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Le blog de Bernard Collot
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27 novembre 2013

L'école cabane à lapins

 

cabanes

On ne voit généralement plus ce qui crève les yeux. Les esclaves ne voient plus qu'ils sont esclaves, les habitants des barres et des tours qu'ils sont des sardines, les caissières des grandes surfaces qu'elles sont des robots, etc. etc.

J’aurais pu dire élevage en batterie, stabulation,… caserne, prison de Fresne… J’entends : « Encore une provocation stupide ! »

C’est un vieux thème que je ressasse depuis des décennies dans l’indifférence absolue. Je sais, ce n’est même pas pédagogique, même pas politique, même pas polémique tout au moins cela ne les provoque pas, même pas hautement intellectuel, les « refondateurs » ont bien d’autres préoccupations.

Et pourtant…

Plus personne ne voit ces cabanes à lapins scolaires, si tant est qu’on les ait vues un jour.
Personne ne voit l’effroyable entassement dans lequel nous condamnons enfants et adolescents à vivre (vivre ?) la plus grande partie du temps de leur construction, quand aussi une bonne partie va retrouver le même entassement de retour de l’école. De deux à dix-huit ans, de huit heures du matin à dix-huit heures le soir.

Ces "cabanes" ont été conçues sciemment : elles correspondent parfaitement à la chaîne industrielle tayloriste du système éducatif.

Cases alignées et desservies par les longs couloirs rectilignes et vides bien sûr pour que les flots de la sortie puissent s’évacuer avec moins de risques. Alignement obligatoire de tables dans les cases… pour qu’elles tiennent. Cours goudronnées (c’est plus propre) sans obstacles qui pourraient dissimuler ou avec lesquels on pourrait jouer… et qui pourraient blesser (il y aurait alors un responsable à trouver). Des grilles et un portail pour que personne ne s’échappe ou pour que des étrangers non accrédités ne puissent y pénétrer (y compris des parents). Pas d’herbe, de fleurs, de toute façon elles seraient piétinées… Le tout et partout devant être bien aseptisé, pas seulement des microbes mais aussi de tout ce qui ne serait pas scolaire et qui risquerait de troubler l’ordre et la vigilance, ce qui les troublerait d’ailleurs nécessairement.
Il n’y a pas encore de miradors installés, la fouille des cartables n’est pas encore généralisée, mais, en toute bonne foi, il s’agirait seulement de protéger ceux qui sont ainsi entassés. Alors : règlements qui interdisent pratiquement tout, assortis de sanctions qui immobilisent encore plus.

Il n’y a pas d’exagération : j’ai calculé que généralement, une fois enlevé l’espace occupé par les tables et les chaises, l’estrade, le placard, il ne reste même pas un mètre carré libre à la circulation par enfant. Vingt élèves maximum par maître, revendication unanime. Vingt mètres carrés par enfant ? Cela n’est pas sérieux !

Des enfants et des ados condamnés à rester assis des journées entières (sur des chaises inconfortables) et à ne pas parler, presque tout le monde sent plus ou moins que ce n’est pas normal, même des médecins le disent, mais comment faire autrement ? Lorsque la sonnerie libère le couvercle de la cocotte minute, si on a réussi à le maintenir, comment s’étonner alors des tensions qui vont provoquer des heurts dans les couloirs, des bagarres dans les cours ?

Allez faire de la pédagogie, n’importe laquelle, là-dedans ! Vous imaginez la simple séance de peinture, le « fourbi » à déranger et à mettre en place, puis à ranger, quand, même pour avoir de l’eau, il faut aller la chercher dans les lavabos des WC au fond d’un couloir, quand ce n’est pas à l’étage en dessous. Reste éventuellement le feutre sur un petit carnet. Il est prudent de ne pas penser à de l’expérimentation, à du travail en groupe…Je suis dans une sincère et profonde admiration pour les collègues qui s’engagent dans des pédagogies un peu modernes et l’immense ingéniosité dont ils doivent faire preuve dans ces conditions (1). Comment s’étonner alors de l’épuisement des enseignants (qui ne sont pas catalogués dans les métiers à pénibilité pour la retraite), même s’ils ont une « salle des profs » pour souffler et boire un café par intermittence (ce que n’ont pas leurs élèves) ?

Se rend-on compte qu’une école de 100 ou 200 élèves, un collège de 500 ou 1 000, un lycée de 1000 ou 2 000, ce sont des villages, des bourgades, de petites villes, dont les habitants seraient entassés dans un ou deux bâtiments, avec encore moins de place que dans une tour de cité ? Se rend-on compte de l’effarante promiscuité imposée quotidiennement ? Les WC n’étant même plus un lieu où on pourrait s’isoler quelques minutes, ils sont même dangereux (une enquête a même révélé que la plupart des enfants et adolescents se « retenaient » pendant le temps scolaire). Je peux même rajouter que dans cette promiscuité massive, a contrario, certains enfants sont condamnés au profond isolement.

Et on va parler de socialisation dans ces conditions. La seule possible c’est l’asservissement. L’école, de par les faits, de par l’espace dans lequel sont confinés et captifs enfants et adolescents et pas seulement par volonté délibérée, est a-socialisante ou dé-socialisante.

Ah ! Si vous avez la chance d’avoir été un excellent élève, d’avoir eu des parents qui ont les moyens ou si vous avez pu accrocher une bourse, vous aurez peut-être eu la chance de jouir, une fois jeune adulte, d’un campus, de préférence célèbre et américain… Mais c’est juste pour les « élites » qui n’auront pas été broyées précédemment.

Personne n’est troublé, pas même les « défenseurs » officiels des enfants.

Vous allez me dire « Bof ! J’y suis bien passé et je n’en suis pas mort ! J’ai plein de bons souvenirs de cette école. Il faut bien que les enfants quittent leur cocon. C’est grâce à cette école que je suis devenu ce que je suis !... » etc. Pour le dernier point, je pourrais demander malignement « êtes-vous certains d’être une réussite ? »

PS : Qu’est-ce qu’on fait des lapins des cabanes ? On les mange !

Bernard COLLOT education3.canalblog.com

 

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(1) On m’a souvent demandé comment j’avais pu développer aussi loin les logiques des pédagogies modernes. Une des réponses est celle-ci : les classes uniques résultant de la suppression des autres classes de l’école, nous disposions d’un espace très important, y compris dans l’extérieur avec l’ancien « jardin d’école ».

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