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Le blog de Bernard Collot
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2 octobre 2015

Jusqu’où les laisser aller ?

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Je reprends le fil des billets plus… pédagogiques.

 

« Il ne fait que dessiner toute la journée ! » Il ne fait que… La suite est très variable, en général il s’agit d’occupations jugées peu positives quand elles perdurent, la pire étant évidemment il ne fait que regarder la télé… ou il ne fait rien[1] ! S’il ne fait qu’écrire ou lire ou mathématiser ou expérimenter, cela ne provoque généralement pas d’inquiétudes, plutôt de la satisfaction.

 

Combien de fois ai-je entendu cette remarque angoissée, soit de collègues se lançant vers une école du 3ème type, soit de parents se lançant dans le unschooling ou tout simplement dans la vie de leurs enfants après l’école.

 

J’avoue m’en être aussi parfois inquiété dans ma vie professionnelle ou plus encore dans celle de parent ! Les périodes d’imitation à longueur de journée d’un Jack Sparrow du « Pirate des Caraïbes » qui n’en finissaient plus après avoir succédé à celles d’un Hulk ou d’un Zidane, suivies plus tard de journées sur skype ou d’écoute de rap ! C’est vrai que j’aurais préféré voir mon fils écrire des poèmes, lire, aller ramasser des champignons. Or, il y a peu, il m’appelle « Viens voir, j’ai écrit et fait un rap. » À mon immense surprise, le texte mis sur un fond musical de la 9ème symphonie ( !) était remarquable et exprimait les difficultés relationnelles des adolescents. Et oui, il écrivait sans problème… quand il a éprouvé le besoin d’écrire. Je découvrais en même temps que le rap et les rappeurs utilisaient finalement le même procédé que les Racine ou Corneille avec les alexandrins : un rythme qui provoque, suggère et permet à la pensée de s’exprimer comme elle ne peut le faire dans la banalité du langage courant. Et du coup, il m’a fait découvrir les textes de ce qu’il écoutait ou plutôt me les a traduits parce que j’ai toujours eu du mal à distinguer les paroles prononcées dans un flux bien trop rapide pour mes oreilles. Et j’ai été bien surpris de la force et de la qualité d’écriture, dans un autre genre, de pas mal de ces productions qu’on se garde bien de qualifier poétiques ou littéraires. Je me suis dit que si les profs de littérature commençaient par faire étudier le rap (ou de se le faire découvrir par leurs élèves !), ils n’auraient plus de problèmes ensuite à faire lire Hugo, Baudelaire, Racine… et Finkielkrault ne pourrait plus rien dire ! 

 

On peut toujours chercher des explications à ce qu’on estime comme un enfermement dans une seule activité (il y a souvent la solitude, l’insuffisance d’autres relations avec d’autres enfants, peu de divers passionnés différents autour de lui…). On peut essayer de suggérer ou de proposer d’autres activités. On peut demander qu’il y ait des pauses hygiéniques (en particulier quand l’activité passe par un écran). On peut surtout essayer de le rendre moins passif en nous nous y intéressant, tranquillement (d’habitude nous faisons le contraire en le dénigrant, et nous confortons l’enfermement), ce faisant, dans le même enfermement, nous l’aidons à ouvrir de nouvelles pistes.

 

L’autre face c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le zapping qui nous inquiète tout autant et que l’on va même médicaliser sous le terme d’hyperactivité. « Il ne s’engage dans rien à fond ! »

 

Ces deux faces sont ce qui inquiète le plus dans une école du 3ème type ou école libérée comme l’appelle Ramin Farhingi[2] : « Mais tu ne vas pas les laisser peindre toute la journée s’ils n’ont envie que de ça ! ». Et bien si !

 

D’abord c’est un besoin dont on ignore la cause profonde. J’ai raconté par ailleurs[3] l’histoire de cet enfant qui n’arrêtait pas de peindre ou dessiner des tableaux avec des sortes de corbeaux noirs jusqu’au jour où il s’est ainsi libéré de ce qui pesait dans sa vie, que les corbeaux ont disparu et qu’il a pu s’intéresser à autre chose que peindre ; ou encore celle de ces deux enfants qui passaient leurs journées dans le langage mathématique jusqu’au moment où ont pu se rétablir leurs langages relationnels et où ils ont pu rentrer dans bien d’autres activités.

 

Ensuite parce que dans n’importe quelle activité le cerveau continue de se construire, de se complexifier, de créer des schèmes opératoires réutilisables dans d’autres langages. Si l’enfant peut ne rien faire en apparence, son cerveau, lui, n’arrête jamais. Seul le pouvoir d’un adulte, par ce qu’il impose ou interdit, peut contrôler et ralentir l’activité du cerveau.

Enfin parce qu’il y a autour de l’enfant d’autres enfants, d’autres personnes, qui font beaucoup d’autres choses et qui en jouissent. La principale attraction ou motivation qui fait s’investir dans une activité, c’est la jouissance, celle que nous pressentons puis ressentons, celle que nous voyons chez les autres dans ce qu’ils font d’autre, dans ce qu’ils nous proposent éventuellement de participer. Si vous ne voyez que des visages de marcheurs torturés par l’effort , vous ne serez pas incités à marcher avec eux ! En ce sens d’ailleurs, la compétition qui ne procure de jouissance (et honneur et récompense) seulement sur un podium et qu’à celui qui gagne n’a jamais été incitatrice… pour les gens raisonnables !

Je n’ai jamais vu l’enfermement dans une activité ou le zapping[4] perdurer plus de quelques jours dans mon école. Il était le plus souvent provoqué par la découverte brutale de la liberté chez les enfants y arrivant pour la première fois. On imagine mal à quel point la liberté est devenue un phénomène incongru, insécurisant, voire dangereux.

Il n’empêche qu’à une période ou une autre, des enfants pouvaient s’investir totalement dans un seul projet jusqu’à ne plus se consacrer qu’à lui. Je pense, entre autres, à ce petit Olivier qui s’était emparé du logo de Seymour Papper (langage informatique) et qui était arrivé à un incroyable niveau mathématique, à une autre dont la passion était les bestioles, etc. Mais ils partageaient ce qu’ils découvraient, l’expliquaient, le communiquaient aux autres dans différents langages… Qu'ils vont loin alors ! En étant écouté on développe aussi sa faculté d’écouter les autres, de s’intéresser aux autres et à ce qu’ils font. Investissement et partage.

Bien sûr il y a des cas extrêmes qui finissent par relever de la pathologie (en particulier l’addiction), qui ont des causes psychiques qu’il faut arriver à déterminer et qui ont besoin d’aide, mais ils sont rares.

L’école joyeuse ? D’accord, mais jusqu’à ce qu’elle devienne l’école jouissive !

prendizagem informal, aprendizagem natural -  l'apprendimento informale, l'apprendimento naturale - informelles Lernen, natürliches Lernen. 


[1] Le « ne rien faire » est une impossibilité biologique, sauf lorsqu’on est mort !

[2] Créateur de l’école dynamique de Paris et du réseau pour une école libérée.

[3] « L’école de la simplexité » 2011

[4] On peut considérer que le zapping est une sorte de tâtonnement expérimental.

Commentaires
C
LOL comme dirait mon fils! <br /> <br /> Les inspections devaient être sympa..<br /> <br /> En fait, en lisant votre livre, j'ai pris conscience 10 ans plus tard que j'avais été bien plus formatée que je le pensais! J'ai enseigné pendant 2 ans, dont un an à l'école ouverte Einstein à Ivry et sortant tout juste de l'IUFM j'avais intégré qu'il FALLAIT aborder les points définis par le programme même étalé sur un cycle, d'où leur découpage nécessaire en palier, objectif, compétence ...et sacro sainte évaluation! Comme je ne faisais pas les choses à moitié ( je venais d'un lourd passé CEMEA), je démarrais ma classe en m'inspirant des pédagogies institutionnelles ( le conseil, les ceintures..) avec les "techniques Freinet": le journal, la correspondance scolaire. Ainsi, je n'avais plus de temps pour "boucler" ce programme!.<br /> <br /> <br /> <br /> Ayant quitté l'institution EN et après la naissance de mon fils, mon compagnon et moi nous avons décidé de ne pas scolariser notre fils, et voilà qu'à l'^^age de l'instruction obligatoire revient la question de l'évaluation lors du contrôle par l'inspecteur. Nous avons jusque là refusé les tests mais aujourd'hui encore ce n'est pas évident de présenter les acquis d'un enfant (qui apprend de manière "informelle"," autonome, autogéré"-aucun mot ne convient- bref un enfant qui apprend sans être enseigné). <br /> <br /> <br /> <br /> Même si l'article de loi nous garanti la liberté des moyens, cette liberté quand elle n'est pas volée est actuellement bien mise à l'épreuve avec le dernier décret qui vient d'être passé.<br /> <br /> En fait, je viens de prendre conscience (encore!) depuis peu que je n'étais pas à l'aise, car je sentais que ces fameux apprentissages informels était perçu comme pas bien sérieux ou encore mal vu ou perçu comme de la négligence ou du laxisme par l'institution.<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai rejeté l'institution scolaire car je pense que l'IEF pour l'instant est le seul espace qui permette réellement à l'enfant d'apprendre ce qu'il veut, quand il veut et avec qui il veut. En découvrant cette école du troisième type, je reprend peut-être espoir que c'est possible? Encore faut-il que les parents jouent le jeu, que le village suive.. <br /> <br /> Après, l'IEF a ses limites aussi, le dynamique de groupe y est beaucoup plus restreinte..<br /> <br /> En tout cas, cette lecture tombe à point nommé, j’éclaircis certaines choses et cela me rassure de voir qu'il y a d'autres personnes qui envisagent les apprentissages de la même façon, merci!<br /> <br /> Cadine
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C
Bonjour, je ne sais pas si ce sujet de discussion est encore actif, mais je poste quand même ma question. ayant parcouru votre blog et lu votre livre, il m'est venu une interrogation: comment aviez-vous fait face aux exigences de l'IA ou de votre inspecteur en ce qui concerne les fameux savoirs fondamentaux: lire, écrire, compter.. et les demandes de journal de l'enseignant avec tout le toutim: progression, objectif, évaluation? Merci de votre réponse<br /> <br /> Cadine
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L
Même si l'auteur de TV Lobotomie est un réactionnaire avéré, il est aussi chercheur en neurosciences et assez légitime méthodologiquement pour faire une méta-analyse statistiquement correcte...<br /> <br /> Donc dire, après la publication de son travail (ou celui plus intéressant mais plus philosophique de Bernard Stiegler), que "dans n'importe quelle activité le cerveau continue de se construire" sans se demander COMMENT il se construit chez un enfant qui ne fait que regarder la télé, cela me parait d'une rigueur intellectuelle douteuse!
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F
Moi, je décroche un peu intellectuellement, et ne peux être dans l'analyse, cependant, quel bonheur de lire tes articles, et ce que tu laisses voir du potentiel des enfants !!! c'est ça, si les adultes pouvaient faire totalement confiance dans le potentiel des enfants, que de souffrances seraient épargnées, aux uns comme aux autres ...
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Y
"Mais c'est un tel renversement qu'il faudra un ou deux siècles pour l'admettre !" <br /> <br /> <br /> <br /> Pourquoi? Ce qui l'admettent le vivent déjà, depuis un demi siècle, certes, avec chacun ses hésitations et ses doutes... Mais ils le vivent bel et bien. Le but n'étant pas de convaincre ceux qui ne l'admettent pas, plutôt d'accueillir ceux qui ont déjà compris la nécessité de cette évolution. <br /> <br /> Si seulement personne ne se donne le choix de vivre le 3ième type, libéré, unschooling, en pensant comme cela, comment veut-on que cette majorité soi alertée de l'existence d'autre chose que ce que la société leur a inculqué à coup de dictionnaires et de notice de vie (oui aujourd'hui tout a une notice, on ne fait plus rien par instinct ou nature, mais c'est un autre sujet!) ?<br /> <br /> <br /> <br /> Les personnes à qui je parle de cela ne savent presque jamais que l'école n'est pas obligatoire... et parlent des problèmes de leurs enfants comme s'ils tombaient du ciel car "diagnostiqué" et médicalisé, donc c'est normal. Après, vient tout un processus d'intervention sur l'enfant pour le faire rentrer dans le cadre de ce que l'école produit de mieux. A ces personnes, je leur demande simplement de me décrire comment ils vivraient cette expérience, si ca leur arrivait maintenant? ... Votre première reactions ne serait-elle pas de dire : "Mais laissez moi vivre, loin de tout ça, laissez moi tranquil! bons sang?" Ces mêmes enfants finiront pas devenir ce qu'il ont envie d'être sans votre aide, surtout pas celle que vous pensez utile et "bien" au yeux de la société, d'ailleurs, ils n'ont pas besoin que l'on pense à leur place.<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne souhaite même pas imaginer une société plusieurs fois millénaire dans laquelle l'école, telle qu'on la connait, ait été la seul source d'apprentissage de la vie... c'est juste impossible de résister à une forme si agressive, et pourtant normalisée, de contrainte intellectuelle et physique aussi longtemps pour la nature humaine. Le simple fait de l'avoir accepté comme étant normale prouve bien a quel point l'hypnose est efficace.<br /> <br /> <br /> <br /> Entre créature inhumaine et humain créateur, il n'y a qu'un petit lapsus :)
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