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Le blog de Bernard Collot
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8 décembre 2014

Orthographe et simplexité

orthographe

Revenons à un peu de pratique.

Le point qui suscite le plus d’interrogations, parfois le plus d’énergie en ce qui concerne l’écrit (dissocié alors de la lecture), c’est encore et toujours l’orthographe.

« D’où vient qu’une partie des élèves qui ont achevé leurs études, bien loin d’être habiles dans leur langue maternelle, ne peuvent même pas en écrire correctement l’orthographe ? ». 2014 ? Non, 1835 !

La polémique est bien connue, les raisons culturelles et sociologiques de l’attachement à l’orthographe en France aussi, inutile d’en rajouter.

Il n’empêche que l’orthographe pose toujours un problème aux enseignants (même si ces enseignants sont les parents) qui s’évertuent à trouver des méthodes, des pratiques…

Soyons pragmatiques, quel est l’intérêt de l’orthographe ? Il en a un seul, faire comprendre ce que vous écrivez ! Mais tout dépend aussi de ceux qui vous lisent : si leur cerveau a besoin de traduire en sons (d’oraliser) les signes que vous avez couchés sur un papier pour en faire émerger du sens, l’orthographe n’a aucune espèce d’importance ! Prononcez les enfant mange, lé zenfan manje, aucun problème, tout le monde comprend. D’ailleurs c’est généralement comme cela qu’on a forcé votre cerveau à procéder pour lire (méthode syllabique)[1]. S’il en est resté à ce seul stade, ce qui se passe si vous lisez peu et n’écrivez jamais, il y a des chances pour que vous soyez à peu près illettré.

Heureusement, la plupart des cerveaux font ce qu’ils veulent et comme ils veulent et ne se servent pas que de ce qu'on leur a imposé, traduire du son pour donner du sens à des signes qui ne s’entendent pas mais se voient. Lorsque notre cerveau voit lé zenfan manje, les mécanismes opératoires qu’il s’est construits, bien plus rapides que de faire du décodage et de l’interprétation de sons, sont bien embarrassés. Un bon et rapide cerveau est même embarrassé par les enfant : quelque chose ne colle pas. Autrement dit, une mauvaise orthographe va gêner les bons lecteurs, la rapidité et la fluidité de leur lecture.

Donc, d’accord, l’orthographe est importante, parce que l’écrit n’est pas de l’oral, son entrée dans notre cerveau ce ne sont pas les oreilles mais les yeux. Il y a la langue française orale, la langue française écrite, la langue française SMS (aussi écrite)[2], la langue française argot, verlan… etc. Les langues, SMS, argot, verlan… ont, elles aussi des grammaires, une syntaxe… et sont aussi riches de finesses. Chacune s’utilise dans d’autres contextes, sur d’autres supports, crée d’autres espaces de communauté.

Je ne reviendrai pas sur « comment vos enfants ont appris à parler ». Les structures de la langue orale ne s'apprennent pas mais s'intègrent. Or elles sont extraordinairement complexes. L'enfant qui parle les ignore, mais les applique.

C'est identique pour les structures des langues écrites, l'orthographe faisant partie de cette structure (l'orthographe est visuelle et pas auditive). Dans les deux cas, pour les intégrer il ne suffit pas d'écouter et de comprendre ou de lire et comprendre, il s'agit de parler et d'écrire.

L'intégration se fait donc de la même façon. Je parle, on m'écoute, on essaie de comprendre, on me fait répéter correctement pour comprendre et être compris. J'écris, on essaie de me comprendre, on me fait barrer et on me fait réécrire les groupèmes[3] qui ne sont pas compréhensibles pour que les autres comprennent, et au bout d'un certain nombre de fois mon cerveau a fait le reste...[4] Une structure est intégrée et devient opérationnelle pour tous les cas similaires. Et je n'ai rien eu à « apprendre »,... mais j'ai écrit, écrit… !

Évidemment, il faut écrire… même quand on ne sait pas écrire ! Avoir moult occasions, envies, besoins, plaisirs, rires… d’écrire pour faire lire à d’autres. Le seul vrai problème pédagogique, c’est créer un environnement, on peut même dire une ambiance, qui incite à écrire, à s’amuser à écrire… L’adulte n’a plus, lui, qu’à aider en ne transformant pas son aide en corvée pour l’enfant qui s’est essayé, qui a osé[5].

Bien sûr cela n’empêche pas de tenter de glisser de temps en temps une règle de la mécanique de l’écrit, de nommer certaines catégories de termes (c’est un nom, quand il y en a plusieurs c’est le pluriel, la marque du pluriel c’est le s…) certains cerveaux s’en serviront peut-être, mais comme la caractéristique de l’écrit français c’est qu’il n’y a pas l’application systématique de ses innombrables règles, vouloir les faire apprendre (au cerveau) pour ensuite les utiliser pour écrire, c’est comme apprendre à nager en répétant les mouvements de la brasse à plat ventre sur un tabouret au milieu du désert[6] ! Il n’y a que lorsque l’enfant barbote où il n’a pas pied, avec d’autres qui nagent, qu’on peut l’aider à mieux nager.

Toutes les tentatives plus formelles et artificielles que peuvent faire enseignants ou parents pour que leurs élèves et enfants apprennent à écrire avec l’orthographe ne sont pas à jeter au feu tant que ces derniers ne se lancent pas à écrire beaucoup de leur propre chef : la principale utilité, c’est de rassurer… les appreneurs[7] ! Mais une longue expérience montre qu’il faut en relativiser l’efficience, en connaître le côté contreproductif de l’ennui, savoir qu’il faudra vite les abandonner. L’essentiel est de provoquer, l’envie et le plaisir d’écrire, d’écrire pour des milliers de raisons. « On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif » disait Célestin Freinet, mais on peut lui donner soif (un autre billet).

C’est simple de déclencher la complexité !

J’oubliais de dire : ça marche… dans une école du 3ème type !

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[1] Il est absurde de demander à un enfant qui a écrit quelque chose de le lire aux autres. Quoiqu’il aura écrit, il le dira, parfois même sans avoir à regarder sa feuille. On écrit pour que les autres le lisent ! Ce sont eux lorsqu’ils ne comprennent pas qui interpelleront l’enfant. Parmi les autres, l’adulte a une place prépondérante.

[2] On peut supposer que la langue SMS n’en est qu’à ses débuts et qu’elle va se complexifier encore en étendant ses registres. Mais on n'écrit SMS que sur son portable !

[3] Un empan de phrase correspond au plus grand nombre de mots que le sujet est capable de se rappeler pour les restituer immédiatement, généralement en respectant l’ordre de présentation. La lecture normale procède par empans. Un groupème est un ensemble de mots orthographiquement indissociables : « un empan » (et non pas empan), « en respectant » (et non pas respectant), « pour les restituer » (et non pas restituer), etc. Faire copier des mots isolés comme il est fréquemment fait est stupide. "l'enfant" et "les enfants" symbolisent dans le cerveau deux représentations différentes, enfant seul n'a pas de sens.

[4] Il y a un avantage constaté (en ce qui concerne l’orthographe) à l’écriture manuelle pendant l’apprentissage : à la mémoire visuelle s’ajoute la mémoire corporelle (gestuelle). Faire barrer à la main un groupème erroné pourrait contribuer à l’effacer de la mémoire pour lui substituer celui réécrit en dessous. « les enfantS » induiront « les chienS », « les chatS »… jusqu’au moment où tomberont « les chouX » ! Alors votre savoir leur fera écrire « les chouX, les caillouX »… Aïe ! Zut ! À un moment il y aura « les fouS » ! Heureusement, le cerveau aura de la place pour emmagasiner tellement il sera habitué !

[5] Si, par exemple, écrire une lettre résulte en la correction par l’enfant de toutes ses fautes avec explications en attendant de la mettre à la poste, prudemment il ne s’engagera pas dans l’écriture d’une seconde lettre ! Et tout le travail qu’on lui aura demandé n’aura servi à rien. Chaque fois c’est seulement sur un type d’erreur qu’on va lui demander de barrer des groupèmes et les réécrire… pas plus d’une minute ! Le reste, c’est l’adulte qui corrige, l’enfant réécrit le tout et la lettre est expédiée ! Quand dans les écrits suivant un type d’erreur n’existe plus, on passe à un autre !

[6] Pourquoi autrefois c’étaient les mouvements de la brasse (une grammaire) qui étaient utilisés ? Parce que, à plat ventre sur un tabouret, on ne pouvait pas faire répéter les mouvements de la grammaire du crawl !

[7] Dans la relation d’apprentissage, les plus fragiles et les plus inquiets sont… les appreneurs !

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