Jusqu’où les laisser aller ?
Je reprends le fil des billets plus… pédagogiques.
« Il ne fait que dessiner toute la journée ! » Il ne fait que… La suite est très variable, en général il s’agit d’occupations jugées peu positives quand elles perdurent, la pire étant évidemment il ne fait que regarder la télé… ou il ne fait rien[1] ! S’il ne fait qu’écrire ou lire ou mathématiser ou expérimenter, cela ne provoque généralement pas d’inquiétudes, plutôt de la satisfaction.
Combien de fois ai-je entendu cette remarque angoissée, soit de collègues se lançant vers une école du 3ème type, soit de parents se lançant dans le unschooling ou tout simplement dans la vie de leurs enfants après l’école.
J’avoue m’en être aussi parfois inquiété dans ma vie professionnelle ou plus encore dans celle de parent ! Les périodes d’imitation à longueur de journée d’un Jack Sparrow du « Pirate des Caraïbes » qui n’en finissaient plus après avoir succédé à celles d’un Hulk ou d’un Zidane, suivies plus tard de journées sur skype ou d’écoute de rap ! C’est vrai que j’aurais préféré voir mon fils écrire des poèmes, lire, aller ramasser des champignons. Or, il y a peu, il m’appelle « Viens voir, j’ai écrit et fait un rap. » À mon immense surprise, le texte mis sur un fond musical de la 9ème symphonie ( !) était remarquable et exprimait les difficultés relationnelles des adolescents. Et oui, il écrivait sans problème… quand il a éprouvé le besoin d’écrire. Je découvrais en même temps que le rap et les rappeurs utilisaient finalement le même procédé que les Racine ou Corneille avec les alexandrins : un rythme qui provoque, suggère et permet à la pensée de s’exprimer comme elle ne peut le faire dans la banalité du langage courant. Et du coup, il m’a fait découvrir les textes de ce qu’il écoutait ou plutôt me les a traduits parce que j’ai toujours eu du mal à distinguer les paroles prononcées dans un flux bien trop rapide pour mes oreilles. Et j’ai été bien surpris de la force et de la qualité d’écriture, dans un autre genre, de pas mal de ces productions qu’on se garde bien de qualifier poétiques ou littéraires. Je me suis dit que si les profs de littérature commençaient par faire étudier le rap (ou de se le faire découvrir par leurs élèves !), ils n’auraient plus de problèmes ensuite à faire lire Hugo, Baudelaire, Racine… et Finkielkrault ne pourrait plus rien dire !
On peut toujours chercher des explications à ce qu’on estime comme un enfermement dans une seule activité (il y a souvent la solitude, l’insuffisance d’autres relations avec d’autres enfants, peu de divers passionnés différents autour de lui…). On peut essayer de suggérer ou de proposer d’autres activités. On peut demander qu’il y ait des pauses hygiéniques (en particulier quand l’activité passe par un écran). On peut surtout essayer de le rendre moins passif en nous nous y intéressant, tranquillement (d’habitude nous faisons le contraire en le dénigrant, et nous confortons l’enfermement), ce faisant, dans le même enfermement, nous l’aidons à ouvrir de nouvelles pistes.
L’autre face c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le zapping qui nous inquiète tout autant et que l’on va même médicaliser sous le terme d’hyperactivité. « Il ne s’engage dans rien à fond ! »
Ces deux faces sont ce qui inquiète le plus dans une école du 3ème type ou école libérée comme l’appelle Ramin Farhingi[2] : « Mais tu ne vas pas les laisser peindre toute la journée s’ils n’ont envie que de ça ! ». Et bien si !
D’abord c’est un besoin dont on ignore la cause profonde. J’ai raconté par ailleurs[3] l’histoire de cet enfant qui n’arrêtait pas de peindre ou dessiner des tableaux avec des sortes de corbeaux noirs jusqu’au jour où il s’est ainsi libéré de ce qui pesait dans sa vie, que les corbeaux ont disparu et qu’il a pu s’intéresser à autre chose que peindre ; ou encore celle de ces deux enfants qui passaient leurs journées dans le langage mathématique jusqu’au moment où ont pu se rétablir leurs langages relationnels et où ils ont pu rentrer dans bien d’autres activités.
Ensuite parce que dans n’importe quelle activité le cerveau continue de se construire, de se complexifier, de créer des schèmes opératoires réutilisables dans d’autres langages. Si l’enfant peut ne rien faire en apparence, son cerveau, lui, n’arrête jamais. Seul le pouvoir d’un adulte, par ce qu’il impose ou interdit, peut contrôler et ralentir l’activité du cerveau.
Enfin parce qu’il y a autour de l’enfant d’autres enfants, d’autres personnes, qui font beaucoup d’autres choses et qui en jouissent. La principale attraction ou motivation qui fait s’investir dans une activité, c’est la jouissance, celle que nous pressentons puis ressentons, celle que nous voyons chez les autres dans ce qu’ils font d’autre, dans ce qu’ils nous proposent éventuellement de participer. Si vous ne voyez que des visages de marcheurs torturés par l’effort , vous ne serez pas incités à marcher avec eux ! En ce sens d’ailleurs, la compétition qui ne procure de jouissance (et honneur et récompense) seulement sur un podium et qu’à celui qui gagne n’a jamais été incitatrice… pour les gens raisonnables !
Je n’ai jamais vu l’enfermement dans une activité ou le zapping[4] perdurer plus de quelques jours dans mon école. Il était le plus souvent provoqué par la découverte brutale de la liberté chez les enfants y arrivant pour la première fois. On imagine mal à quel point la liberté est devenue un phénomène incongru, insécurisant, voire dangereux.
Il n’empêche qu’à une période ou une autre, des enfants pouvaient s’investir totalement dans un seul projet jusqu’à ne plus se consacrer qu’à lui. Je pense, entre autres, à ce petit Olivier qui s’était emparé du logo de Seymour Papper (langage informatique) et qui était arrivé à un incroyable niveau mathématique, à une autre dont la passion était les bestioles, etc. Mais ils partageaient ce qu’ils découvraient, l’expliquaient, le communiquaient aux autres dans différents langages… Qu'ils vont loin alors ! En étant écouté on développe aussi sa faculté d’écouter les autres, de s’intéresser aux autres et à ce qu’ils font. Investissement et partage.
Bien sûr il y a des cas extrêmes qui finissent par relever de la pathologie (en particulier l’addiction), qui ont des causes psychiques qu’il faut arriver à déterminer et qui ont besoin d’aide, mais ils sont rares.
L’école joyeuse ? D’accord, mais jusqu’à ce qu’elle devienne l’école jouissive !
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