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Le blog de Bernard Collot
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18 septembre 2015

Rencontres du 3ème type

 

rencontre

Ecole dynamique de Paris[1] et Maison des enfants de la Cartoucherie de Vincennes[2]

I - La planète "école dynamique", une planète naissante

Mardi, 13H30. Piloté par Renaud (un OVNI belge) je débarque sur la planète de l’École dynamique de Paris. Sans Renaud, je ne l’aurai jamais trouvée. Des immeubles, les gens pressés sur les trottoirs, les bagnoles kamikazes parisiennes, et au bas d’un des grands parallélépipèdes rectangles de la forêt urbaine, une grande baie derrière laquelle il aurait aussi bien pu avoir des batteries de chaussures exposées ou les rayons des boites de coca d’une épicerie.

Nous poussons la porte, et nous atterrissons dans un autre monde… de paix. Des personnes, de trois ans à… 30 ou 40 ans, s’affairent, discutent, rêvent… tranquillement. Je suis bien sur une autre planète parce que, étrangement et malgré mon vieux regard de professionnel, je n’arrive pas à distinguer les adultes « responsables » de ce qu’ailleurs on appelle des « élèves ». Il est vrai que l’équipe est jeune et que les adolescents sont grands ! Il est impossible de deviner ce qui peut réguler cet ensemble de personnes de tous âges.

J’avais l’impression d’être dans un lieu qui existait depuis longtemps, sinon comment toutes ces personnes pouvaient bien vivre et s'affairer ainsi sans problèmes ? Mais ce qui est le plus stupéfiant, c’est qu’il y a quatre jours, cet espace n’était qu’un vide plein de gravats ! C’est en dernière minute qu’il a été trouvé, que le bail a été signé. En deux jours avant l’ouverture officielle quelques adultes, les enfants, les adolescents l’ont réparé, aménagé, habillé, récupéré ce qu’il fallait pour le meubler, créé divers espaces et leurs fonctionnalités… et, ce mardi, c’était seulement sont second jour de fonctionnement ordinaire. Les astronomes, eux, ne pourront jamais voir une planète trois jours après sa naissance, une planète sur laquelle il y a immédiatement la vie !

J’en avais vu quelques autres planètes bizarres, assisté ou suivi leur évolution. Mais aucune où, dès le premier jour, était appliqué radicalement et immédiatement ses deux fondements : liberté totale et le pendant qui la permet : démocratie. Cela me paraissait impossible. Il est vrai que Ramin Faranghi, son créateur, a clairement annoncé la couleur à tous ceux qui voulaient s’inscrire dans cette aventure qui n’est pas aventureuse puisqu’il s’est inspiré du modèle des écoles Sudburry qui sont nées il y a une quarantaine d’années aux États-Unis sous l’instigation de Daniel Greenberg. Ramin m’expliquait le soir l’étonnante similitude avec ce que nous appelons école du 3ème type dans le processus, les écrits le relatant qui avaient conduit à établir des fondements identiques. À partir de contextes, de cultures, de modes de pensée (langues) complètement différents, nous sommes arrivés au même point. Le principe de convergence qui valide les recherches praticiennes et leur confère une valeur universelle.

La démocratie est posée en préalable avec un « règlement » qui pour moi s’apparente à une constitution, l’institution d’une assemblée où enfants et adultes membres de l’équipe ont la même importance donc le même pouvoir dans les propositions et décisions, qui peut se transformer en commission juridique et que récemment un membre du réseau pour une école libérée appelait plutôt « commission de paix ». Nous sommes malheureusement arrivés après la tenue le matin de la première assemblée, mais déjà deux points de la constitution avaient été complétés ! Un cadre peut être posé et doit être accepté par ceux qui décident d’y entrer. Mais ensuite ce sont ceux qui le vivent qui le font évoluer pour qu’il permette à tous de mieux y vivre… librement. N’est-ce pas cela la vraie démocratie ?  

Il est rare que la dénomination d’une école soit aussi juste : dynamique ! C’est une dynamique qui a permis sa naissance, c’est dans une dynamique qu’elle continue de s’autocréer[3] en permanence. J’espère qu’ils nous en feront partager toutes les péripéties parce que de choses avons-nous à apprendre les uns des autres.

Et nous nous sommes attardés quelques-uns très tardivement à discuter autour d’un plat préparé dans le coin cuisine. Quand je vous disais que ce sont des lieux de vie ! Il était même resté un garçon d’une quinzaine d’années que personne ne repoussait dans un statut d’adolescent et lui ne s’y mettait pas ! L’égalité n’était pas un mot creux.

Et puis sont arrivés d’autres extraterrestres. Des personnes de la « maison des enfants » qui m’ont embarqué avec Renaud sur leur planète. Renaud est d’ailleurs un astronaute chevronné puisqu’il a été un des piliers de la Maison des enfants et maintenant il a un garçon à l’école dynamique !

 

 

II - La planète "maison des enfants," une planète mutante

 Cette fois, il suffit d’arriver à la Cartoucherie de Vincennes pour savoir que l’on est dans un autre monde. En plein Paris, vous entrez dans un immense espace clôt, avec de l’herbe, des arbres, même des bosquets avec des buissons où se cacher ou faire des cabanes, où il n’y a plus l’agression de la rumeur urbaine, où le gazouillis d’une mésange s’entend… un calme stupéfiant. Parce que ce n’est pas un parc aménagé, on pourrait même penser que c’est un espace naturel.  Tout autour, les bâtiments de l’ancienne cartoucherie, un peu comme de grands gardiens un peu fantomatiques et paisibles, utilisés par les artistes de diverses compagnies atypiques de théâtres, danses, musique… installées ici grâce à Ariane Mouchkine il y a longtemps. C’est d’ailleurs Ariane Mouchkine qui avait permis à la « Maison des enfants » d’occuper la petite maison de l’ancien gardien, à côté du local de Caroline Carlson. Il y a même un poney-club avec l’odeur des chevaux ! Vous croyez rêver ? Et dans tout cet espace improbable, il n’y a personne… sauf les enfants qui s’y ébattent dans tous ses recoins et en totale liberté et en toute sécurité. Devant la maison des enfants, il y a même une route où ne passe aucune voiture, je ne vous dis pas tout ce qui peut s’y faire avec les vélos avec ou sans roulettes, les patinettes, les skates… Un potager est installé derrière la maison. Allez, disons qu’il ne manque qu’une mare !

Mais contrairement à la planète de l’école dynamique, celle de la maison des enfants est une vieille planète. Ce doit même être le plus ancien lieu d’accueil parental de la petite enfance (crèche puis jardin d’éveil créé par des parents) né il y a une quarantaine d’années sous l’inspiration directe de la très grande Françoise Dolto.

Et pourtant c’est une planète mutante et les mutations ne vont pas toujours de soi. En effet, depuis l’an passé l’accueil est prolongé aux enfants de six, sept ans et plus. Apparait alors ce mot troublant : apprentissages. Je ne sais pas pourquoi il apparaît toujours seulement à ce moment, avant on ne s’attache qu’à une chose : être heureux. Mais il faut reconnaître que tous ces extraterrestres sont malheureusement encore entourés de terrestres et que leurs enfants vont bien, à un moment ou à un autre, retourner… sur cette terre, que dis-je, dans cette jungle absurde. Des inquiétudes sont alors légitimes, tant qu’on n’a pas constaté qu’elles n’étaient pas fondées.

Je découvre une situation que je n’avais jamais connue : dans cet ensemble d’enfants qui habitent la maison, ce sont les petits qui sont très largement majoritaires. Il n’y a donc pas (pas encore !) beaucoup de plus grands qui produisent, utilisent les langages écrits, mathématiques… qui chez moi créaient un environnement qui aspirait les petits eux minoritaires.

Dès le matin j’ai été étonné : chaque jour il y a la réunion. Tout le monde doit rejoindre une pièce pas très grande (Ah ! L’espace !). Je vois arriver toute la bande quelque peu bruyante, pour le moins très décontractée comme le sont des petits. Et nous n’étions qu’à quelques jours de la rentrée. Je me demandais bien comment les trois éducateurs allaient s’en sortir (je les surveillais du coin de l’œil !). Pas un seul mot de leur part. Petit à petit tout le monde s’assoyait en continuant de parler, les uns se serrant sur les bancs, quelques-uns se perchant sur l’échelle de la mezzanine, et puis, comme par miracle, toujours sans que je n’entende un seul mot des adultes, le silence s’est fait, des mains se sont levées, une petite a donné la parole, et « Moi, je veux montrer ce que j’ai ramassé tout à l’heure dans l’herbe, ce sont des oignons sauvages », « Moi je veux vous dire que… »… Vous voulez savoir s’il y a de l’écoute ? Regardez où se dirigent les yeux des autres : la plupart étaient tournés vers celle ou celui qui parlait ! Moyenne d’âge : quatre ans ! Pensez à vos propres réunions d’adultes !

Avec une pareille culture instaurée, je ne me fais aucun souci sur l’efficience des stratégies que met en place l’équipe d’éducateurs pour que s’opère la transition vers d’autres langages (ceux qui inquiètent), ce d’autant qu’ils possèdent comme tous ceux de ces planètes la formidable capacité du questionnement, de la remise en question permanente. Le soir, il y a un ancien de l’équipe qui nous racontait qu’il avait rêvé la veille à une idée d’aménagement… lorsqu’il s’est réveillé : « mais zut ! je n’y travaille plus à la maison des enfants !!!! » Quand je vous disais qu’il s’agit surtout d’ingénierie !

Mais il y a une autre planète que celle des enfants dans la maison des enfants. Il y a celle des parents. Celle où des parents sont à la fois fondateurs, financeurs, gestionnaires, employeurs, entreteneurs, bricoleurs, usagers, acteurs de la structure qu’ils créent ou doivent faire vivre pour leurs enfants. Ils doivent le faire ensemble (entre eux), ensemble avec l’équipe qu’ils recrutent, ensemble avec les enfants pour qui elle est faite, ensemble avec des idées, des besoins ou des craintes qui peuvent être différents ! Il est impossible de cumuler plus de difficultés dans une organisation sociale. Vous imaginez les différentes postures qu’il faut prendre successivement, y compris avec ses propres enfants, avec les enfants des autres. Sur terre, nous dirions : impossible. Et bien sur ces planètes ils le font ; mieux, j’ai vu qu’ils y prenaient plaisir, qu’ils grandissaient autant et en même temps que leurs enfants. Et les neurones tournent sans arrêt, au bout de ces trois jours j’ai eu besoin de faire reposer les miens !

L’ACEPP[4] qui fédère les crèches parentales a exploré depuis longtemps ce paradigme. Mais sans le problème et l’inquiétude de la construction des langages sociétaux autres que l'oral. La problématique est étendue lorsque l’accueil est celui des enfants de tous âges jusqu’à l’adolescence, voire aux jeunes adultes. Ces parents sont en train d’inventer un autre monde de relations sociales, celui des consensus. Ce sont eux les chercheurs auxquels il faudrait faire appel pour connaître les difficultés à vaincre, les moyens à se donner, les structures à inventer. Il faudrait que nos experts de tout poil regardent non pas au-dessous d’eux mais ce qui est au-dessus d’eux pour prendre quelques leçons !

Ce qui m’a frappé aussi durant ces trois jours de rencontres du 3ème type, c’est l’émerveillement constant de toutes ces personnes regardant les enfants. L’émerveillement de découvrir à tout moment les formidables potentialités d’un enfant, de tous les enfants. J’avoue que moi-même ai continué à le faire aussi bien dans la planète parisienne que dans celle de Vincennes. Regarder les enfants, si seulement tout le monde le faisait, il y a belle lurette qu’il n’y aurait plus de problème d’éducation, d’école… et peut-être même de société.

 Comme nous étions dans le monde des étoiles, il me faut ajouter que comme elles ces écoles, qui ne sont plus des écoles, qui naissent un peu partout, constituent une galaxie : elles échangent, se rencontrent (comme par exemple dans le Printemps de l’éducation), dans le réseau pour des écoles libérées).

Alors, restons dans l’astronomie : l’expansion des galaxies ! Celle-ci ne se fera peut-être pas absorber par un trou noir !

 


[1] Pour mieux la connaître, il est indispensable de visiter leur site :  http://www.ecole-dynamique.org/

[2] Idem : http://www.sequana-lamaisondesenfants.fr/

[3] Il faut entendre ce terme dans cette définition : Mouvement interne qui anime et fait évoluer (quelque chose, les personnes, des collectifs de personnes…).

[4] Association des collectifs enfants, parents, professionnels

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