur le quotidien... d'une journée. Notre société fonctionne avec l'agressivité comme moteur. Elle fabrique des agresseurs.

Et pourtant, il suffit d'une catastrophe, naturelle elle, pour que naturellement et spontanément naissent solidarité, entraide, dévouement à l'autre, auto-organisation, responsabilités individuelles et collectives. Ce n'est que temporaire, et pourtant cela laisse toujours comme un regret de ces brefs instants pour la sensation d'avoir appartenu, un moment, à une humanité.

Il faut bien savoir que dans les rares écoles où se pratiquent des pédagogies coopératives, c'est à dire où pendant le temps scolaire, pour les activités qui s'y déroulent, la classe constitue un groupe où l'interrelation entre les enfants est constante dans les activités, leur choix, leur organisation, quand chacun est reconnu pour ce qu'il est, ce qu'il apporte aux autres, quand chacun peut participer à des décisions, se faire entendre et être écouté, dans ces écoles il n'y a aucun problème d'agressivité, quel que soit leur environnement social, quels que soient les caractères de chaque enfant. Les capacités interrelationnelles acquises, la conscience d'appartenir à un groupe, sont conservées dans la cour de récréation. S'y déroulent simplement d'autres activités. Elle n'est plus le siège d'un défoulement. Si des conflits naissent, ce qui est encore naturel, le groupe a déjà créé des procédures implicites ou explicites qui permettent de les réguler. Lorsque le groupe est important pour la vie de chacun, il ne laisse, naturellement, pas s'envenimer ce qui peut le détruire. L'apprentissage social, c'est cela.

Dans ma classe unique, il n'y avait pas de récré ! l'extérieur, comme l'intérieur, était un lieu d'activités, simplement un peu différentes, et il était utilisé aussi bien pour prendre l'air, pour jouer, planter des tomates, sculpter ou observer des fourmis pour faire un exposé !

Tant que l'on n'approchera pas les problèmes de l'école de façon globale et systémique, de petits drames quotidiens et des drames plus terribles s'y perpétront, comme l'échec qui est aussi un drame.

Vous me direz que mon analyse est sans nuances. Mon fils est rentré ce midi avec une petite plaie au visage. Pas grand-chose. Altercation avec un "copain" qui avait un morceau de bois dans les mains. "Parce que je ne voulais pas faire partie de sa bande", enfin, c'est ce qu'il dit, le copain dirait peut-être autre chose. La nuance est dans les 2 centimètres qui séparaient la plaie de l'œil. Pourtant tout le monde est gentil dans cette école, la maîtresse, le maître, le copain et même mon fils. "Jeux d'enfants" me direz-vous ? Jeux d'enfants à Gaza ?

Si, dans la "Guerre des boutons", Pergaud avait rajouté une phrase où l'œil de Tigibus eût été crevé par un projectile de tire-pierre, on ne lirait plus ce livre avec un regard si attendri.

Commentaires
J
Merci pour cette réponse. <br /> <br /> Je vois que j'avais mal pris le problème. <br /> <br /> Je suis d'accord avec vous. <br /> <br /> Il faudrait faire en sorte qu'il n'y ait pas cette pression que vous décrivez qui s'exerce sur les enfants.<br /> <br /> En effet, j'ai souvent eu l'impression, durant mes stages, de voir des classes "sous pression"...
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J
J'ai lu cet article avec beaucoup d'intérêt, car la question de la violence dans les écoles me préoccupe. Je l'ai observée lors de mes stages, aussi bien dans des écoles élémentaires que dans une école maternelle (!). Je me pose donc cette question : dans une école "classique", comment selon vous les enseignants pourraient-ils réfléchir à une alternative aux récréations ? J'ai des idées qui me viennent, mais j'ai toujours cette impression qu'il doit être dur pour un enseignant de dire, par exemple, qu'il a constaté de la violence et qu'il voudrait agir contre. <br /> <br /> Qu'est-il possible de faire, de dire, pour être entendu et compris par des collègues ?<br /> <br /> Biensûr je n'attends pas une réponse exacte, j'ai simplement envie d'en discuter. :)<br /> <br /> Jordan
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T
Mon commentaire n'a rien à voir avec ce billet, mais c'est le seul endroit où j'ai trouvé vos coordonnées, excusez-moi.<br /> J'ai été très intéressé par votre trop courte intervention sur FR3 Centre au JT de 12H, lundi 26.<br /> Pour une fois j'ai trouvé que la journaliste posaitr des questions pertinentes (sauf quand elle a conclu l'entretien en disant "il faudra bvien que les enfants s'adaptent au système", mais c'était peut-être provocateur).<br /> J'aurais aimé que vous développiez la réponse que vous avez donné quand la journaliste s'étonnait que les pédagogies actives ou freinet qui ont fait leurs preuves (rare que cela soit dit sur une antenne !) ne se répandent pas plus.<br /> Merci de votre réponse.
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