Refonder ? Ailleurs et avec d'autres !
Il y a toujours eu de magnifiques écrits sur ce que devrait être l’école. Des Rabelais, Montaigne et autres aux à Illich et autres. Actuellement, il en paraît tous les jours, tous plus beaux les uns que les autres.
Oui mais !
La plupart de ces auteurs n’ont jamais « fait l’école ». Après les avoir lus ou écoutés, on se dit après avoir applaudi : « Et maintenant, on fait quoi ? ».
Notre ministre, ex prof de philosophie, qui a très certainement lu les grands textes des philosophes, qui n’étaient pas profs de philo, ne sait manifestement pas trop quoi faire. Tous les concertés refondateurs ne sont pas moins embarrassés, parfois par leurs propres idées. Dans l’attente d’un je ne sais quoi, on ne change pas grand-chose, tout au moins on change ce qui ne changera pas grand-chose aux murs de la bâtisse et à ce que chacun doit faire dans ces murs, y compris les concernés, les enfants et adolescents.
Il ne faut pas oublier que le point de départ du simulacre de refondation, comme des fausses réformes précédentes, n’était pas que les enfants et les adolescents vivaient mal l’école, y souffraient pour beaucoup, y étaient formatés, castrés de toute créativité, de toute autonomie… c’était qu’ils étaient moins habiles que la moyenne de la fameuse étude PISA dans la manipulation des langages écrits, mathématiques et scientifiques !
Il est assez étonnant que le « comment » et dans quelles conditions se construisent ces langages n’ait surtout pas été abordé. Si manifestement et de plus en plus massivement on n’y apprend plus à lire, écrire, compter (on ne va pas jusqu’à mathématiser, scientifiser !) c’est bien là que le bât blesse. On n’ose plus dire au plus loin pour chacun, on se contente du « au minimum pour tous » et on y met un terme avec un socle commun, artificiel comme la façon d’y aboutir. C’est bien que la conception des apprentissages à l’école est erronée, la construction des apprentissages étant aussi celle de la personne et de la personne citoyenne. Tout le reste dépend ou découle de cette conception, je l’ai dit et redit dans ce blog, dans mes ouvrages, je le dis encore dans mes rares interventions.
On se réfugie derrière le fait qu’il y a des enfants qui auraient réussi grâce à l’école. En général on se prend comme propre exemple. Il s’agit toujours d’une réussite sociale, la réussite sociale dépendant aussi de la non réussite des autres, compétition pour les bonnes places disponibles oblige. Mais on peut s’interroger sur cette réussite quand on voit les purs produits de l’école (l’ENA par exemple !), dans les plus hautes positions sociales dirigeantes, dans l’incapacité de régler, voire d’imaginer ou d’envisager, la moindre solution aux dysfonctionnements flagrants d’une société dont ils prétendent assumer la charge mais dont ils perçoivent les émoluments. On dit à juste titre que l’école est le reflet ou le produit de la société, mais de façon rétroactive elle produit aussi cette société dans ses incapacités. Changer l’école pour changer la société n’est pas utopique à condition qu’elle donne aux enfants les capacités qui sont des pouvoirs d’agir, de créer, de se prendre en main (autonomie !)
Revenons au tout bête apprendre à lire, écrire compter sur lequel on se refuse de se questionner pour refonder (1). Quelle qu’elle soit, il y a encore besoin d’une école, d’un espace particulier où tous les enfants puissent se construire ces pouvoirs. La société sans école d’Illich est encore utopique.
Il y a eu depuis longtemps des praticiens qui, sur le terrain et sans tralala médiatique, se sont situés dans un autre paradigme des apprentissages et ont démontré qu’il était plus efficient, qu’il éliminait tous les problèmes sur lesquels l’école actuelle bute (violence, rythme, motivation, évaluation, échecs…). J’en ai fait partie à mon modeste niveau et avec beaucoup d’autres. Il y en a encore aujourd’hui. Mais on les cantonne dans l’anecdotique, on veille à ce qu’ils ne soient pas trop nombreux, et on se garde bien de prendre en considération ce qu’ils auraient peut-être à dire ou ce qu’ils ont même dit.
Par exemple les travaux de Françoise Oeuvrard (1992, Direction de l’Evaluation et de la Prospective) ont mis en lumière que les résultats des classes uniques étaient supérieurs à la moyenne nationale. N’importe quel chef d’entreprise découvrant qu’un de ces ateliers travaillant différemment et bizarrement obtenait de meilleurs résultats se pencherait avec intérêt sur ce phénomène. Je peux affirmer, parce qu’étant à l’époque très impliqué dans la lutte contre l’éradication des classes uniques, qu’aucune de ces classes n’a été observée, qu’aucun de leurs enseignants qui ont pourtant un court temps éveillé la curiosité des médias n’a jamais été questionné sur ses pratiques, sur quoi il les fondait, par l’Education nationale. Nous avons proposé à des ministères successivement de gauche et de droite de faire de ces classes uniques, tant qu’il en restait encore, un laboratoire qui n’aurait pas coûté un centime. Evidemment nous n’avons jamais eu la moindre réponse même polie, et l’éradication s’est poursuivie imperturbablement.
On le sait depuis longtemps, les praticiens s’ils pratiquent différemment, s’ils tirent eux-mêmes des conséquences, une conceptualisation, des perspectives proposables de leur expérience (vécu), dans quelque domaine sociétal que ce soit, n’ont pas d’audience, y compris de ceux qui seraient directement concernés. Ce n’est pas seulement parce qu’ils inquiètent, dérangent. Ce n’est pas seulement parce qu’ils n’ont pas une notoriété qui les cautionnerait et leur donnerait le droit d’être écouté. Ce n’est pas seulement parce qu’ils n’enflamment pas les foules par de beaux discours qui font le délice des polémiques. C’est peut-être aussi que ce qu’ils proposent ou pourraient proposer n’est pas une utopie… puisqu’ils l’on fait. L’utopie n’est pas dérangeante. Elle met du baume, peut faire rêver, mais elle laisse tranquille avec son fatidique « ce n’est pas possible ! ». A contrario, c’est quand c’est possible que cela fait peur.
Alors ? Alors il ne faut plus chercher l’audience de l’establishment, des médias qui de toute façon ne la donneront pas puisque cela les remettrait en cause. La vraie concertation, c’est à côté qu’elle peut se faire, c’est hors de l’Institution qu’elle doit se faire. C’est là seulement que l’on peut oser, que l’on peut s’écouter, interroger, s’interroger. C’est là qu’un autre paradigme (façon de penser, puis d’agir) absolument nécessaire à toute évolution ou révolution doit prendre forme, puis s’étendre.
C’est ce qui commence à s’entreprendre dans des endroits de plus en plus nombreux. Je viens de signaler le salon TATOU JUSTE à St-Etienne où nous introduirons avec quelques amis l’école là où elle n’était pas encore mêlée à toutes les autres alternatives. En avril, sur le plateau de Hauteville, parents et enseignants se retrouveront pour ré-envisager d’autres relations école et famille.
Qu’il s’agisse de l’agriculture biologique, de la façon de consommer, du commerce équitable, des coopératives ouvrières, du développement durable, de la science, de la démocratie participative… ou de l’école, tous ces domaines sont inclus dans le même nouveau paradigme. Il faut que tout cela interfère, que chacun dans chacun de ces domaines rencontre les autres, quitte ses prés carrés. Si nous réussissons cela, plus aucune refondation ne paraîtra impossible ! Et cette fois, on saura quoi faire !
(1) Dans les nombreux thèmes des concertés, aucun ne traite des apprentissages.