Extrait de "Entre autres... le chemin des adultes pour libérer les enfants" éd. L'Instant Présent
Un jour, à Moussac, je ne sais pourquoi j’étais d’une humeur exécrable et le colérique refoulé que je suis s’en prenait à Clément, de la façon la plus stupide qui soit.
Ce que je n’avais pas vu, c’est que trois loustics, le caméscope sur l’épaule, filmaient la scène avec commentaires en voix off. Le caméscope était dans la classe un outil aussi banal qu’un stylo et les enfants l’utilisaient presque comme des professionnels. Comme c’était un caméscope SVHS d’épaule, on pouvait même le confondre en plus petit à ceux qu’utilisent les cadreurs de la télé. L’éducation à l’image, c’est de produire des images pour dire quelque chose.
Le lendemain, à la réunion, l’un d’eux demanda la parole avec ses deux compères hilares : « Msieur, on a quelque chose à montrer ! »
Et sur l’écran, et même le grand écran que nous avions obtenu du Conseil général, je vis se dérouler une vidéo, parfaitement séquencée, avec des commentaires ironiques ou humoristiques en voix off qu’un Frank Lepage aurait enviés.
Je me liquéfiais au fur et à mesure que je voyais le personnage qui apparaissait, mon personnage ! Imaginez un maître d’école qui ne sait plus où se mettre, qui ne sait plus quoi dire, qui aurait voulu être à cent lieues de ces enfants hilares au lieu d’être méchants.
Cela devait vraiment se voir parce qu’à la fin, mes trois loustics, Clément et toute la classe me réconfortaient, il y en a même qui me tapaient amicalement dans le dos « Mais Msieur c’est pas grave… ça arrive à tout le monde, à nous aussi… faut pas vous en faire… il y a des moments comme ça… on peut pas toujours s’en empêcher… ça va passer… etc….. » C’était une bande d’enfants de quatre à dix ans qui me donnaient la plus belle leçon que j’ai pu recevoir !
J’ai eu quelques nuits difficiles qui ont suivies ! Par la suite je l’ai regardée cette vidéo de temps en temps quand je sentais que j’allais mal, je l’ai toujours conservée comme mon garde-fou.
Mais n’ai jamais osé la montrer en public ce qui aurait été le pas définitif et finalement peut-être la seule vidéo utile parce que j’étais aussi fier de ce que ses enfants avaient pu faire et dire… et paradoxalement un peu fier de ce que je leur avais permis d’être.