esperience-pensee

Toute la science est faite d’hypothèses que l’on vérifie ensuite par l’expérience, ou d’hypothèses qui naissent de l’expérience et qu’on vérifie à nouveau. En éducation, on se penche beaucoup sur le déroulement de l’expérience devant aboutir à une découverte précise et prédéterminée par le professeur (découverte et acquisition d’une notion), beaucoup moins sur l’hypothèse et la capacité d’en émettre.

On peut définir l’hypothèse comme une « expérience de pensée ». D’après Wiki, ce serait une « méthode » qui daterait de Galilée, une production de l’imaginaire pur. Elle est imagée la plupart du temps par des métaphores : les paradoxes de Zénon, la caverne de Platon, le malin génie de Descartes, l'âne de Buridan, la chambre chinoise, le bateau de Thésée…

Pour moi, les plus extraordinaires expériences de pensée sont celles qui ont conduit à la physique quantique. Parce que c’est uniquement par l’imaginaire, par la réfutation de l’imaginaire par l’imaginaire, par la confrontation des imaginaires, qu’est née une théorie, d’abord imaginaire, ensuite produisant l’imagination d’expériences qui réussissent à en prouver la validité… ou une certaine validité. Une particule qui peut être là tout en étant ailleurs, qui a vu ça ? N’est-ce pas du délire hors de la raison ?!

Einstein l’a dit et répété : ce n’est pas savoir qui est fécond, c’est imaginer.

Mais d’où provient cet imaginaire ? Certainement pas d’un néant ou d’une capacité innée que n’auraient que quelques-uns de créer avec rien. On peut donc supposer (expérience de pensée !) qu’il s’agit d’une infinité d’informations que le cerveau a emmagasinées sans que nous le sachions et que ses circuits neuronaux se mettent à mettre en relation sous une provocation quelconque. La création et le tâtonnement expérimental de la pensée avec de l’informel à qui le cerveau donne une forme.

La méthode expérimentale de Descartes induit que toute hypothèse doit déboucher sur son expérimentation matérielle immédiate pour la valider ou la réfuter. Dans ce sens, une hypothèse qui ne peut donner lieu à expérimentation matérielle immédiate n’est pas scientifique, d’où aussi le conditionnement par rétroaction de l’hypothèse elle-même. De même que toute hypothèse doit s’appuyer sur des données (informations) observables ou ayant été observées. Le tâtonnement expérimental avec du formel.

Or, ce qui a conduit à la physique quantique et, plus tard, à ses vérifications expérimentales et applications, ce sont des expériences de pensées, réfutées, contredites ou complétées par d’autres expériences de pensées. Imagination, critique de l’imagination, prolongation de l’imagination… il n’y a d’abord que la pensée.

Cette faculté imaginative, tous les enfants la possèdent mais on ne la qualifie pas de scientifique, ce d’autant qu’elle peut s’exprimer à tout moment et pas seulement dans les moments dédiés à la science. Mais on ne la provoque pas, on ne s’en saisit pas, on ne la prend pas en considération. Au mieux, c’est considéré comme un délire sympathique dont il va falloir rapidement faire comprendre qu’il ne repose sur rien, que ce n’est « pas comme ça », qu’il est dans l’erreur. La science, c’est du sérieux, c’est de la manipulation expérimentale qui doit conduire à de l’irréfutable. La « main à la pâte », c’est déjà un progrès par rapport à la transmission directe à mémoriser de l’école traditionnelle, mais elle ne libère et ne développe pas forcément pour tous cette faculté imaginative sans laquelle il faut être dirigé pour arriver là où d’autres veulent vous faire arriver… quand vous y arrivez ou que les autres pensent que vous y êtes arrivés.

L’expérience de pensée, les enfants la font à tout bout de champ, pour tout et n’importe quoi. Il faut d’abord qu’elle s’exprime, parce que c’est aussi dans l’expression qu’elle s’élabore, prend forme et qu’elle va pouvoir se confronter à d’autres expériences de pensée, faire surgir d’autres expériences de pensée. Les enfants en jouissent comme ils jouissent de la confronter à d’autres. Peu importe que ce qui en surgit paraisse abracadabrant. Comme pour nos physiciens quantiques (qui étaient au début niés par leurs confrères) c’est en triturant la pensée que l’abracadabrant devient cohérent, en essayant de le justifier qu’il évolue, diverge, donne naissance à d’autres imaginaires, jusqu’au moment où « mais bon sang ! bien sûr ! » « ce n’est pas impossible ! » et même, « si on essayait » et là, pour essayer, il faudra encore imaginer !

J’ai toujours été abasourdi, quand on laisse dérouler ces constructions de pensée, quand on s’y intéresse sans les détruire d’emblée par son propre savoir, quand on les laisse se confronter à d’autres pensées pour les expérimenter encore par la pensée, par l’étonnante approche de l’univers que font ainsi les enfants, eux aussi sous une forme aussi imagée que Platon et Descartes.

C’est dans tous les domaines et pas seulement celui de la science qu’il faut privilégier, encourager tout ce que peut créer d’apparemment délirant l’imagination. Parce que qu’est-ce qui se développe pendant ce temps ? Des connections neuronales, probablement la production d’hormones, prêtes à être utilisées autrement ! En même temps la conscience de sa propre puissance cérébrale que, trop souvent, on aura inhibée. Avant la connaissance, avant la découverte, avant l’expérience, il y a l’indispensable imagination.

Apprenons à délirer pour tout, à délirer ensemble, cela ne met en jeu que la pensée mais cela l’a crée. Laissons se développer l’expérience de pensée, entraînons à la confronter à d’autres expériences de pensée, utilisons sans cesse le « si… », le « oui mais si… », et la puissance du cerveau s’amplifiera pour tout.

Mais d’où vient cet informel qui nourrit la pensée construisant des hypothèses ? De tout et surtout de toutes les informations captées dans ce qui se fera librement. Mettez un lavabo pour que des enfants se lavent les mains. Il est fort probable qu’il y en aura qui mettront la main pour boucher le robinet, qu’ils l’orienteront pour arroser les copains, qui… Si personne ne le fait, il faudrait même vous inquiéter pour ces enfants. Et vous vous étonnerez peut-être un jour comment ils peuvent imaginer ou comprendre ce qu’est la pression, le débit, la mécanique des fluides… et créer des expériences plus structurées pour corroborer ou invalider ce qu’une imagination aura créé, ce que leur pensée aura subodoré.

Le texte en .pdf : esperience_pensee

Autres billets sur le langage scientifique

Un long chapitre y est consacré dans « L’école de la simplexité » (www.TheBookEdition.com)

Quatre chapitres dans le tome 1 des « Chroniques d’une école du 3ème type » (éd. Instant Présent)

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