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Le blog de Bernard Collot
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13 octobre 2016

La cohérence et la congruence

coherence

Pourquoi devrais-je rentrer en classe alors que je suis si bien dehors ? 

Les enfants sont encore plus sensibles que nous à la cohérence, d’ailleurs c’est un peu leur recherche constante pour comprendre le monde dans lequel ils vivent. Vous avez tous été submergés par leurs « Oui mais pourquoi… ? » ou les « Oui, mais tu m’avais dit… ».  Le sentiment d’injustice, qui est beaucoup plus développé chez eux que chez nous les adultes, est presque toujours dû à la perception d’une incohérence (pourquoi lui a le droit et pas moi ?)

Nous pensons détenir et acceptons une vérité lorsque la façon dont nous nous représentons un phénomène, une situation, est exempte de toute contradiction (voir l’expérience de pensée). Toutes les idéologies ou religions essaient d’être cohérentes et inventent ce qu’il faut pour qu’elles le soient (si vous êtes malheureux sans vous révolter, le royaume des cieux vous appartiendra ! Donc vous pouvez supporter de l’être !,) peu importe que ce soit crédible, pourvu que ce soit cohérent pour être accepté. Toutes les théories scientifiques cherchent une cohérence dans le fonctionnement de l’univers, mais par contre cette cohérence n’est toujours que provisoire jusqu’à ce qu’un fait la remette en question.

J’ai toujours été étonné de voir avec quelle intensité les enfants s’amusaient avec le langage informatique « logo » de Seymour Papert et avec tout ce qui met en branle ce qu’on appelle une logique dépourvue de toute contradiction. C’était aussi le cas avec la langue espéranto. Il est probable que tous les cerveaux fonctionnent pour que s’établisse une cohérence entre leurs circuits neuronaux devant interpréter et réagir à des informations, à des situations. Les perturbations neurologiques semblent bien venir d’une détérioration ou d’un dysfonctionnement qui ne rend plus possible de rendre cohérent ce qui est perçu. Mais aussi rendre cohérent ce qui ne l’est pas dans ce que nous percevons, devons utiliser, dans lequel nous devons vivre, s’avère à un moment plus possible, même pour un cerveau normalement constitué mais surtout pour un cerveau en train de se constituer.

La cohérence ne signifie pas vérité. C’est le cas des religions, des idéologies, mais c’est par exemple le cas de l’école traditionnelle. On peut dire qu’elle est parfaitement cohérente dans ce sur quoi elle est fondée (transmission massive des savoirs) dans son organisation (taylorisme), les comportements… C’est probablement ce pourquoi elle est encore généralement acceptée ou que toute transformation troublant cette cohérence du système est rejetée (d’où l’importance d’une finalité claire et unique, voir le billet sur médiapart).

Dans les écoles du 3ème type ou allant vers le 3ème type, les enfants sont très sensibles à l’incohérence (ou doivent s’insérer dans une autre cohérence que celle à laquelle ils étaient habitués). Eux vont rejeter ou résister à ce qui n’est pas cohérent avec ce qu’on leur annonce. « Dans cette école tu seras libre – Alors pourquoi devrais-je rentrer en classe alors que je suis si bien dehors ? » Je l’ai déjà dit dans le billet précédent à propos de la liberté, mais c’est surtout l’incohérence dans l’application des principes annoncés qui est perturbante et qui transforme des enfants en perturbateurs. De même il y a perturbation quand il y a incohérence d’analyse et de comportement entre les membres de l’équipe, entre les attentes des parents, entre la formulation d’une remarque et l’esprit dans lequel elle était faite, entre une demande impérative, une organisation bien cadrée et l’autonomie qu’on dit vouloir accorder, etc., etc.

J’ai depuis longtemps constaté, et je le constate toujours, cette extrême sensibilité de la majorité des enfants à la cohérence de ce qu’on leur propose ou  de ce qu’on leur demande. Naturellement ils ont ce qu’on appelle un esprit logique mais c’est la logique que construit leur cerveau parce qu’il n’y a pas de logique universelle, c’est celle qu’ils construisent avec les éléments qu’ils ont à leur disposition, dont nous faisons partie. C’est souvent ce qui n’est pour nous que des « détails » qui fait  qu’ils ne peuvent adhérer… logiquement !!

Et puis il y a la congruence, chère à Carl Rogers. Je la résumerais à mettre en adéquation ce que l’on pense, ce que l’on dit avec ce que l’on est et ce que l’on fait. Les enfants renifleront tout de suite si vous êtes incongruents, donc pour eux pas crédibles (voir le billet sur les postures). Or il faut être congruent en assumant une responsabilité qui vous oblige parfois à réagir comme vous ne le voudriez pas, ce qui vous oblige chaque fois à expliquer « Je n’aime pas ce que je te demande de faire, mais je le fais provisoirement pour telle raison », encore faut-il que la raison soit cohérente avec la proposition de vie commune et le respect des personnes et de leur autonomie qui ont été annoncés. La finalité extrinsèque de l’école n’est pas la finalité intrinsèque des actes de chaque enfant, la réalisation de la seconde devant se faire de façon cohérente avec la première. Nous sommes encore dans les détails, les enfants sont à la fois dans les détails et dans le global !

Ces deux recherches, celle de la cohérence et celle de la congruence, toutes deux liées à une finalité, sont, me semble-t-il, l’essentiel des préoccupations de toutes les écoles alternatives qui veulent aller vers une école du 3ème type, peu importe d’ailleurs qu’elles l’annoncent ou non. En ce sens elles font partie de ce que je pense être les laboratoires de l’humanité et devraient avoir le soutien de tous ceux qui se prévalent d’humanisme et de progressisme.

Notre problème à nous les adultes en général, c’est que nous ne percevons plus l’incohérence. Je ne peux m’empêcher d’être politiquement incorrect en prenant l’actualité récente : les bombardements russes soulèvent l’opprobre des opinions publiques (tout au moins on informe pour soulever l’opprobre) et l’offuscation de nos dirigeants occidentaux. Mais les mêmes dirigeants et la même opinion publique trouvent normaux et justifiés leurs propres bombardements dans d’autres endroits et avec d’autres alliés dans le même conflit, comme si leurs bombes à eux triaient les civils.  Les mêmes bombardements par les alliés qui détruisaient des villes et leurs populations comme Lorient et d’autres occupées par un ennemi étaient eux justifiés comme étaient justifiées les destructions de Berlin, Hiroshima ou Nagasaki.  L’incohérence des propos et des actes est totale. Sauf si ce qui motive les actes n’a rien à voir avec une quelconque humanité (finalité possible d’un acte) mais vise à préserver des intérêts et des dominations. La cohérence est toujours par rapport à la finalité poursuivie. Autre exemple banal dans l'école : tout enseignant pacifiste et antimilitariste qui demande à ses élèves de se mettre en rang pour rentrer est totalement incohérent !

Nous vivons dans une société où tout est incohérent, aussi bien dans les énoncés de ce qui est proposé pour une finalité peu claire que dans ce qui est réalisé dont on ne sait plus si c’est pour atteindre ladite finalité (exemple, la gauche). Si bien qu’il suffit que soit proposé quelque chose de simpliste mais cohérent pour qu’une partie de la population adhère même si elle se doute de ce que va être la société ainsi annoncée (ex l’extrême-droite). Nos cerveaux ont besoin de cohérence !

Commentaires
E
Pour ma part la cohérence se vit, tandis que la congruence se justifie
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