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Le blog de Bernard Collot
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9 octobre 2017

Rencontres du 3ème type : Luxembourg

luxembourg-1164663_960_720Déjà, une assemblée composée de je ne sais combien de nationalités, donc de langues, c'était une autre planète, tout au moins pour moi ! Ce d’autant lorsque le paysan que je suis se mettait des écouteurs dans les oreilles et, miracle, il entendait directement en français les passionnants propos qui sortaient des bouches en anglais ou en allemand ! Je suis relativement impressionné par les Einstein, Picasso ou Carl Lewis (mais impressionné quand même) mais je suis dans une admiration sans bornes pour le fantastique exploit que réalisent les traducteurs simultanés, pendant toute une journée, sans aucun applaudissements ! Nous parlions d’apprentissages, de ce qui peut se passer dans le cerveau, des possibilités qu'ont tous les cerveaux… et nous avions dans nos oreilles l'exemple de ce qu’un humain peut réaliser avec les langages (nos réseaux de neurones !) dont nous disposons pourtant tous !

Ce colloque qui a pu avoir lieu à l’instigation d’une personne, Katy, et d’un petit groupe de son association Freetolearnluxembourg, sans aucun moyen mais avec une incroyable persévérance, était en soi… du troisième type ! C’était bien l’audace de la création sociale qui met à portée tous les possibles. Les vieux ami(e)s des crepsc avec qui nous réalisions des « coups » semblables auraient apprécié à sa juste valeur ce qui est aussi un exploit.

C’était d’autant étonnant que Katy et ses amis ont réussi à intéresser… le ministère de l’Education nationale luxembourgeois qui a envoyé un de ses hauts représentants intervenir, écouter et dialoguer avec la salle le samedi après-midi ! Inimaginable chez nous ! Bien sûr, personne n’était innocent et savait que la posture ne reflétait pas forcément la réalité. Mais j’ai été impressionné par la convivialité, de part et d’autre, du dialogue qui s’instaurait. Les luxembourgeois me rappelaient que le Luxembourg est… une petite structure ! Comme l’Islande, les cantons suisses, la Finlande, la Belgique avec ses deux entités wallonne et flamande… Et oui, une démocratie ne peut s’inventer et se vivre que dans de petites structures territoriales et sociales! (La Belgique qui a par exemple pu vivre normalement deux ans sans gouvernement n'est-ce pas étonnant ?!) Elle n’a été possible qu’à Athènes (et encore, sans les femmes et les plébéiens) elle ne pouvait exister dans l’empire romain. Mais, paradoxalement, pousser plus loin la démocratie ne les préoccupe pas trop : le Luxembourg est le pays où le revenu moyen est le plus élevé au monde ! Le smic à 2 000 € ! S’il y a bien de par l’apport des étrangers (60% de la population) une grande diversité culturelle, il n’y a pas beaucoup de mixité socioculturelle ! Le paradoxe c’est qu’alors que toute transformation encore plus démocratique (y compris la transformation de la conception de l’éducation) ne ferait strictement courir aucun risque à personne, le confort dans lequel chacun est (ou presque) engage à l’immobilisme. Peut-être faudra-t-il attendre que le confort excessif devienne aussi gênant que la pauvreté et qu’on en ait conscience ?

Dans le discours du représentant du ministère, j’ai aussi été frappé par un souci de l’État : l’incitation à l’inscription scolaire, et même récemment dans des crèches, a pour une de ses raisons que les petits luxembourgeois apprennent… le luxembourgeois !!! Depuis que le Luxembourg est devenu européen, que 60% de sa population est constituée non pas par des émigrés mais par des étrangers de passage (plus ou moins long), dans la vie courante les luxembourgeois parlent couramment beaucoup de langues, sauf le luxembourgeois. ! Or toute communauté avec ceux qui y vivent en permanence a besoin de s’identifier, d’avoir le sentiment d’appartenance pour la faire vivre. L’État français et son école se sont à l’inverse évertués pendant un siècle à éliminer les différentes langues maternelles des provinces (même si certaines étaient des dialectes) pour casser les sentiments d’appartenance à d’autres communautés qui nuisaient à son autorité. Les bretons, les corses, les vendéens… savent ce que je veux dire. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec la Catalogne, les basques, les kurdes… l’Europe, la mondialisation… On peut comprendre ce que l’on prend pour des replis sur soi comme au contraire une nécessité d’assumer l’identité que nous confère une collectivité et qui nous permet de participer et d’agir dans et avec cette communauté quand elle est perceptible, et, de par cela, de collaborer avec d’autres communautés dans l’intérêt de toutes (les écosystèmes !). Lorsque l’on n’est plus rien, on est à la merci de quelques-uns, l’histoire avec ses nations, ses empires, ses colonisations ne cesse  de nous le jeter à la figure. Il est difficile de penser que l'on peut être d'autant mieux français que l'on peut assumer d'être breton ou corse, d'autant mieux espagnol que l'on peut assumer d'être catalan andalou ou basque [1], d'autant mieux européen que l'on peut assumer d'être ce que l'on est là où on est avec ceux avec qui on est.[2].

Je ne m’étendrai pas sur tout ce qui s’est échangé pendant cette journée, à partir de points de vue (l’endroit où on est et d’où on regarde) tous différents : nous étions dans la même universalité que dans toutes les rencontres de ce type (le troisième !!) quels que soient les endroits où elles ont lieu et quelles que soient les personnes qui y participent, et elles sont de plus en plus nombreuses. C’est cette convergence qui se découvre qui a valeur, et rend optimiste.

Je résumerais cette journée ainsi : nous étions quelques-uns et unes conviés à mettre sur une table, chacun dans notre assiette les aliments que nous avions produits dans nos vie et dont nous nous nourrissions. Mais dans la salle tout le monde avait aussi dans son assiette sa propre nourriture. Chaque plat était cuisiné différemment, mais finalement nous constations que nous avions tous les mêmes ingrédients de base, que l’on pouvait picorer avec profit dans les assiettes du voisin ou de la voisine, que la choucroute allemande était aussi nourrissante que le pudding anglais, la bruine bonensoep hollandais (soupe !), les frites belges… ou les fromages français !   

Pour un coup d’essai, Katy et vos amis avez réalisé un coup de maître ! 

PS : un petit reproche : nous parlions des enfants, des jeunes, de leur statut de dominés... mais EUX n'y étaient pas !    


[1] On n'est pas breton parce qu'on a un père, une mère, un arrière-grand-père breton ou qu'on y est né mais parce qu'on y a établi sa vie et que nos enfants y vivent. Nos enfants, eux, seront peut-être plus tard catalans, kurdes, finlandais s'ils y établissent leur vie, même s'ils n'en ont pas la couleur ! 

[2] Je reprends tout ceci dans un dernier ouvrage en cours de réalisation qui s’intitulera « Les leçons d’une école du 3ème type »

Commentaires
K
2019 pour les 30 ans de la convention des droits de l'enfant. Mais cette fois avec un budget:-) de quoi nous garder en forme...
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K
mais les enfants ne voulaient pas venir, ils ont autre chose à faire:-) on l'a dit, c'est les parents qui ont du travail à faire sur eux-mêmes, les enfants ils n'ont pas besoin de ça, il y avait plein de beaux bébés quand même, même un dans l'écharpe de sa maman qui faisait son discours. Mais une conférence des enfants sur les parents ah oui ça ça serait intéressant! Vous m'inspirez pour notre prochain colloque:-)
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K
Ah je me demandais d'où vous aviez ce chiffre de 60% et effectivement nous étions à Luxembourg-ville!<br /> <br /> <br /> <br /> (Population. La population luxembourgeoise s'élève à 590.667 habitants (au 1er janvier 2017). 308.919 d'entre eux sont des Luxembourgeois, 281.748 ont un passeport étranger — ils représentent à eux seuls 47,7% de la population totale. Dans la capitale, cette proportion dépasse les 69%! 16 mai 2017)
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