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Le blog de Bernard Collot
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3 juillet 2015

La violence institutionnelle ordinaire de l’école

violenceExtrait de « l’école de la simplexité », TheBookEdition.com

Un problème qui n’est pas celui d’une école de 3ème type.

le texte en .pdf : Extrait_Violence 

« Violence » est un terme qui fait la une des médias depuis la fin du XXème siècle. Curieusement surtout lorsqu’il est associé à l’école ou aux « jeunes »[1]. Lorsque c’est plus général, on parle d’insécurité… en période électorale. Dans les deux cas, la réponse est l’accroissement de la coercition, de la surveillance. On n’ose pas encore mettre des miradors et des barbelés dans les cours d’école, mais on n’en est pas loin avec les caméras de surveillance, les portiques magnétiques, les fouilles de cartables et la mise au pilori des parents. La seule réponse syndicale étant « donnez-nous des moyens ». Ce qui évite de se poser la question de l’essence même de l’école, accessoirement de l’organisation sociale et de la société telles elles sont en train de fuir de plus en plus vite en avant. On admet bien qu’il y a des causes extérieures, économiques, ce qui n’est pas faux mais qui évite aussi une remise en question plus profonde du système éducatif.

Posons-nous la question : l’école est-elle un lieu de vie ? Un lieu agréable ? Un lieu d’interrelations apaisées ? Un lieu où une certaine liberté d’action, d’initiative est possible ? Un lieu où l’expression non conforme peut exister ? Un lieu sécure et pas seulement sécurisé ? Un lieu où chacun peut participer à l’organisation et à l’aménagement de son cadre parce qu’il y a intérêt, des projets à y réaliser ? Un lieu où l’on puisse sentir que l’on est pris en compte, reconnu ? Un lieu où le plaisir, la joie, la jubilation ne sont pas bannis ? Un lieu d’expériences sociales ?

La question est d’autant plus grave que, depuis quelques décennies, l’enfant puis l’adolescent y passent l’essentiel de leur temps de vie, parfois de deux ans à dix-huit ans, de huit heures du matin à parfois dix-huit heures le soir. Qu’on l’admette ou non, c’est aujourd’hui dans le temps de l’école que l’enfant se construit en adulte tout simplement parce que ce temps est devenu mathématiquement l’essentiel de son temps de vie. Les « jeunes » dont on se plaint sont, de facto et en grande partie, les « produits » de l’école.

Je vais être abrupt : les pédagogies actives, coopératives, réduisent la violence, l’école de 3ème type l’élimine. Je ne m’aventurerais pas à le dire si cela n’avait pas été prouvé et démontré. Les raisons en sont souvent de simple bon sens.

La première violence est bien évidemment l’obligation. Les enfants sont captifs de l’école, y sont enfermés au sens propre du terme. Les parents aussi sont captifs puisqu’ils n’ont aucun choix, en dehors des privilégiés. On a beau enjoliver cela, dire que si les enfants n’y allaient pas ce serait bien pire, que c’est pour leur bien, il n’empêche que c’est bien un enfermement quotidien, ceux qui s’y soustraient ou en échappent étant sanctionnés, par l’école pour les enfants, par la justice pour les parents.

L’obligation perd de son sens lorsque l’école est un lieu où les intérêts des enfants peuvent se satisfaire, s’étendre, où ils peuvent trouver du plaisir à y être.

L’absence de liberté de choix des parents revient à les considérer comme des personnes irresponsables, incapables de réflexion, incapables d’assumer un choix autre que celui que l’État fait pour eux comme il en fait bien d’autres pour ses citoyens qui, en fait, ne peuvent plus être citoyens. C’est la violence ordinaire de l’État qui nie les personnes et ne peut qu’obtenir en retour la rébellion des uns, la soumission, la passivité ou le désintérêt des autres.

La taille des structures scolaires.

C’est la plus simple, la plus facilement audible, quelles que soient les approches pédagogiques. Tout le monde sait et admet que la surcharge des prisons augmente la violence des incarcérés, en même temps que la violence des mesures et de ceux qui sont chargés de la contrer et de s’en défendre. Tout le monde, y compris les gouvernements, admet que la construction de nouvelles prisons est une nécessité… humaine en même temps qu’économique ! On n’hésite même plus à penser qu’une prison doit être aménagée pour rendre la vie ( !) des prisonniers supportable, même des pires criminels. La comparaison peut choquer. Mais si on considère que le terme « incarcérer » peut signifier obliger une personne à rester un certain temps dans un lieu sans possibilité de s’en échapper, pour y effectuer ce qui lui est imposé (et ne pas faire autre chose), on peut admettre ce rapprochement. En soi, l’école obligatoire est bien une violence, même si c’est une violence que l’on peut penser nécessaire ou que l’on n’ose plus remettre en cause. Il faudrait au moins la rendre tolérable.

Que la taille des structures scolaires soient à la dimension des enfants et des adolescents qui non seulement doivent y vivre mais aussi qui doivent les faire vivre, y exister plus qu’y subsister, est du simple bon sens. Faire passer brutalement de jeunes enfants de l’espace relationnel familial à un espace où sont entassés souvent une centaine d’enfants de son âge est une folie, tant sur le plan affectif que sur ceux de la cognition et de la socialisation. L’école produit à l’inverse une désocialisation de ce simple fait. Toute socialisation* ne se plaque pas, ne s’impose pas, mais se construit progressivement dans des espaces* relationnels qui s’agrandissent. Toute violence peut être considérée comme une absence de socialisation[2], une impossibilité à se situer, se reconnaître parmi et avec les autres. La socialisation n’est pas possible dans les entassements, dans les troupeaux même bien gardés.

Entendons-nous : lorsque je parle de taille des structures je ne parle pas du ratio maître/élèves. Si ce ratio peut avoir une importance dans un enseignement traditionnel frontal où tout repose sur le maître, il est plus relatif lorsque la construction des langages* repose sur la réalisation de projets* par l’enfant, ce qui est un des fondements d’une école du 3ème type. Dans ma classe unique, l’effectif a pu grimper à une trentaine d’enfants sans problèmes. Il s’agit de la taille globale de chaque école. Chacune doit être considérée comme une entité qui puisse être perceptible, appréhendable par ceux qui l’occupent et doivent y vivre, participer à son organisation, ses règles. Non pas comme une succession de cases, isolées les unes des autres, qui n’ont souvent même pas la caractéristique des stabulations.

Un espace habitable

Ces structures doivent aussi disposer d’espace*. Si l’on fait le rapport surface disponible et nombre d’enfants, il est parfois effrayant. Ce d’autant que l’enfant y est condamné à n’y rester que assis la plus grande partie du temps. S’étonner lorsqu’il y a explosion lors de la libération dans une cour de récréation, simple espace bétonné où l’entassement se poursuit, défie le bon sens. Pour poursuivre la comparaison volontairement choquante avec le milieu carcéral, les cours de récréations sont des lieux de violence sourde ou affichée, de domination, de naissance de bandes… Des lieux de socialisation sauvage où l’enseignant se place résolument dans la position du simple gardien devant éviter que les exactions provoquent des dommages corporels. Si l’on veut savoir ce qu’est l’école, il suffit d’observer avec attention ce qui se passe dans une cour de récré ou comment s’effectuent l’entrée et la sortie de l’établissement. Un document remarquable, « récréations » a été produit par les films de « l’Interstice ». Pourra-t-on voir un jour un aménagement extérieur aux bâtiments scolaires avec de l’herbe, des recoins, des bancs, des kiosques, … quelque chose à y faire, à y prendre plaisir ?

La disposition d’espace et son aménagement ne sont pas seulement nécessaires pour que puissent s’y développer les activités cognitives diverses nées des projets, de ce que j’ai appelé le traitement de l’information* dans cet ouvrage, mais aussi pour permettre la mobilité, la respiration sociale, voire l’isolement. L’école est le lieu de la promiscuité permanente avec toutes ses conséquences. Il faut se rendre compte que le seul endroit où beaucoup d’enfants peuvent se retrouver momentanément seuls, chez eux ou à l’école, ce sont les WC. Et encore, à l’école ce n’est même pas évident.

On a souvent dit que la tranquillité apparente des petites écoles rurales était due au caractère paisible des ruraux, à l’absence de problèmes sociaux. L’analyse ne tient pas la route. Les travaux des sociologues ou des géographes comme Yves JEAN[3] ont montré les transformations profondes de ce qu’ils appellent maintenant le périurbain, la paupérisation des campagnes où l’on va retrouver les mêmes taux de personnes en difficulté économiques, voire plus, les mêmes difficultés relationnelles, les mêmes difficultés et violences familiales subies par les enfants. Elles sont simplement moins apparentes parce que moins concentrées, plus diluées dans l’espace. Si on peut encore constater une certaine différence entre la violence scolaire urbaine et la violence scolaire rurale, cette différence s’amenuise sans cesse et n’est due qu’à la taille des structures, à l’espace libéré par la suppression de classes lorsque les enseignants l’utilisent pédagogiquement.

L’école devrait être une maison d’habitation puisque les enfants y habitent une bonne partie de leur vie. Dans la conception de ses espaces qui arrivent à ressembler à des cabanes à lapins, elle n’est le plus souvent qu’un lieu d’élevage, pour ne pas dire de dressage, conçu dans ce sens et non pas pour « élever » l’enfant au sens noble du terme. Le principe de l’architecture scolaire c’est une série de cases (salles de classe), souvent alignées dans l’ordre de la chaîne scolaire, dans lesquelles sont entassées chaque tranche d’âge sensée recevoir les pièces éducatives qui doivent s’ajouter aux pièces précédentes. L’école récolte ce qu’elle cultive.

L’école intégrée à un territoire.

On l’a appelée pendant longtemps «l’école communale ». Même si le qualificatif ne se rapportait qu’à une obligation financière des collectivités locales et n’était en fait que cela, elle constituait cependant un des lieux de repères identitaires de la communauté : on allait à l’épicerie, à la poste, à la rivière, pour quelques-uns à l’église, et on allait ou on ira à l’école, à son école. Elle était connue avant même qu’on y entre. Elle produisait aussi ses anecdotes communautaires, était inscrite dans l’histoire du territoire, contribuait à sa vie.

Dans les pédagogies actives ou pour une école du 3ème type, le territoire alimente l’école, pas seulement en y envoyant ses enfants. De ce fait le territoire représente en lui-même une valeur, quel qu’il soit. Il y a une co-valorisation, une reconnaissance mutuelle. Le territoire fait vivre l’école et l’école fait vivre le territoire. L’identité de l’un est liée à celle de l’autre. Elle permet l’appartenance.

La réappropriation nécessaire de son école par la communauté. Une école du 3ème type est un des espaces éducatifs du territoire, un carrefour éducatif, une maison éducative commune.  Non seulement les tensions diminuent dans les deux espaces, mais l’intérêt porté par une collectivité à « son » école permet alors des choix, parfois des sacrifices financiers, va justifier une fierté. L’école, ce que l’on peut en faire, devient l’enjeu de tous. Ceci n’est pas une vue de l’esprit. On connaît la résistance farouche de villages s’opposant à la disparition de « leur » école. On connaît moins bien des expériences urbaines comme par exemple celle de La Villeneuve de Grenoble où, dans un quartier renommé pour sa dangerosité, on avait implanté une école dans les bâtiments même de la cité. Elle y était associée étroitement avec d’autres espaces associatifs (bibliothèque, espace vidéo, etc.), ouverte de ce fait à la population, intimement mêlée à elle. Les résultats quant à la violence et à l’échec scolaire y avaient été remarquables (il est vrai aussi que les pédagogies allaient résolument dans le sens des pédagogies actives, en particulier de la pédagogie Freinet mise en place par l’équipe fondatrice). Comme toujours, on y a mis un terme il y a quelques années et détaché l’école du territoire de vie… et fait réapparaître les phénomènes contre lesquels on dit lutter. Les derniers petits collèges ruraux, rayés de la carte scolaire contre la volonté des populations alors qu’ils restaient des lieux exceptionnels recherchés malgré ou à cause des pédagogies actives pratiquées, le regroupement d’écoles dans des « établissements publics d’enseignement primaire », sont d’autres exemples de l’industrialisation scolaire forcenée que l’on cherche à accentuer.

L’école ordinaire apparaît et est réellement détachée des lieux de vie auxquels elle s’oppose ou qu’elle ignore. Elle n’assure aucun prolongement ni sécurité affective.

L’école du 3ème type est résolument une école de proximité. Elle émane d’un territoire qui peut lui-même se percevoir, constituer une communauté éducative et s’assumer en tant que telle, prendre alors en charge l’analyse et la résolution de ses tensions. Si elle doit être à la taille des enfants qu’elle accueille, elle doit l’être aussi à la taille d’un territoire humain (un village, un quartier, voire partie d’une cité).

Ces deux premiers points supposent que l’on cesse la fuite concentrationnaire et l’éradication des petites unités scolaires, ce qui est facile. Ensuite que l’on fasse un effort qui paraît démesuré de restructuration et de reconstruction du parc immobilier scolaire. Les États, les collectivités, ont bien fait à d’autres occasions des efforts gigantesques sans que cela ne pose vraiment de problèmes, en particulier après les destructions massives et démentes des deux dernières guerres mondiales. Les efforts sont toujours à la mesure des enjeux. Et en attendant, on peut toujours scinder les gros établissements en plusieurs unités autonomes comme il a été fait dans quelques établissements comme l’école Ballard dans le quartier de La Paillade de Montpellier avec 10 classes uniques.

L’hétérogénéité

Pour bien d’autres raisons, une école du 3ème type est nécessairement multi-âge*. De ce fait sont éliminés bon nombre de facteurs d’agressivité. Y disparaît la lutte de leaders qui semble inhérente à notre forme de société. S’il y a besoin de s’affirmer, il ne passe plus par l’aspiration à dominer ce qui est pris pour des concurrents, voire des adversaires. Chacun occupe toujours une position où il peut se considérer et être considéré comme disposant d’un pouvoir (capacité de faire) qui lui est propre et qui peut être utile aux autres, demandé par les autres. Se reconnaître et être reconnu sans avoir à le conquérir par une lutte. Un plus grand, même malhabile dans un domaine, pourra toujours aider ou être sollicité par un plus petit qui de ce fait sera un élément de valorisation et n’aura plus à se soumettre. La concurrence, crédo d’une société libérale et considérée comme source de progrès, est éliminée. La reconnaissance (auto-reconnaissance, je peux me reconnaître, co-reconnaissance je peux reconnaître les autres et être reconnu par eux) est une des clefs, et des apprentissages, et de la socialisation. Dans une classe hétérogène, cette reconnaissance y est naturelle. La complémentarité se substitue à la concurrence.

Une approche éducative violente ou non violente

L’école constitue en elle-même une violence institutionnelle et on sait que toute violence en génère d’autres. Cette violence n’est pas seulement celle de son obligation.

J’ai, dans cet ouvrage et dans d’autres, dénoncé sans relâche la conception industrielle de la transmission des savoirs. Le système éducatif est constitué comme une chaîne industrielle tayloriste[4]. Ce qui induit que dans chacun de ses maillons, pour que les opérations de transmission réalisées par les OS de l’éducation (professeurs) soient possibles, il est nécessaire que les pièces présentes (élèves) soient identiques et aient été modelées de façon conforme par le maillon précédent. Comme dans toute chaîne industrielle, les pièces non conformes à la sortie de chaque maillon sont rejetées, soit pour être recyclées quelque part, soit jetées au rebus. Il y a donc une série de contrôles de conformité jusqu’au contrôle final (bac). La finalité du système, en dehors des déclarations de principe, se réduit à l’obtention d’un papier, d’un certificat. Celui-ci étant sensé ouvrir simplement les portes de l’emploi, c'est-à-dire l’obtention d’une place dans la machine socio-économique. Non seulement cette finalité apparaît de plus en plus comme un leurre, mais elle ne peut pas répondre à ce qui justifierait, pour un enfant jusqu’à un adolescent, le fait qu’il aille à l’école. « Apprendre » n’est qu’une abstraction pour un enfant, sa finalité n’est qu’en elle-même. « La soif d’apprendre » dont on se plaint qu’elle disparaît, est annihilée quand elle ne provient pas du sujet, de sa curiosité, mais doit correspondre à un menu imposé dans une cadence tout aussi imposée. Il n’y a aucune convergence entre les finalités floues ou fallacieuse d’un système éducatif, et les finalités que pourraient y trouver ceux qui ont à y vivre… qu’ils finissent par ne plus pouvoir trouver. Pourquoi pourrais-je avoir envie d’aller à l’école ?

Cette conception de la transmission des savoirs* par une chaîne de type industriel, non seulement est fondée sur une conception erronée de cette transmission, mais elle transforme nécessairement des sujets en objets. L’enfant y est élève. Un objet évalué. Il n’a d’identité que par une appréciation. Si on l’appelle encore par son prénom puis par son nom, il est identifié par un chiffre (note), par sa position dans des statistiques par rapport à une norme : bon élève, mauvais élève, élève en difficulté. Sa « valeur » ne tient que par l’étiquette qui lui est attribuée par un chiffre, dans le meilleur des cas par un diagnostic ou ce qui s’apparente à un résultat d’analyse de laboratoire médical. Ouf ! Je ne suis pas malade ! Mais qui suis-je ? Etiquette qui le poursuit : « Cela a bien marché tes contrôles ? », « Qu’avez-vous comme diplômes ? » « Je suis bac + 5 ! ».

La conception de la chaîne de transmission massive, fragmentée, programmée, avec ses buttoirs, impose aux enseignants de manipuler des objets plutôt que des sujets, de placer, déplacer, agencer des pions, aussi bien dans les activités demandées que dans l’espace géographique de l’école. Les enfants, devenus élèves, sont à la merci de ce qu’impose la bonne marche d’une machine. Ils doivent abandonner toute possibilité d’initiative. Ceci sans mettre en doute, ni les intentions, ni l’humanité de ce que l’on peut appeler les opérateurs. Mais, malgré toutes les coercitions, manœuvres pédagogiques, on n’arrive pas, quoi que l’on fasse, à ce que les enfants ne soient que des objets, aussi dociles que leurs chaises. On ne peut empêcher qu’ils aient des comportements, des réactions de sujets. « Restez assis, taisez-vous, dépêchez-vous… ». Ces injonctions permanentes ne relèvent pas forcément d’une négation de l’enfant mais sont nécessaires pour que fonctionne le système mécanique que l’on croit producteur d’apprentissages. Il induit naturellement deux violences. Celle de l’enfant prise pour de la subversion, de l’insubordination, alors qu’elle n’est que manifestation de son être, nécessité d’exister, parfois même simple nécessité physiologique. Celle de l’enseignant exaspéré par son incapacité à opérer quand chacun ne peut se plier à l’ordre qu’il pense nécessaire d’imposer. Le « désordre », quand on ne l’appelle pas le « bordel », c’est le premier symptôme des « objets » qui n’arrivent plus à n’être que de simples objets. D’ailleurs, lorsque l’ordre règne il produit l’autosatisfaction du professeur, une preuve de sa valeur, de son autorité, peu importe que l’ordre ne produise pas, pour tous les enfants, les constructions cognitives pour lesquelles on l’instaure. L’autorité, dont on ne cesse de demander son rétablissement, ne consiste qu’à maintenir les objets élèves à leur place et à leur faire exécuter ce qui leur est demandé pour le bon fonctionnement de la machine. 

Cette réduction de sujets en objets est fondamentalement insupportable. N’y trouvent leur compte ou ne tirent leur épingle du jeu que ceux préalablement suffisamment forts, ceux dont la situation extérieure à l’école (essentiellement familiale) permettra de compenser ce qui n’est alors qu’une fabrication, ou d’en profiter. Pour les autres elle ne peut aboutir qu’à la passivité (intellectuelle et sociale), le renfermement sur soi, ou à l’explosion, la révolte. On peut considérer cette dernière comme un réflexe de survie psychologique. Lorsque l’on analyse les phénomènes de violence d’élèves vis-à-vis de leurs profs, qui font d’ailleurs immédiatement la une des médias, c’est toujours le sujet qui cherche ainsi à ne plus être un objet. Il n’a plus que cette solution… pour exister. On met cela sur le compte de l’indiscipline, de l’a-socialisation (ce qui est le cas, et pour cause !). On n’observe jamais que c’est le terme d’une souffrance, le plus souvent sourde, parce qu’on ne peut envisager le poids castrateur d’une institution négatrice de la personne. On ne peut l’envisager puisque l’on y participe, même si l’on tâche d’y être le plus humain possible.

Ceux qui ont à charge de faire fonctionner la machine éducative subissent eux-mêmes sa violence qui engendrera la leur, soft ou plus hard vis-à-vis de leurs élèves. La soumission aux résultats chiffrés, en temps voulu (surveillance du chiffre, dictature du programme). L’impossibilité d’atteindre ces résultats en appliquant des instructions contradictoires (l’échec récurant et en accroissement permanent du système éducatif devrait interroger les dirigeants de ce système sur l’efficience de ce qu’ils imposent). La fausse liberté pédagogique (liberté de faire comme ils veulent… ce qu’on leur demande de faire et dont on ne sait pas comment ils peuvent le faire) ne fait que rendre les enseignants responsables des échecs de la machine (après les enfants et les parents !) La peur de l’inspecteur, dans un rapport hiérarchique infantilisant que l’on ne retrouve de façon aussi généralisé que dans l’Éducation nationale. Rajoutons l’attente des parents qui n’est pas toujours celle du résultat, tout au moins pas le même, leur angoisse. Rajoutons la pression de la société qui demande à l’école, telle elle est, de lui fournir des citoyens (théoriquement plus des élèves-objets) qui s’adaptent et se plient aux besoins d’une autre machine économique et sociale. La pression est immense. Elle contribue à l’enfermement de l’école sur elle-même, l’enfermement de sa violence dans ses propres murs, ce qu’elle n’arrive même plus à faire.

L’échec

Plus une organisation est en échec, plus elle engendra des réactions de violences des individus, en son sein, à l’extérieur, si elle ne se remet pas en question. Il est symptomatique que l’on parle toujours de l’échec de l’enfant, pas de celui de la conception éducative. L’échec, quand il est la preuve de l’impuissance, quand cette impuissance met en jeu votre confiance en vous, quand il n’est pas inclus dans le processus naturel du tâtonnement expérimental*, provoque, physiologiquement… des décharges d’adrénaline ! Colère ou caprice du jeune enfant qui n’arrive pas à faire ce qu’il veut ou qui n’obtient pas ce qu’il pense juste d’obtenir. Les incroyables violences verbales et publiques des anti-pédagogues en ce début du XXIème siècle provenaient toutes d’enseignants en difficulté (ils l’avouaient eux-mêmes) parce que les enfants et les adolescents ne se pliaient pas au seul cadre dans lequel ils voulaient opérer. On ne peut mettre en doute leur impuissance (qui n’excuse en rien leur violence). Mais ces comportements infantiles, non seulement ne résolvent rien mais se contentent de répondre à la violence par la violence (le parent qui face au caprice de son enfant, ajoute claques sur claques).

On veut lutter contre l’échec scolaire mais le système éducatif est basé sur l’échec. Les enfants sont condamnés… à son contraire, réussir. Ce n’est pas parce que l’on ne pointera que les réussites que l’on éliminera la non-réussite. L’échec scolaire, c’est la non adéquation entre ce que l’enfant est et ce que l’on attend de lui, ce n’est même pas l’échec de ce qu’il entreprend, le seul sens que l’on pourrait lui donner. On ne demande pas aux enfants d’entreprendre. Au contraire, l’entreprise est alors subversive, déstabilisatrice du système qui seul peut, dans le meilleur des cas, entreprendre. Les écoles, microsystèmes, ont d’ailleurs bien du mal à entreprendre quand l’entreprise s’appelle innovation. Encore une des contradictions d’un système politique fondé sur la libre entreprise (au moins officiellement) qui éduque ses enfants dans l’impossibilité d’entreprendre. Si tu n’es pas ce que j’attends de toi, tu n’es pas. Au mieux tu n’es qu’un enfant en difficulté. En difficulté par rapport à la norme que j’ai fixée.

L’échec est nécessaire[5] puisqu’on l’utilise à la fois comme seul moyen de pression que l’on ose parfois appeler motivation (Si tu ne réussis pas tu es foutu !) et comme moyen de tri et de sélection. Il s’en suit un autre fondement de l’école et de la société actuelle, la compétition[6]. Avec son corollaire à l’école, la comparaison. Les bons et les médiocres, les nuls. Même si l’on est dans les meilleurs par rapport à la norme attendue, on sera encore en échec si on n’est plus le meilleur. Le dépassement n’est pas celui de soi-même mais le dépassement des autres.

L’école est une course pour atteindre une norme et s’y maintenir. Les enfants (et les adultes) finissent par n’être plus que cela, une position par rapport à ce qu’ils doivent être, même si heureusement ce qui reste de vie hors de l’école peut y apporter des nuances, ou malheureusement lorsque cette vie ne fait que l’accentuer. On n’évalue pas encore à quel point l’échec scolaire, en donnant comme finalité à l’école l’atteinte d’une conformité, empêche la construction de la personne et induira la révolte que l’on ne peut que qualifier de survie. Lorsque l’on annonce que l’on va lutter contre l’échec scolaire en maintenant dans l’état un système de fabrication de la norme, on ne fait qu’enfermer un peu plus les objets de cette attention dans leur caractéristique d’objets en difficulté qui devient la seule image d’eux-mêmes. Il leur faudra bien trouver les moyens d’exister, de se situer, de trouver des situations où ils pourront se manifester… hors norme scolaire, hors norme sociale. L’a-socialisation restant la seule porte ouverte. Lorsque l’enfant ou l’adolescent est, dans l’école, mis en état d’infériorité par rapport aux autres plus conformes, dévalorisé, stigmatisé, il sera conduit à se « venger », à se retrouver une place par d’autres moyens dont la domination, dans la cour de récré, dans la rue.

La socialisation*

Venons-en alors à la socialisation*. Il en est question dans d’autres chapitres, mais pointons ici l’absence de socialisation à l’école ou de sa fausse socialisation. Deux définitions classiques : « Apprentissage de la vie en société visant l'adaptation à l'environnement social, par l'assimilation des normes, des valeurs, des structures intellectuelles et culturelles et des savoirs pratiques du milieu » ou  « Processus d'intégration à la société, apprentissage de la vie de groupe ». C’est évidemment la première qui tient lieu de socialisation à l’école. Poussée dans sa caricature : songe-t-on qu’aujourd’hui encore un enfant doit demander l’autorisation pour aller faire pipi, que cette autorisation peut lui être refusée ou être associée d’une réprimande ou d’une sanction, presque toujours d’une stigmatisation ? Satisfaire un besoin physiologique, la mixtion dont on sait que son contrôle demande du temps pour les jeunes enfants, dont on sait que la retenue peut avoir des conséquences (elle a des conséquences psychologiques de toute façon) est soumis à l’autorité. Pour quelles raisons ? Evidemment la machinerie scolaire (la classe) est troublée si les enfants peuvent quitter leur chaise et la salle de façon inopinée. Et puis il y a le soupçon que l’envie ne soit qu’un prétexte pour prendre l’air, pour échapper à un ennui. Et puis encore la sacro-sainte sécurité : qu’est-ce qui risque de se passer sur le trajet des WC, dans les WC ? Cet exemple aberrant caractérise le type de socialisation scolaire qui n’est que du dressage, la soumission à l’autorité et aux règles qu’émet cette autorité pour maintenir l’ordre dont elle a besoin (pas celui dont les enfants ont besoin). Ces règles ne sont que celles de l’interdit que l’on retrouve dans tous les règlements intérieurs : « Tu ne dois pas… ». Le « Tu peux… » est rarissime. Jusqu’à la position occupée quotidiennement dans une classe qui souvent ne peut dépendre de la moindre initiative. L’ordre scolaire, c’est celui de ses chaises, de ses sonneries, de ses traits à 4 carreaux de la marge, du numéro des pages des manuels… C’est la socialisation de la soumission. Elle ne peut aboutir qu’à deux comportements, la passivité ou la révolte.

Nous sommes loin de « l’apprentissage de la vie de groupe ». Il n’y a pas de groupes dans l’école, il n’y a qu’un troupeau conduit. Cet apprentissage ne peut se faire que dans la cour de récréation. Nous avons vu plus haut que s’y développent les formes primitives d’organisation sociale, les bandes[7].

La violence des parents

Une dernière violence scolaire est à considérer : la violence parentale vis-à-vis du personnel enseignant, qui fait aussi la une des médias. Celle-ci, si elle ne s’excuse pas plus que les autres, s’explique très bien. Nous avons évoqué les parents* dans deux autres chapitres. Reprenons ce qui éclaire ce phénomène.

On n’a jamais autant parlé des parents qu’aujourd’hui, essentiellement pour leur attribuer une responsabilité dans la perte de l’autorité scolaire ou de l’échec. Ils sont des coupables en puissance. Ce qui les place (ce qui nous place !), beaucoup plus qu’autrefois en position défensive. Les accusés potentiels seront enclins à devenir des accusateurs.  

En même temps, les parents ne se sont jamais autant préoccupés de leurs enfants, de leur présent comme de leur avenir aujourd’hui incertain pour tous. De même qu’ils ne se sont jamais autant interrogés sur leur action éducative, n’ont jamais autant pris en considération le bien-être de leur progéniture. Ils n’ont jamais accordé autant de considération à l’école ! Simultanément, l’école dans un réflexe d’autoprotection se cloître de plus en plus hermétiquement. « Interdisons à nouveau aux parents d’entrer dans les établissements scolaires. Fermons-leur les conseils de classe, de discipline et d’administration (franchement, en quoi y sont-ils compétents ?[8]) » proclamait en 2010 J.P. Brighelli, éminence alors du Ministère de l’Education nationale.

Que les parents soient inquiets n’est que légitime. Cette inquiétude se transformant en angoisse lorsqu’ils sont ignorants et impuissants quant à ce qui se passe et ce que fait leur enfant dans l’espace où ils ne l’ont en rien « confié ». Ils n’ont aucun choix, aucune possibilité d’appréciation de l’endroit où ils vont être dans l’obligation de se séparer de l’enfant, y abandonner toutes leurs responsabilités, y accepter tout ce que feront d’autres adultes inconnus vis-à-vis de ce qui est encore partie d’eux-mêmes[9]. L’école, enfermée dans ses grilles, n’offre aucune fenêtre aux parents, aucun lieu de rencontre, d’échanges, de compréhension mutuelle. Pas de regards possibles. Dans les espaces institutionnels communs, conseils d’école ou conseils de classe, ils ne peuvent s’y comporter que comme des élèves et y sont souvent soigneusement maintenus dans cette position. On ne peut d’ailleurs y parler de pédagogie, de ce qui se passe dans les classes[10] !

Les enseignants ont peur des parents. Il y a les bons parents, ceux qui ne font jamais d’histoires et acceptent tout, vont surenchérir aux sanctions, et les mauvais parents qui veulent se mêler de tout, osent mettre en doute, et qui vont défendre leur enfant. C’est le principal reproche qui leur est fait : « Dans les années 1930, ils (les élèves) se seraient d’ailleurs fait corriger doublement par leurs voyous de parents s’ils avaient osé manquer de respect à la maîtresse ou au professeur [11]» Ce que ces enseignants oublient, c’est que défendre son enfant est l’essence même de la parentalité[12]. Ne pas le faire casse le lien affectif qui fait que l’enfant a confiance en ses parents-recours et qui confère l’autorité parentale. Cette défense peut alors sortir de la raison quand les parents ont toujours été niés en tant que tels, cantonnés soigneusement hors des grilles, sauf le jour où leur rejeton trouble l’ordre scolaire. Pour avoir été président d’association de parents d’élèves, à deux reprises et hors de mon statut d’enseignant, je peux témoigner que tous les cas de violence verbale de parents vis-à-vis d’enseignants pour lesquels j’ai dû intervenir, étaient dus à cette exaspération, à l’impuissance pour établir des relations ordinaires et instituées. Qu’est-ce que les parents peuvent faire quand les enseignants, eux, peuvent tout faire, sans même avoir de compte à rendre, sur ce qui est encore une partie de la chair des premiers ? L’un devient l’ennemi de l’autre. Ce qui s’explique lorsque l’un rentre pour la première fois dans un espace interdit, espace où il est obligé de laisser sa progéniture ! Tous les cas de violence physique qui font le régal des médias et suscitent la désapprobation générale relèvent de cette analyse.

Lorsque l’on dit officiellement que les parents sont les partenaires naturels de l’école, l’expression est spécieuse puisque le terme de « partenaires » implique la parité. Même au niveau national, les « machins » que sont les fédérations de parents d’élèves pour reprendre l’expression d’un fameux général, ne sont en rien des partenaires, ne participent en aucune façon à l’établissement des politiques éducatives. Ils sont à la rigueur informés, émettent approbations ou critiques qui n’ont aucune influence, même électorale. Si ces fédérations sont consultées, les parents adhérents comme les autres ignorent le plus souvent ce qu’elles proposent en leur nom. En théorie chargées de défendre l’intérêt des enfants du « parent d’élève », les associations locales de parents d’élèves ne sont le plus souvent que des courroies de transmission de l’institution, ou ne peuvent être que cela.

Lorsque deux pouvoirs, soigneusement séparés et antagonistes, ont la même cible, l’enfant, ils ne peuvent que provoquer des heurts entre les deux protagonistes, en particulier du parent qui lui assume la responsabilité totale du présent et du devenir de son enfant. L’école républicaine réussit le paradoxe de nier le parent comme citoyen.

Pourquoi une école du 3ème type ne produit pas de violence ?

Nous pouvons affirmer, parce que cela a été constaté, que les pédagogies actives et en particulier une école du 3ème type où leur logique est poussée à son terme, ne produisent pas de violence, atténuent, résorbent même les violences intrinsèques ou dont l’origine peut se situer en dehors de l’école. « L’école, réparatrice de destins » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Paul Le BOHEC[13].

Je ne décrirai pas à nouveau les fondements d’une école du 3ème type puisque c’est l’objet des chapitres de cet ouvrage. J’en reprendrai simplement quelques points.

Je soulignerais d’abord que ce qui a conduit le processus d’une approche du 3ème type n’a pas été le souci de faire une école non violente. L’objet du long tâtonnement n’a été que la construction des langages pour tous les enfants. Pour le dire de façon plus classique, les apprentissages. La non-violence n’a été que la conséquence d’une autre approche, d’une autre conception de l’acte éducatif.

Lorsque l’on a posé la question à un panel d’enfants de l’école traditionnelle « Pourquoi vas-tu à l’école[14] ? », la réponse quasi générale a été « Pour apprendre », déclinée en « Pour faire des exercices », « Pour avoir des bonnes notes », « Pour bien répondre à la maîtresse »… La même question à des enfants étant dans des classes en pédagogie active provoqua ces réponses : « Pour y faire des tas de choses ! », « Pour faire des trucs avec mes copains », « Pour chercher, inventer », « Pour écrire des textes que je ne peux pas faire à la maison »… Pour y vivre autre chose ! Nous avons, synthétisée ainsi, la réponse à toute la première partie de ce chapitre. L’école devient alors un espace particulier, en prolongement de l’espace familial et du voisinage, où l’on va explorer d’autres relations, d’autres possibilités de faire que l’on ne retrouve pas dans les autres espaces.

L’intérêt, c’est de faire, de vivre, pas forcément celui d’apprendre qui sera la conséquence du « faire » dans un autre environnement que celui de la famille. L’apprendre, c’est le souci professionnel des adultes de l’école[15]. S’il y a toujours l’obligation, celle-ci ne sera pas perçue par l’enfant. L’école devenant alors un autre espace de conquête.

L’école du 3ème type n’est pas fondée sur la transmission des savoirs préalablement découpés, mais sur la construction des langages* qui donnent accès aux savoirs. Sa pratique est basée sur l’activité produite par l’infinité de projets* personnels ou collectifs qui naissent des interactions avec l’environnement, et sur l’interrelation qui en naît dans le groupe. C’est au cours de la réalisation de ces projets que l’enfant est dans la situation de faire évoluer ses langages, d’approfondir ce sur quoi il butte pour les mener à bien. De ce simple renversement de l’approche, disparaît tout ce qui peut amener à l’agressivité dans l’approche traditionnelle.

- Il n’y a plus de problème de motivation ou de pression puisqu’il ne s’agit plus d’exécuter une suite d’actions en même temps que tous les enfants du même âge, chacune dépendant de la bonne exécution et de la réussite de la précédente. L’intérêt est tout ce que l’on peut réaliser dans l’espace scolaire, y prolonger ou donner une forme différente à ce qui peut naître dans les autres espaces, satisfaire des curiosités diverses au lieu de devoir être obligatoirement curieux pour ce qui est imposé. L’école est alors un lieu de développement de la personne dans l’activité* nouvelle qu’elle permet.

L’intérêt est direct, immédiat, perceptible, concret au lieu d’être une abstraction « tu verras plus tard, c’est pour ton avenir ». Quand on entend à longueur d’ondes ou de discussions familiales que l’avenir ne sera de toutes façons pas drôle, il vaut même mieux ne pas s’en soucier et de vivre au mieux les moments présents !

- Il n’y a plus de problème d’échec. L’échec, c’est le projet qui n’a pu aboutir à son terme. Mais il devient positif. Il engage dans des processus d’apprentissages nécessaires pour le mener à bien (« Il faut que j’apprenne à mesurer pour réussir mon cerf-volant »), il incline à se poser des questions (« Pourquoi mon cerf-volant ne vole-t-il pas ? »). Il induit l’appel à l’enseignant (« J’ai besoin que tu m’apprennes à mesurer »), facilite l’action de ce dernier (« On va essayer de trouver des solutions pour trouver le centre de gravité de ton cerf-volant, je vais t’expliquer ce que c’est »). L’échec fait partie du processus de tâtonnement expérimental. Hypothèse, action, résultat de l’action, nouvelle hypothèse… Le tâtonnement expérimental étant une des clefs des pédagogies actives, constant et dans tous les langages dans une école du 3ème type, l’échec y est tellement naturel, voire nécessaire, qu’il n’est plus considéré comme tel. Il n’est que le constat d’une action qui nécessite de la renouveler différemment.

- Il n’y a plus de problème de reconnaissance, d’identité, de comparaison, de concurrence. Ce n’est plus l’évaluation qui confère l’identité mais ce que chacun fait, montre, apporte aux autres. « Tout le monde sait quelque chose, personne ne sait tout » disait Michel AUTHIER[16]. Il ne s’agit plus de faire mieux que les autres, d’être conforme à une attente. Les différences ne font que donner des envies de faire. Chacun est naturellement reconnu par ce qu’il est. C’est ce qu’il est, sa différence, qui intéresse, enrichit les autres. La différence et son affirmation devient indispensable à la dynamique du groupe[17]. Un des plus forts éléments de l’identité, de la reconnaissance de soi, c’est la conscience de son utilité, c’est la sollicitation de cette utilité par les autres.

- Il n’y a plus de problème de socialisation*. On peut résumer celle-ci dans le rapport entre « être » et « être parmi et avec les autres ». « Être » étant aussi « faire », « pouvoir faire » au sein d’une communauté, sans troubler cette communauté et grâce à cette communauté. Lorsque l’école est fondée sur la réalisation de projets, l’interrelation que ces projets provoquent, elle induit nécessairement et naturellement une socialisation. L’intérêt individuel ne peut être satisfait que dans l’intérêt collectif et réciproquement. Il ne s’agit plus de se conformer à des règles mais de créer les règles nécessaires à la satisfaction des intérêts individuels au sein d’un espace commun. « Paul n’a pas rangé l’atelier enregistrement après y être allé, c’est ennuyeux parce qu’il ne fonctionne plus, même lui ne peut y retourner ! ». Il n’y a même pas à instaurer une règle, la nécessité individuelle et collective la crée implicitement. C’est la possibilité du faire qui induit l’auto-organisation, obligatoirement la prise de conscience des autres, d’un collectif. Avoir besoin des autres, être utile aux autres. L’aménagement de l’espace collectif, dans son fonctionnement comme dans sa topographie, l’organisation des interrelations, les modalités de décisions, le bien-être général, vont dépendre des projets, des initiatives de chacun, avoir pour seul but satisfaire les intérêts individuels dans l’intérêt de la communauté. Les enfants n’ont pas à se couler dans un cadre, ils ont à créer ce cadre. Chacun dépendant de la communauté, mais faisant cette communauté. C’est bien le fondement de la citoyenneté. Il n’y a pas de citoyenneté sans cité !

Bien sûr il y a des règles qui ne dépendent pas de la vie propre de la communauté mais qui sont imposées par l’environnement institutionnel. Par exemple, les enfants de ma classe unique ne pouvaient pas partir de l’école avant 16H30 ! Ces règles sont cependant réduites et facilement acceptées parce qu’explicables. 

- Il n’y a plus de problèmes d’insécurité affective. La reconnaissance est un des éléments de cette sécurité. Il faut y rajouter la possibilité d’expression sous toutes ses formes et son corolaire l’écoute, qu’elle soit celle de l’enseignant ou celle des autres, autre base de l’école du 3ème type. On n’écoute pas seulement des « cas ». L’écoute est le fondement de l’interrelation. L’affect est une des principales sources des processus d’apprentissages. Il est nécessairement accepté, pris en compte. L’écoute devient naturelle. Comme devient naturel exprimer, se libérer de ses angoisses, de ce qui trouble. La confiance* n’y est pas décrétée, elle s’établit au fur et à mesure que l’on peut compter sur les autres, y compris l’adulte.

Il y a aussi le fait que l’école du 3ème type ne crée pas de rupture entre les divers espaces affectifs de l’enfant. Elle est ancrée dans son environnement, alimentée par lui, pas coupée de l’espace familial (voir « ouvrir l’école aux parents »).

- Le rapport prof/élève est changé. La position* de l’enseignant, sa perception par les enfants ou ados n’est plus la même. Il est d’abord le garant du bon fonctionnement du système vivant* qu’est l’école. Une bonne partie de son action ne s’effectue pas sur les enfants, mais sur le système*[18]. Il est un référent, celui qui aide à réaliser, à se réaliser. S’il a le souci professionnel que les langages se construisent au mieux et au plus loin, il ne transfère pas ce souci aux enfants (ou la faute !). L’échec, s’il y a échec dans la construction des langages, lui échoit. Du coup le problème de l’autorité n’est plus le même. Elle n’est plus institutionnelle, le fait d’un seul statut. Elle provient de la reconnaissance du rôle de l’adulte, de son action, de sa nécessité pour le fonctionnement du bien vivre ensemble, du faire ensemble. Il a bien l’autorité de l’adulte référent, perçu comme celui qui a le souci des autres, pas celui d’imposer aux autres ce qu’il est. C’est l’autorité qui permet, qui libère. Si elle doit imposer des contraintes pour cela, elles sont acceptées. Les contraintes n’ont de sens que dans ce qu’elles permettent (je roule à droite en respectant les limitations de vitesse parce que, autrement, je ne pourrais pas circuler et me faire plaisir en bagnole. Et la contravention du gendarme ne provoquera plus alors un accès de violence !). Si l’on associe autorité et pouvoir, le second terme n’a plus le même sens. Ce n’est plus le pouvoir sur les autres, c’est le pouvoir (capacité, puissance de faire, d’agir) pour les autres.

- Il n’y a plus de problème d’agressivité des parents. Alors que j’avais poussé dans ma classe unique les pratiques au-delà de ce qui était connu, je n’ai jamais eu à subir la moindre agressivité des parents. Mais, ceux-ci pouvaient participer à l’élaboration des stratégies, aux constats réguliers de leurs effets, émettre des critiques des observations, des propositions, des idées, des désaccords… Ceci ne visant plus alors la personne mais les stratégies que le professionnel que j’étais proposait, avait à mettre en œuvre. Tout était raisonnablement discutable parce que tout y était aussi constatable et contestable. Le dialogue est au départ de ce qui constitue alors une entreprise éducative communautaire. La réussite de l’entreprise étant l’intérêt des professionnels qui ont à la piloter, encore plus des parents dont les enfants en seront les premiers bénéficiaires. Je pourrais rajouter aussi des élus qui ont le pouvoir des moyens et à qui appartient aussi la réussite. Cette réussite est alors celle d’une vraie communauté éducative*. L’école n’appartient plus au seul enseignant.

Contrairement à ce qu’on imagine, le consensus indispensable est beaucoup plus facile à obtenir. Là encore la reconnaissance de chacun en est le maître mot. Ce qui provoque les réactions d’agressivité, c’est la négation des personnes. Toute opinion est audible, toujours justifiée pour la personne qui l’émet. Lorsque la confrontation des opinions n’est plus la confrontation des personnes mais celle des arguments et des constats sur lesquels les opinions se fondent, la discussion devient féconde ; chacun peut revenir sur des positions puisque son intégrité, sa qualité, son droit d’expression ne sont pas remis en cause. Ce d’autant que les professionnels n’ont pas, eux, d’opinion : ils ont à résoudre une problématique dont, normalement, ils ont plus que les parents toutes les données, ils disposent d’un certain nombre de savoirs et surtout des certitudes de ce que l’on ne sait pas, une expérience et la connaissance d’expériences. Lorsque l’on pose une problématique, on quitte les opinions et on peut la mettre sur une table commune. D’une problématique découlent des stratégies, des effets des stratégies découlent de nouvelles problématiques.

L’autre point qui a dénoué l’agressivité parentale dans ma classe unique comme dans l’école à deux classes précédente, cela a été l’ouverture permanente de l’école aux parents (chapitre « ouvrir l’école aux parents »). Là encore il s’agit d’une reconnaissance, mais surtout l’élimination de l’ignorance de ce qui se passe. Il n’y a rien de pire, de provocateur d’inquiétudes, de soupçons, que l’ignorance. L’hermétiquement clos laisse toujours supposer qu’il y a quelque chose à cacher. Et quand ce quelque chose à cacher concerne son propre enfant, cela devient vite insupportable. Il y a bien d’autres raisons à l’ouverture de l’école, mais l’élimination de l’agressivité parentale en est une conséquence pratique immédiate.

Plus l’école se ferme aux parents, moins ils y ont une place, effective et institutionnelle (pourtant, dans les derniers textes de 2008, il est prévu qu’ils y aient un lieu spécifique !), moins ils y ont un droit de regard, un droit d’observations ou de critiques, moins ils peuvent s’y exprimer et s’exprimer à son propos (en dehors du trottoir !) et plus on provoquera des réactions d’agressivité, de méfiance. L’autoprotection prônée ne fait que démontrer qu’elle a les effets inverses. Ce d’autant que les parents ne sont plus les illettrés auxquels avaient affaire les instituteurs d’autrefois !

Est-ce idyllique ou utopique ? Non puisque nous nous basons sur des vécus et des constats faits dans les écoles allant dans ce sens. Il ne s’agit pas d’idéologie, mais de pragmatisme. Je n’avance rien qui ne soit avéré, dont personne ne puisse témoigner[19].

Et les violences inhérentes à l’environnement ou intrinsèques ?

Je ne nierai pas qu’elles existent, malheureusement, même si elles ne sont pas produites par l’école. Beaucoup d’enfants arrivent à l’école, aujourd’hui plus qu’autrefois, en état de souffrance. Je ne reviendrai par sur leurs causes économiques, sociales, sociétales, familiales, voire physiologiques, largement évoquées et analysées ces dernières années. Souffrances s’exprimant en violences.

Dans une école du 3ème type et dans les pédagogies actives, ces souffrances et cette violence s’atténuent, voire se résorbent de par le système vivant qui permet de les inclure, de les reconnaître. Au lieu de parler d’exclusion nous parlons d’inclusion. J’ai eu comme tous les enseignants à recevoir des enfants agressifs, dits en difficulté, peut-être un peu plus que d’autres parce qu’on me les envoyait. S’ils perturbaient quelque peu le système (et moi-même !) dans les premiers jours, rapidement le système auto-créait les mécanismes de feedback permettant de tenir compte de cette perturbation et de l’intégrer dans la normalité[20]. Le retour à la normalité pour celui qui a toujours été considéré comme anormal est déjà une première décompression. De même que la libération de l’expression. L’expression, si elle fait partie des processus d’apprentissages est aussi thérapeutique, sans que l’enseignant soit un thérapeute.  Mais il est vrai que ces enfants nécessitent une attention particulière des professionnels pour les aider. Cette attention est déjà beaucoup facilitée du fait que l’enseignant est beaucoup plus disponible aux cas particuliers puisqu’il n’a pas à conduire frontalement et simultanément des apprentissages programmés. Il est plus facile de mettre en œuvre des actions particulières et individuelles vis à vis de ces enfants, d’adopter des postures adaptées à chaque cas. Je ne vais pas les décrire ici, elles sont évoquées par ailleurs dans les mouvements pédagogiques, dans de nombreux ouvrages.

Nous pouvons considérer la violence comme une conséquence des systèmes sociaux, économiques, politiques, qui n’émanent pas des individus mais dans lesquels ils doivent s’insérer passivement et le plus souvent contre leurs intérêts. C’est la violence institutionnelle qui se dissimule toujours derrière le paravent du bien commun, y compris lorsque c’était le bien des esclaves. « Pour votre bien ! ». Jusqu’au paradoxe de se plaindre de la violence provoquée qui n’est alors qu’une révolte qui ne peut s’exprimer autrement.

Je récuse l’affirmation que la violence fait partie de la nature de l’homme[21], qu’elle serait même nécessaire, une qualité, lorsqu’on l’appelle simplement agressivité et qu’elle se situe dans ce qui est conventionnellement admis. Il est certain que notre société actuelle prône la violence sans l’appeler par son nom. La compétition n’est que cela. Il faut se battre, il faut te battre, gagner ! Être le plus fort ! Le meilleur ! Gagner ta place ! Ce qui ne peut se faire que contre les autres, au détriment des autres, que les autres soient des personnes, des entreprises, des partis politiques. Jusqu’à l’escroquerie linguistique gagnant-gagnant ! Lorsque cette violence émane des perdants, on l’appelle alors rébellion. La rébellion n’est pas tolérable et doit être réprimée, violemment.

Une école du 3ème type est un autre monde. Peut-elle exister ? Oui parce qu’il s’agit aujourd’hui d’une question de survie, même dans l’état actuel de la société. Peut-elle changer le monde ? Oui, à plus long terme, parce que les enfants, devenus adultes auront pu y vivre d’autres possibles. Qu’adviendra-t-il d’eux lorsqu’ils devront affronter la violence de la société ? Ils y seront plus solides, à la fois moins passifs et moins agressifs, parce qu’ils auront pu se construire.

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[1] Je rajouterai « les femmes », avec une nuance : ce sont les femmes qui mènent le combat contre la violence qui s’exerce contre elle. Les enfants et les jeunes, eux, sont les accusés.

[2] En terme psychanalytique, on peut aussi parler d’une mauvaise mise en place du surmoi.

[3] « Rural – urbain. Nouveaux liens, nouvelles frontières », Presses Universitaires de Rennes,

[4] L’évolution de la première décennie du XXème siècle se rapproche beaucoup plus du « toyotisme » que du taylorisme ou du fordisme : individualisation des agents, multiplication des taches, culture de l'évaluation et des "bonnes pratiques", création de hiérarchies de statuts (titulaires, précaires, statuts intermédiaires…) et la gouvernance du système se rapproche elle des pratiques totalitaristes plus que des pratiques libérales. Les opérateurs du système étant, eux aussi, considérés comme des objets.

[5] Comme le chômage est nécessaire au fonctionnement de l’économie libérale, comme moyen de pression, comme volant de régulation.

[6] Dans toute compétition, il y a un gagnant et des perdants. Dans les sociétés libérales, le nombre des gagnants s’amenuise ainsi mathématiquement en même temps qu’augmente leur part du gâteau. Simultanément le nombre des perdants croît exponentiellement pendant que diminuent les miettes qui leur restent. Toutes les courbes de richesse et de pauvreté le prouvent depuis qu’elles existent.

[7] C’est l’organisation sociale des espèces prédatrices. On peut considérer qu’elle s’est transformée lors de la transformation de l’homme chasseur en l’homme éleveur et agriculteur. C’est bien une forme d’organisation sociale et on peut penser que la civilisation consiste en son évolution. Pourtant, si on observe le monde politique, le monde financier, on ne peut que constater qu’ils fonctionnent de la même façon que les bandes que l’on s’efforce de combattre quand ce sont celles des rues.

[8] « Violence, mode d’emploi » http://bonnetdane.midiblogs.com/

[9] Voir divers billets à propos de la carte scolaire et de la violence dans le blog de Bernard COLLOT : http://education3.canalblog.com

[10] Voir les billets sur le conseil d’école, sur le même blog.

[11] Blog de JP BRIGHELLI. op.cit.

[12] Voir chapitre « parents d’élèves ».

[13] « L’école réparatrice de destins », Paul Le Bohec, 2008, éd. L’Harmattan.

[14] Enquête réalisée par la Fédération Nationale de l’Ecole Rurale pour son colloque de Clermont-Ferrand, « réussir à l’école », novembre 2009.

[15] Il a été souligné dans d’autres chapitres que « apprendre », sans autre objet, peut aussi très bien faire partie des projets de l’enfant. L’école est un lieu qui suscite naturellement ce type de projets. Mais il est presque toujours assorti, soit d’un plaisir immédiat, soit de ce que va pouvoir permettre le « apprendre » dans un futur proche.

[16] « Les arbres de la connaissance », Michel AUTHIER et Pierre LEVY, éd. La Découverte.

[17] L’arrivée régulière des petits nomades était chaque fois attendue, un événement dans ma classe unique. Et ces derniers, lorsqu’ils revenaient l’année suivante, ne rechignaient plus pour venir à l’école et leurs parents ne venaient plus me demander de faux certificats de scolarité pour percevoir les allocations !

[18] Rappelons que dans une école du 3ème type, c’est le système vivant qui est éducatif.

[19] Les constats par les enseignants, les parents, les témoignages d’anciens élèves, sont unanimes. Si on peut toujours les mettre en doute en raison de leur subjectivité, il y a aussi les témoignages des documents audio-visuels des médias. S’ils sont peu fréquents, ils sont significatifs et il faut remarquer que leur quasi-totalité concerne des classes, des écoles, pratiquant des pédagogies différentes. Et puis il y a les observations et travaux d’équipes de chercheurs, plus fréquents dans les pays anglo-saxons ou nordiques. En France, le travail le plus important a été réalisé par une équipe pluridisciplinaire de l’université de Lille en 5 ans d’observations de l’école Freinet de Mons en Bareuil. Il y a aussi tous les travaux, enquêtes, réalisés par Eric DEBARBIEUX à la tête de l’observatoire européen de la violence scolaire.

[20] Dans un autre ordre d’idée, l’accueil des handicapés n’a jamais posé le moindre problème dans ma classe unique, que ce soit pour eux, pour les autres enfants, pour le système.

[21] J'avais reçu, à Moussac, deux thésardes en sociologie qui étaient venus passer une semaine chez nous. Elles voulaient vérifier l'affirmation de Freinet, en substance : chacun peut devenir leader, soit à un moment, soit dans un domaine. Ce à quoi je leur avais répondu qu'une microsociété pouvait ne pas produire de leaders. Impossible me disaient-elles. Au bout d'une semaine, elles ont dû convenir que leur grille d'observation ne leur avait pas permis de déterminer des leaders.

Je me suis beaucoup intéressé à l'éthologie, ai passé des jours à observer les abeilles, mes chats...

En simplifiant, y a 3 formes d'organisations.

L'espèce composée d’individus ou de couples d’individus. Par exemple les buses. C'est le marquage du territoire de survie. Seule l'insuffisance des ressources de survie entraîne les tentatives de conquête de territoires et de lutte contre un congénère. Elles ne se soldent jamais par la destruction du perdant (rituel) d'autre part l'espèce met en route un processus de régulation des naissances pour s'adapter aux ressources.

La seconde forme d'organisation dans l’espèce, c'est la bande. Celle-ci a besoin d'un leader. L'agressivité est ritualisée en son intérieur, aboutit à une sélection pour déterminer le leader, clef de voûte de l'organisation, mais la bande continue de protéger et de faire vivre tous ses membres. Elles n'ont pas de territoire mais évitent de se heurter à d'autres bandes. C'est grosso modo l'organisation des prédateurs (loups, lions) mais un peu aussi celle de l’organisation en troupeaux des herbivores qui ont à se déplacer (organisation grégaire). Déjà on trouve dans ces formes d'organisation l'utilisation de langages de communication symboliques plus complexes à l’intérieur des groupes.

La 3ème forme c'est celle des espèces sociales. Je ne connais pas trop celles des rongeurs, des pingouins... mieux celles des fourmis et surtout des abeilles.  Ce qui est déjà intéressant, c'est que ce ne sont pas des prédateurs en général. Ces organisations "exploitent" un territoire. Leurs langages symboliques sont extrêmement sophistiqués et variés (pour les abeilles et les fourmis, il semblerait même qu'ils le soient plus que chez nous). Et là, il n'y a plus aucune forme d'agressivité observable à l'intérieur de chaque communauté et entre communautés. Je n'ai pu l'observer chez les abeilles que lorsqu'un événement anormal, provoqué par l'apiculteur (il laisse traîner du miel), déclenche une ivresse générale et provoque un pillage inter-ruches. La régulation par rapport aux ressources s'effectue par le contrôle de la taille et du nombre des structures (régulation organisée des naissances et de l'essaimage pour les abeilles).    …/…

En décalant ce schéma à l'espèce humaine, sa première forme d'organisation semble bien avoir été la bande quand elle n'était que prédatrice. Lorsqu'elle s'est sédentarisée son organisation a tendu à ressembler à celle des autres espèces sociales et ses langages symboliques se sont aussi complexifiés. Il est intéressant de noter que l’agressivité à l’intérieur de l’espèce humaine, a très souvent eu lieu (toujours ?) lorsqu’ont cohabité les deux formes d’organisations, sociales et bandes. Par exemple razzias rituelles des tribus touaregs dans les villages africains. J’ai tendance à penser… que c’est toujours notre situation !

Tout ceci me fait penser que l'agressivité, à l'intérieur d'une organisation, ne fait pas partie de la nature ! Lorsqu'elle est nécessaire (déterminer les leaders dans la bande), les espèces la codifient, la ritualisent pour qu'elle ne porte pas préjudice à ses membres.

Alors, chez nous ? C'est évidemment complexe. Parmi toutes les espèces nous sommes celle dont l'histoire est la plus courte. Je pense que nous n'avons pas encore fait le choix entre les 3 formes d'organisations (individuelle, bande, sociale). Nous sommes dans l'incohérence sociale ! Nous sommes encore (ou revenus) beaucoup à l'organisation bande (bandes politiques, bandes financières, bandes économiques...) D'autre part, contrairement à toutes les espèces, au lieu de limiter la taille de nos structures, de faire des écosystèmes sociaux, nous nous sommes engagés dans des macro-systèmes où se diluent et se mélangent toutes les formes d'organisation. Il n'y a plus ou de moins en moins d'entités perceptibles, la possibilité d'appartenance disparaît. Je crois que la nécessité d'appartenance, pour nous qui ne pouvons, malgré tout, ne subsister que socialement, est vitale. Peut-être est-ce de là que, la recherche de l'appartenance devenant impossible, on lui substitue la recherche d'appartenance individuelle de biens.

La défense des petites structures scolaires dépasse largement le seul domaine de l'école.

Lorsque l'on, dit que l'agressivité fait partie de la nature humaine et qu'on l'encourage en la justifiant ainsi, c'est l'acceptation que l'espèce est devenue auto-prédatrice d'elle-même, chacun devant se nourrir des autres, au détriment des autres. Ce qui est curieux, c'est que l'on s'offusque lorsqu'une bestiole dévore sa propre progéniture. A ma connaissance, cela ne se passe que dans les espèces qui ne subsistent pas de par leur organisation en entités. Même lorsque la faim peut provoquer la perte du groupe, je n’ai pas connaissance de cas de cannibalisme animal systématique.

Je pars donc de l'a priori que l'agressivité n'est pas inhérente à la nature de l'homme mais qu'elle a sa cause dans les organisations sociétales incertaines, floues et sans finalité collective (survie individuelle et collective) et/ou dans l'impossibilité dans laquelle elles mettent les individus à les créer. L’expérience d’une école du 3ème type semble le démontrer.

 

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C
Bonjour, <br /> <br /> Merci d'abord pour cet article. Je suis très sensible à toutes les questions que vous abordez... mais je n'y ai pas trouvé ce que je cherchais : de quoi approfondir la question de la violence institutionnelle à l'égard des parents.<br /> <br /> Nous nous trouvons actuellement dans une telle situation et je voudrais être en mesure de construire un argumentaire pour pouvoir réagir.<br /> <br /> Quelques mots-clés : déni ("je connais mieux les besoins de votre enfant que vous"), stigmatisation ("mauvais parents"), accusations non-étayées ("maltraitance"), non-respect des règles administratives par la direction (pour une demande de changement d'école), direction toute-puissante (et soumission du personnel enseignant et des éducs), impossibilité de dialoguer (dispositif accusatoire),... <br /> <br /> Pourriez-vous m'aider par quelques conseils de lectures, etc ?<br /> <br /> Je vous en remercie d'avance. <br /> <br /> C. Cornet
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D
Merci pour cet article de fonds. L'école est un lieu d'apprentissage du savoir mais aussi de l'affrontement à l'autre et de la prise de pouvoir. Rite de passage compliqué mais indispensable
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B
Alain Duverne, vous le connaissez probablement sans le savoir : http://parolesdactu.canalblog.com/archives/2015/02/04/31463665.html
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A
l'orthographe:<br /> <br /> - D’abord, séduit par l’intelligence limpide et rationnelle du principe de l’alphabet, l’enfant doit abandonner sa raison pour obéir rigoureusement au rituel dogmatique orthographique filandreux, sans en comprendre l’objet, ni la finalité. Mais, sa famille aimante l’encourage fermement… Parce que c’est comme ça. <br /> <br /> <br /> <br /> - Dans le temps précieux des cinq années de scolarité, sur les 1584 heures de français, 400 à 800 heures sont gaspillées à rabâcher des restes de 10 siècles de reliques de l’histoire de l’écrit européen. Cette discipline fait la joie d’universitaires mais charge tous les enfants pour sélectionner les heureux qui obéissent sans se poser de question et sans poser de question. Avons nous rien d’autre à leur enseigner ? <br /> <br /> <br /> <br /> - La langue appartient au peuple, sa finesse et son intelligence se traduisent dans les langues érudites de la planète. L’orthographe appartient à l’État. Ses lettres ”décoratives” ne participent ni aux phonèmes des mots, ni au sens, ni à l’inspiration, elles ne se traduisent pas. <br /> <br /> L’orthographe reste dans l’ectoplasme nationaliste de la nation. <br /> <br /> <br /> <br /> - Ce bizutage mental, ou ce rituel dogmatique est imprégné avec force dans le temps initiatique des jeunes cerveaux. (L’équivalence de cette imprégnation forcée se retrouve dans les excès névrotiques des religions sémites.) Ce bizutage s’accroche lourdement par l’affectif, à la langue maternelle, première richesse que l’enfant développe magistralement, dans une joie instinctive.<br /> <br /> <br /> <br /> - Inculquer une religion est moins nuisible que domestiquer et d’assujettir sous les pressions de ce dogme initiatique pseudo-culturel déraisonnable, puisqu’elle ne gratifie qu’après la mort et qu’elle n’est utilisée qu’au titre de la croyance et de l’affect, pas de la raison. <br /> <br /> <br /> <br /> - Au pays des monoglottes orthographeurs, l’obéissance à l’orthographe gratifie en faisant accéder aux postes enviés sécurisés de la petite, moyenne, et grande administration, donc aux postes des pouvoirs. La France moderne, depuis 1532, s’est instituée ainsi. (Instituteurs = institutions). Les petits français qui naissent aujourd’hui ont-ils encore besoin d’une coercition franco-française par l’orthographe ? Ils ont plutôt besoin que l’emploi de leur temps n’échappe pas aux biorythmes des contraintes motivantes nécessaire à leur vie.<br /> <br /> <br /> <br /> - L’hypothèse en quatre points. <br /> <br /> 1er: L’orthographe est un marqueur psychique puissant dans le caractère de l’identité française. 2ème : Les français n’ont pas conscience que ce rituel affectif quasi religieux de l’école républicaine, pervertit pour la vie la force de la raison de trop d’enfants. 3éme : Ignorant les conséquences de ce lourd affect initiatique, la remise en cause pour le réformer vraiment est utopique. 4ème : Cette cécité maltraite la lucidité et la raison nécessaire au bon usage de la démocratie. <br /> <br /> Alain Duverne imamou@noos.fr
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M
Je trouve que la pédagogie sociale est une belle alternative. <br /> <br /> <br /> <br /> Je vois dans cette pédagogie des ressemblances avec ce que tu proposes Bernard dans cette alternative du troisième type. <br /> <br /> Ce qui est curieux, c'est que ces structures alternatives n'essaiment pas beaucoup dans ou hors l'institution. Et visiblement, les résistances sont aussi fortes tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. <br /> <br /> Pourtant, il me semble que ces petites structures génèrent beaucoup moins de violence. Alors pourquoi tant de résistances? de réticences? <br /> <br /> Marc
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