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Le blog de Bernard Collot
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18 octobre 2013

Rythmes : des cantines scolaires aux restaurants d'enfants... il y a 50 ans !

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L’histoire des rythmes scolaire qui met la France en ébullition, et pas seulement la planète enseignante ou la planète des parents, est finalement passionnante par tout ce qu’elle soulève qui était jusqu’à maintenant occulté, tout au moins dans l’opinion publique. Je ne sais pas si c’était dans l’arrière pensée de Vincent Peillon, mais on peut lui dire merci pour ce qu’il provoque.

Dans le découpage du temps de l’enfant, il y a ce qu’on appelle aujourd’hui le temps méridien. Le temps du repas que l’on étend au temps entre les deux demi-journées scolaires.

1960. Je débarque dans une petite école rurale du Beaujolais. A l’époque, lorsque vous étiez instit rural, s’occuper de la cantine faisait implicitement partie du métier, on ne se posait pas la question de savoir si c’était dans nos obligations et dans notre salaire, on prenait tout ce qui allait par tradition avec l’école. S’occuper de la cantine voulait dire la surveiller, y manger et la gérer.

La cantine de mon école, c’était une grande pièce récupérée dans un appartement de fonction inoccupé. Dans une extrémité, le vieux fourneau au charbon, un évier, les casseroles empilées dans un placard, le reste de la salle occupée par deux immenses tables sur des tréteaux et des bancs. La cantinière préparait le repas avec les légumes soit donnés par des parents, soit achetés par l’instit (moi-même) le jeudi. Rentrée en rang, assis au signal, la grande gamelle en fer blanc posée au centre de la table, la cantinière avec sa louche remplissant les assiettes, le bruit, les coups de gueule stériles «Silence ou vous ne sortez pas ! » levée au signal, sortie en rang… surveillance dans la cour par tous les vents en attendant le sifflet du retour en classe.

Début des années 60, la Ligue de l’enseignement créait la « fédération des restaurants d’enfants ». Quand on pleure sur le passé en regrettant ses vieilleries, on ignore, probablement volontairement, ce qui dans ce passé était profondément humaniste et révolutionnaire. Dans ces années, les idées du Conseil National de la Résistance étaient encore dans des mémoires et si les propositions de Langevin et Vallon n’avaient pas abouti, elles avaient laissé des traces.

Si la Ligue avait le souci de permettre à tous les enfants de manger à leur faim et d’éliminer tous les endroits où les enfants devaient apporter leur gamelle, elle allait bien au-delà. Elle posait cette question : « Est-ce que des adultes accepteraient de prendre leur repas dans les conditions où l’on faisait manger des enfants ? ». Et elle affirmait que le temps du repas était encore plus important pour des enfants que pour des adultes, que les premiers méritaient au moins autant de considération et de respect que les seconds. La Ligue n’œuvrait donc pas seulement pour l’amélioration des repas, la transformation des locaux, mais aussi pour que change la façon de prendre ces repas, pour modifier les conditions de vie avant et après le temps du repas. C’est volontairement qu’elle substituait l’appellation « restaurant d’enfants » à celle de « restaurant scolaire ».

1963.

Dans le département du Rhône, au Rectorat de Lyon un détaché de la Ligue de l’Enseignement pour la transformation des cantines en restaurant d’enfants venait d'être nommé (vous ne rêvez pas !). Avec son aide, nous transformions donc notre vieille cantine en restaurant d’enfants (nous avons dû être les premiers à le faire en milieu rural).

Transformation des locaux, création d’une vraie cuisine aux normes sanitaires, l’espace de restauration coupé par des murets, des plantes vertes, des fleurs, des tables de quatre et des chaises adaptées aux tailles, assiettes décorées,… Menus équilibrés (à l’époque c’était une révolution), présentation agréable des plats comme dans les restaurants avec étoile… Notre cantinière transformée en vraie cuisinière avec sa blouse blanche et son bandeau (au début, elle pensait être déguisée !). Comme au restaurant, les enfants se faisaient passer les plats. Au début c’était comme un jeu « Après vous mon cher ! » et c’est vite devenu un habitus. Plus de rentrée collective en rang, plus d’obligation d’ingurgiter son assiette dans un rythme collectif, d’attendre que tout le monde ait fini… plus de coups de gueule. Le repas était devenu un moment paisible et convivial… nécessité importante déjà soulignée à l’époque par des médecins ou psychologues.

Mais cela ne s’arrêtait pas là. Il fallait qu’en sortant les enfants trouvent les conditions de détente nécessaires à toute digestion. Le temps méridien. Le temps du café, de la cigarette, des échanges informels pour les adultes… quand ils peuvent. C’était facile pour nous puisque les pratiques des pédagogies actives avaient déjà notablement transformé l’organisation de l’espace scolaire et créé des habitus. Et nous pouvions retrouver des enfants se reposant ou bouquinant dans le coin bibliothèque, d’autres écoutant de la musique ou en faisant dans l’atelier son, d’autres discutant ou faisant la sieste sous les pommiers du jardin, s’y promenant dans les allées, d’autres rêvassant devant l’aquarium, d’autres dessinant… et aussi d’autres ayant encore de l’énergie à évacuer sous les panneaux du terrain de basket ou dans des parties de cordes à sauter, de marelle... L’indispensable espace scolaire et l’habitude de la coopération ou de l’auto-organisation.

Très rapidement et sous l’impulsion du délégué rectoral aux restaurants d’enfants, l’expérience de Lantignié fit tache d’huile dans le Beaujolais. Quand on regarde le passé, on n'imagine pas le nombre d’enseignants qui s’impliquaient naturellement et à leur façon dans la transformation de l’école. Il est vrai que beaucoup d’entre eux dirigeaient des colonies de vacances, ce qui change le regard. La quasi-totalité des cantines de ce secteur du Beaujolais se transformaient ainsi en restaurants d’enfants dans leurs principes, suivant les moyens des communes et leurs locaux.

Tous les enseignants, des plus traditionnels aux plus « modernes » faisaient ce constat : l’après-midi scolaire se déroulait beaucoup mieux.

En 1964, tous les directeurs d’écoles, tous les présidents de sou des écoles[1], tous les maires ou leurs adjoints et quelques « cantinières » de tout un canton se retrouvaient dans la salle des fêtes de Lantignié pour discuter ensemble des difficultés rencontrées, des transformations à effectuer, du fonctionnement, des moyens à donner ou à obtenir et même de la qualification des cantinières à transformer en « cuisinières de restaurant d’enfants » avec la formation, le statut et le salaire qui auraient dû aller avec !

J’ai envie de rajouter : tous ou presque tous des paysans ! Des gens ordinaires.

C’était… il y a plus de cinquante ans[2] ! Personne ne pensait aux rythmes scolaires !

Je n’entends plus parler de restaurants d’enfants. Je ne sais pas si la fédération des restaurants d’enfants est toujours active. Mais je sais qu’il y a toujours des cantines et des enfants entassés, stressés, fatigués par ce temps.

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[1] Appellation encore courante dans la région lyonnaise des associations comprenant les parents, les enseignants, les élus constituées pour aider l’école publique.

[2] A Moussac, il n’y avait pas de cantine. Avec la bienveillance des services vétérinaires (ce sont eux qui supervisent toute restauration collective) c’était au restaurant du village que le repas des enfants était organisé … au plus grand plaisir des autres clients.

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