appartenance

« Les enfants n’appartiennent pas à leurs parents ». Finalement cette phrase prononcée par un député à propos de l'obligation scolaire pose bien un vrai problème parce qu'elle sous-entend que les enfants appartiennent alors à l'Etat qui décide de ce que doivent faire et être les enfants.

On pense immédiatement à « les parents ne sont pas propriétaires de leurs enfants »,… mais dans une société où la propriété est sacrée ! « Je veux avoir des enfants », « Vous avez des enfants », « C’est mon enfant », « je veux avoir une voiture », « C’est ma voiture », « Je veux avoir une maison »,… « j’ai une maison »…

Tout est basé sur l’avoir, il n’est donc pas étonnant que l’enfant soit inclus dans cet avoir qui donne des pouvoirs sur ce qu’on possède. Cette société le reconnaît, chacun est aussi responsable de ce qu’il possède et seulement de ce qu’il possède. Nous appelons cela la responsabilité civile et chacun doit assurer ce qu’il possède, pas seulement pour s’assurer du maintien en l’état de ce dont il est propriétaire mais surtout pour protéger ce qui appartient aux autres, accessoirement pour protéger les autres : obligation d’assurer sa voiture (C’est votre voiture qui a abimé la mienne), son chien (C’est votre chien qui a mangé mes poules),… son enfant (C’est votre enfant qui a déchiré la blouse de mon enfant). Mais chacun est libre de faire ce qu’il veut de ce qu’il possède : Je casse les cloisons de ma maison comme je veux, je plante ce que je veux dans mon jardin, je fais ronfler ma bagnole comme je veux… j’éduque mon enfant comme je veux. C’est presque le seul cadre où la liberté s’exerce et est reconnue. De là à se dire qu’on peut faire ce qu’on veut de son enfant… on arrivera toujours à le justifier par une morale ou des principes. C’est la possession qui structure notre société, fait l’ambition de chacun. Avoir pour être.

Bien sûr on ne va pas dire « je suis propriétaire d’un enfant » comme on dit « je suis propriétaire d’un chien ». Il n’est pas correct d’être propriétaire d’une personne… quoique l’esclavage ne soit pas si loin, quoiqu’on ne sache plus très bien si le propriétaire d’une entreprise n’est pas aussi propriétaire de ceux qui y travaillent puisque sans eux l’entreprise n’existerait pas et qu’il peut les jeter (ou les délocaliser) comme il lui convient, quoique dans l’institution du mariage la fidélité soit bien la propriété du corps de l’autre, quoique… La possession est le pouvoir sur ce qu’on possède.

On peut aussi facilement penser que l’Etat devient propriétaire des enfants par l’intermédiaire de l’école. L’obligation scolaire correspond bien à la dépossession quotidienne des parents, les enfants passant sous la coupe d’un pouvoir à un autre, quasiment absolus l’un ou l’autre. Chaque pouvoir est exercé dans des intentions, qu’on les estime louables ou non. Les objectifs des États dans l’instauration de l’école n’ont jamais été dissimulés, Guizot n’en faisait pas mystère, Jules Ferry non plus, les gouvernements récents non plus, faire des enfants les citoyens dont les États ont besoin. Il est d’ailleurs curieux de constater que les Etats dits libéraux (de droite), veulent dans l’école s’assurer d’une emprise beaucoup plus forte sur les enfants que les Etats dits plus ou moins socialistes, il suffit d’analyser la succession des diverses réformes des cinquante dernières années. (dans les ex régimes communistes, comme dans les régimes totalitaires, l'enfant appartenait sans ambiguïté à l'Etat)

S’il est normal que l’enfant doive peu à peu s’émanciper de la famille (penser par soi-même), ce n’est pas pour qu’il se soumette à une autre influence encore plus forte qui va dépendre de l’Etat qui instaure et définit ce qu’il attend de l’école, en même temps que celle de ceux qui y exercent une fonction.

La lutte de pouvoirs est ce qui caractérise de plus en plus les rapports famille/école.

Mais le verbe « appartenir » a un autre sens : faire partie de…

Personne ne niera que le fœtus fait bien partie de la mère. Dans ce sens il lui appartient bien (fait partie), l’appartenance impliquant la dépendance. Mère et fœtus constituent une entité. La mère exerce un autre type de pouvoirs, non seulement celui de donner et permettre la vie, mais aussi celui d’agir pour cette vie : par exemple ne plus fumer, ne plus boire d’alcool, éviter certains médicaments, etc.

La naissance sera le début d’une individuation et de la conquête de l’autonomie. « L’enfant est le sein et le sein est l’enfant » disaient Bowlby et Winicott ou répétait Freud. Sa mère fait encore partie de lui, il fait encore partie de sa mère, il lui « appartient » bien. Ils s’appartiennent.

Si la dépendance deviendra moins totale au fur et à mesure de la construction de l’enfant, s’y substitueront des interdépendances dans ce qui constitue une nouvelle entité (après l'entité mère-foetus), la famille. C’est parce qu’il fait partie de cette entité qui doit aussi assurer son état sécure (il lui appartient), c’est parce qu’il a besoin d’appartenir à cette entité que l’enfant développera ses premiers langages, celui de la marche bipède verticale, celui de la parole. Il appartient bien à sa famille ! Cette appartenance se situe dans des interdépendances : si l’enfant dépend de ce qu’est et fait la famille, la famille dépend aussi de la présence d’un enfant (l’une comme l’autre et leurs interdépendances se modifient au fur et à mesure de la conquête de l’autonomie du second).

Le terme de toute éducation d’un petit dans le monde animal, c’est la séparation d’avec son ou ses parents lorsqu’il devient un adulte. Il est alors autonome. Dans notre espèce sociale, cette diminution de l’appartenance s’effectue dans des diminutions progressives des dépendances familiales, en même temps que dans l’augmentation de ces interdépendances familiales ainsi que dans l’insertion dans d’autres interdépendances sociales. Cela se traduit nécessairement par une désappropriation progressive des parents de leurs enfants, ces derniers s’individuant de plus en plus.

Tout être humain doit appartenir (faire partie) non pas à une personne mais à des entités sociales. C’est le propre des espèces sociales. Si l’école est une vraie entité sociale qui existe de part les interdépendances nécessaires pour sa vie (ce que l’école traditionnelle n’est pas puisque les enfants ne sont pas dans l’interdépendance mais sous la dépendance… d’un nouveau propriétaire !), dans chaque enfant il y a encore une partie des parents et chaque parent a une partie de lui-même dans l’école. Chaque punition, chaque brimade sont souvent ressenties comme atteignant le parent lui-même dans sa chair !

D’autre part, c’est toujours le parent qui est responsable affectivement, matériellement et même juridiquement, du présent et du devenir de son enfant. L’école ne se fait pas faute de le lui rappeler quand l’enfant n’est pas l’élève conforme à ce dont elle a besoin. Elle en use d’ailleurs comme moyen de pression.

Alors, dans le second sens donné au verbe appartenir, oui, dans l’école, les enfants appartiennent encore aux parents !

Mais au lieu d’en faire un problème, cela devrait tout simplement faire partie d’une problématique. Cela serait plus facile si la finalité de l’école était simplement et uniquement celle de sa contribution à la construction de l’enfant en adulte autonome, c'est-à-dire armé des langages lui permettant d’être et d’agir dans et sur la société d’interdépendances où il va vivre et sur lesquelles il pourra aussi agir. C’est là qu’elle deviendrait une école publique (autrement publique) et plus une école d’Etat. Les vrais pouvoirs, ceux qui s’exercent pour les personnes et non pas sur les personnes, pourraient alors cohabiter, on pourrait parler de coéducation.

 J’ai développé plus longuement ce thème dans « Eduquer, co-éduquer, une question de pouvoirs » ainsi que dans des chapitres de « L’école de la simplexité »

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