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Le blog de Bernard Collot
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15 juin 2016

Formation, déformation, coformation

formation

On me demande parfois de « faire » des formations à une école du 3ème type. Je réponds que je ne suis pas un formateur et, quand bien même je le voudrais, je ne vois pas comment je pourrais former qui que ce soit à la vie. La seule demande surprenante que j’ai un jour reçue c’était un appel à faire un stage de… déformation !!! C’est vrai que la frontière est floue entre formation et formatage, nous avons tous été bien formés-formatés, y compris moi-même, et il faut passer toute une vie et une incroyable énergie à se déformater. Je ne sais pas si des « spécialistes » (donc aussi des complètement déformatés !) pourraient aider à accélérer un processus de déformation beaucoup plus difficile que celui du formatage, mais peut-être qu’ils pourraient créer artificiellement les chocs que pourtant la vie se charge de procurer à beaucoup.

La formation est un des mots les plus récurrents entendu, réclamé, proclamé partout. Ce n’est plus « donnez-nous du pain », c’est « donnez-nous de la formation ». La formation serait devenue comme la multiplication des pains un miracle attendu… pour avoir du pain. En tout cas elle est devenue un véritable bizness, il en fleurit partout, c’est un marché ou pour une fois c’est la demande qui booste l’offre. Parfois il y a bien l’interrogation « mais qui forme les formateurs ? », puis « mais qui forme les formateurs de formateurs ? »… Le plus simple étant l’auto-proclamation sur une carte de visite ou sur un site. Dans une institution comme l’Éducation nationale, il n’y a aucune différence entre un prof enseignant face à des lycéens et celui qui le fait face à des adultes dans les ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), sauf que les étudiants y sont beaucoup plus dociles. Devenir formateur, ou à un autre échelon conseiller, est aussi une promotion sociale, un moyen de s’extirper d’un terrain pour s’élever au-dessus d’un quotidien rarement facile.

« Nous ne sommes pas formés » se plaignent les enseignants attendant qu’on leur serve une potion magique qui devrait… qui devrait faire quoi au juste ? Savoir ce qu’il faudrait « qu’ils fassent » pour répondre à une demande ? Mais quelle demande ? Et une demande de qui ? La réponse est toujours floue sauf en ce qui concerne la seconde question : la demande de l’employeur évidemment. Lorsque c’est l’État l’employeur, ses finalités sont tellement multiples, contradictoires et surtout inavouées que lui-même ne sait pas comment former ses employés et que sa solution la plus simple depuis tout temps c’est… de ne pas former autrement qu’en faisant passer des concours. Après, il dit « obtenez les « résultats » que je vous demande d’obtenir (ces résultats étant des évaluations, des examens), mais débrouillez-vous comme vous pouvez » et il a inventé la « liberté pédagogique » !

On peut former à utiliser un traitement de texte aussi compliqué soit-il parce qu’il ne peut faire autre chose que ce pourquoi il est conçu, écrire, à condition qu’on ait besoin d’écrire. La formation consiste à mémoriser les gestes et actions mécaniques qu’il y a à exécuter pour obtenir un résultat, toujours le même, de l’écriture qui s’affiche et que l’on peut manipuler. Cette fois, « résultat » a un sens précis. À la place d’un formateur, un bon mode d’emploi peut suffire, c’est lui le formateur. S’il s’agit de mon jardin, certes des connaissances me seront utiles (reconnaître des plantes, savoir ce que c’est le ph, les façons de limiter les arrosages, amender le terrain…) qui raccourciront quelque peu mon tâtonnement ; je peux les trouver aussi dans des livres mais un bon jardinier, pas besoin qu’il soit qualifié de formateur, peut m’aider à aller un peu plus vite, j’aurais juste intérêt à avoir plusieurs jardiniers comme conseillers parce que les mêmes connaissances ne débouchent pas forcément sur les mêmes conceptions et les mêmes pratiques. Le mieux est d'ailleurs d'aller travailler avec eux. Il n’empêche que celui qui va me former, c’est mon jardin, ce qu’il est et ce que j’y suis dedans ! Parce que je ne suis plus dans le domaine des systèmes mécaniques mais dans celui du vivant. Il n’y a pas de mode d’emploi du jardin.

Ce qui nous pousse à être et faire autrement, c’est bien le mal-être ou le malaise ressenti. Nous cherchons naturellement des pistes pour mettre d’abord en route une transformation, ensuite pour la mener à bien. Un bouquin, le croisement d’une personne, aujourd’hui une vidéo, un film, une émission, quelque chose entendu ou vu quelque part qui a provoqué un choc, mais ce n’est jamais par hasard, il n’y a de chocs que ceux recherchés ou acceptés. Après avoir entrevu une piste, nous en cherchons d’autres, ce qu’elles ont de commun, ce que nous pouvons prendre dans les unes et les autres. Et ensuite ?

Ensuite nous sommes tous des chercheurs ! Nous sommes tous dans un inconnu, le plus difficile étant de se débarrasser du connu, se dé-former pour se transformer autrement. Qu’est-ce qui aide alors ?

Les rencontres in situ avec d’autres chercheurs de vie comme nous ! C’est l’essentiel. Dans leur histoire, c’est comme cela que se sont construites la pédagogie Freinet, l’agriculture bio… (voir le pédagogue et le paysan). Autrefois, un jeudi par mois, nous nous retrouvions à tour de rôle dans la classe d’un collègue qui faisait revenir ses enfants, faisait classe le matin devant nous, et nous débriefions l’après-midi avec une multitude de regards croisés. Aller chez les autres, laisser les autres venir chez soi. Avec la télématique à partir de 1983, cela a été les échanges quotidiens par messagerie. Essais, difficultés variant suivant les contextes et les personnes, découvertes, tout était mis en commun. Écrire pour soi et aux autres dans le va-et-vient des retours, c’est prendre du recul sur l’historique d’une journée, en extirper du signifiant, laisser remonter ce qui n’avait pu être analysé, pris en compte, confronter une situation avec d’autres…

Les regards extérieurs. Nous avons tous le nez sur le guidon. Un regard extérieur, avec une autre vision que la nôtre, voit ce que nous ne voyons pas, nous rend une autre image de ce qui s’est passé, peut faire apparaître des éléments de la complexité. J’ai eu la chance de voir passer d’innombrables visiteurs et leurs visions, leurs interrogations m’ont beaucoup aidé. Il m’arrivait de placer le caméscope fixé en angle large et de le laisser tourner sans m’en préoccuper pendant une heure ou deux et de décortiquer le soir tout ce que je n’avais pas vu, en particulier moi-même.

La déformation-formation, c’est bien sur le terrain qu’elle s’opère avec ses pairs sur leurs terrains aussi, et elle ne cesse jamais. Elle ne s’appuie pas sur des certitudes qui nous seraient données par d’autres « au-dessus » mais par l’incertitude qui devient féconde« Que dois-je faire ? - Je n’en sais rien mais tu peux essayer… moi j'ai essayé...». Quitter les modes d’emploi pour lesquels nous avons été formés à attendre et à appliquer. Si le vivant était du linge, il suffirait d’appuyer sur les boutons du programme appris de la machine à laver pour qu’il ressorte plus blanc que blanc dit la pub !

Amis formateurs ne soyez pas fâchés, vous êtes quand même utiles ! Dans les stages que vous organisez, ce n’est pas vous qui êtes importants mais les stagiaires que vous réunissez puisque sans vous ils ne se rencontreraient peut-être pas. Dans les colloques les intervenants ne sont que des prétextes, c’est dans les couloirs, parfois au bar ou sur les terrasses, que tout se passe. Dans le premier colloque sur l’école rurale (Le Vigean, 1989) il n’y avait pas d’intervenants. Dans les rencontres qu’organisent les amis d’une école du 3ème type, il n’y a pas d’intervenants, parfois même pas de thème. Ce sont des auberges espagnoles où chacun apporte ce qu’il y a à mettre sur la table et à partager, y compris fromage et rosé ! Ce qu’il y a à partager, ce sont les expériences, y compris celle des formateurs s’ils en ont une. Les « formateurs » sont ceux qui proposent et mettent à disposition les tables, les tenanciers des auberges, et ce n’est pas rien !

PS :

- Je ne sais plus dans quelle période ni dans quel pays nordique, la formation des enseignants débutait par l’obligation d’élaborer dans des groupes d’étudiants un projet quelconque (aussi bien la construction d’un bateau qu’une expédition en pays étranger qu’un élevage de poulets…) et de le réaliser de façon autonome pendant plusieurs semaines.

A la fin et revenus en cours, ils avaient la matière pour réfléchir entre eux aux processus d’apprentissages formels et informels, aux problèmes posés par le fonctionnement des groupes et le vivre ensemble… qu’ils venaient de vivre pour eux-mêmes, auxquels ils avaient été confrontés.

- Pour devenir compagnon dans une organisation allemande de compagnons charpentiers, les aspirants doivent constituer un groupe d’une quinzaine de personnes ne se connaissant pas, et pendant deux ans, sans jamais se quitter et sans maîtres, sans argent et avec obligation de ne pas en recevoir, ils doivent obtenir, réaliser et aller d’un chantier à un autre. Ils ne peuvent revenir à moins de 50 km de leur ville. À terme, ils sont compagnons charpentiers sans avoir à produire un chef-d’œuvre.

Ils ont une telle réputation qu’ils sont très demandés par ceux qui les connaissent. Comme c’est très allemand, dans les conventions il est précisé aux demandeurs jusqu’au nombre de cannettes de bière et de kilos de saucissons qu’ils doivent fournir aux maîtres d’œuvre bénévoles ! Je les ai vus opérer en Corrèze sur un gros chantier et c’est vraiment impressionnant.

 

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