Trois jours d’immersion chez « Les petits ruisseaux » de Lorient…
... et un projet d'école différente pour le moins original !
Il est rare qu’un « étranger » puisse « pénétrer » quelques heures ou quelques jours dans l’intimité d’un groupe porteur d’un projet. C’est ce que m’ont offert « Les Petits ruisseaux » de Lorient. Trois soirées, deux jours de discussions intenses et passionnées, quasi non stop !
Une fois de plus, c’est la façon dont se constituent tous ces groupes créateurs de projets apparemment impossibles qui est semblable. Ce n’est pas encore très visible mais de plus en plus important, partout naissent et émergent des aspirations que l’on pourrait qualifier aspirations de vie ou d’une autre vie. Dans notre cas, c’est bien sûr la naissance d’un enfant, parfois ces premiers moments dans l’école, qui transforment une aspiration en une nécessité vitale.
VITAL ! Parce que, ce qui m’a frappé c’est que pour toutes ces mamans et tous ces papas, il ne s’agissait pas « d’offrir » un mieux ou un plus à leurs enfants, un à côté pour compenser. Il s’agissait d’assurer la continuité de l’épanouissement de leurs enfants sans lequel ils ne peuvent devenir des adultes solides, libres, autonomes pouvant s’empoigner de leurs propres vies. Ce n’était simplement qu’assumer leur responsabilité naturelle et complète de parents.
Comment ces aspirations disparates sur un territoire ont-elles pu se repèrer, converger pour constituer, à un moment, une entité qui veut concrétiser les aspirations ? C’est toujours mystérieux ! Rencontres fortuites, information pêchée, une conversation qui fait dresser l’oreille… Puis d’autres viennent se greffer… Il est probable que lorsqu’une aspiration devient vitale, votre façon d’être la rend visible, peut être perçue par d’autres. Déjà, c’est de l’informel ! Et puis, il y a le sujet commun à tous : l’enfant. Sans un intérêt commun, aucune entité sociale ne peut se constituer[1].
Il s’en suit une caractéristique de beaucoup de ces groupes, particulièrement perceptible chez les « petits ruisseaux », il n’y a pas de chef, pas de leader. Ils constituent, sans le savoir, un système vivant ayant sa force, ses capacités d’adaptation, d’évolution, son auto-structuration naturelle dans les complémentarités de chacun, les interrelations… et le respect absolu des uns et des autres, des différences. C’est très impressionnant et j’ai été très impressionné et admiratif.
Cela fait plus de quatre ans que ce groupe de parents cogite intensément. Quand je dis intensément, c’est dans son sens le plus absolu ; pendant ces journées j’en étais presque venu à me dire « mais quand est-ce qu’ils pensent à autre chose ?! »… Lorsque je vous disais qu’il s’agissait bien du vital, ce n’était pas une façon de parler.
Lorsqu’on a des enfants, il ne s’agit pas de se contenter de perspectives lointaines et utopiques. C’est l’immédiat qui importe. Chez « Les petits ruisseaux », à la suite s’une crèche parentale ils ont d’abord créé des ateliers Montessori. Mais les enfants grandissent vite ! Il fallait impérativement créer autre chose… et vite. Nous savons tous que pour faire ce que l’Education nationale ne veut pas faire on se heurte aux problèmes des locaux à trouver, des financements. Celui de savoir ce que les enfants feront dans ce lieu et de trouver des parents voulant faire ce choix n’est plus, lui, un problème. Recherche de locations : espoirs et déceptions. De subventions, de mécènes : très intéressant votre projet mais… De quoi décourager les plus convaincus.
Un projet que beaucoup trouveraient insensé !
Ma grand-mère me disait : « quand tu cherches vraiment, tu trouves toujours ce à quoi tu n’avais pas pensé ». Ce qu’ont trouvé les petits ruisseaux vaut la peine d’être conté.
Le maire d’une petite ville très proche de Lorient a une magnifique école de hameau à vingt mètres de la mer. Sur ses trois classes, il ne reste plus que la maternelle. Vue l’évolution démographique (résidences secondaires, personnes âgées) vue la politique concentrationnaire de l’Etat, sa fin est plus que prévisible. Or, ce maire qui a vécu enfant dans ce hameau y est très sentimentalement attaché et cherchait une solution pour la sauvegarder et l’occuper entièrement. Il a raison, laisser disparaître un tel bijou serait un crime.
Et cela a été la rencontre improbable ! Pourrions-nous nous installer ou installez-vous dans une partie de l’école ! Vous vous rendez compte de l’incongruité du projet : une école privée laïque s’installant dans une partie d’une école publique !!!! Je n’aurais même pas osé y penser !
Rien n’est impossible. Rencontre avec l’administration départementale de l’Education nationale. Pas franchement emballée, mais lorsque le projet est habilement présenté, lorsqu’il y a un maire d’une petite ville qui compte dans le paysage politique d’un département, l’EN n’est plus franchement opposée. Elle argumente sur ses propres difficultés (que vont dire les syndicats ?), sur les textes de loi,… pourrait donner le feu vert si un mur empêche les deux unités ainsi créées de se voir et de cohabiter, etc. Mais, et c’est pour une fois tout à son honneur, l’administration ne les a pas envoyés paître !
Et puis il y a aussi les réactions d’un conseil municipal et de son opposition, des habitants… ce qui impose de faire payer une location selon les critères de la commune ce qui devient exorbitant et impossible pour le budget des parents qui doivent payer, etc…
Mais rien n’arrête personne, à tout problème il y a une solution.
La solution envisagée qui résoudrait tout, ce serait évidemment que l’académie s’approprie un projet qu’elle n’aurait plus qu’à prendre clefs en main, un projet étudié depuis 4 ans par des parents et des enseignants. Pensez donc : une école « expérimentale » ou « innovante » où deux pédagogies reconnues, Freinet et Montessori, se croiseraient puisque deux des chevilles ouvrières du projet pédagogique sont l’une formée et expérimentée dans la pédagogie Montessori, l’autre formée et expérimentée dans la pédagogie Freinet et le multi-âge dans l’école publique. Une école expérimentale où l’environnement provocateur de tous les apprentissages serait la mer ! A Lorient où trônent les portraits d’Eric Tabarly ou des corsaires ! Quelle image serait cette école, et pour l’Education nationale, et pour Ploemeur, et pour Lorient !
Et bien, pour avoir passé trois jours avec eux, pour avoir visité l’école avec eux, avec l’élue et la directrice du département éducation de la ville de Ploemeur, pour les avoir vus déjà mesurer, projeter des aménagements… je suis certain que l’impossible, ils vont le réaliser !
[1] On peut se poser une question : qu’est-ce qui favorise le repérage dans une société dite de la communication où tout est devenu plus ou moins une masse informe ? Beaucoup de parents (et même des enseignants) se pensent isolés, donc impuissants. Mais quel soulagement et aussi quel regain d’espoir lorsqu’ils peuvent enfin se dire, « Je ne suis plus seul ».
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