L’éduculture biologique !
Je fais sans cesse la comparaison éducation-agriculture. Cultiver des plantes cela semble normal, mais cultiver des enfants comme des plantes… !!!
Les plantes n’ont pas besoin de nous pour pousser naturellement. Dans le jardin d’Eden il n’y a qu’à se baisser pour les cueillir, mais surtout pas la pomme… et pourtant qu’elle est bonne ! Dans la forêt amazonienne, enfin dans ce qu’il en reste, les chasseurs-cueilleurs n’ont pas besoin de cultiver et ils savent ce qu’il faut respecter. Leurs enfants aussi n’ont pas besoin d’être « cultivés » dans des abris spéciaux pour s’adapter au milieu dans lequel ils vivent et dont ils se nourrissent.
Mais voilà, dès qu’il a s’agit d’avoir à sa portée ce qui était nécessaire pour se nourrir, il a fallu semer à proximité ce dont on avait besoin. Laisser pousser n’était plus suffisant. Pousser était toujours naturel mais il fallait « faire pousser » seulement ce qu’on voulait qui pousse comme on voulait que cela pousse, donc défricher, travailler le sol offert à quelques graines. L’agriculture ! Facile quand ce sol était limoneux et riche, le climat propice, plus compliqué ailleurs. Nous avons toute l’histoire de l’agriculture.
Jusqu’à l’agriculture industrielle qui a pensé qu’avec ce que la science apprenait sur le besoin des plantes il suffisait de le leur apporter (engrais), de les protéger de tout ce qui pouvait nuire (pesticides, insecticides), de rationnaliser et d’uniformiser les méthodes, de concentrer les mêmes cultures sur la même surface (monoculture) pour obtenir de meilleurs rendements mais aussi de meilleurs profits en oubliant la finalité première : se bien nourrir. Ce faisant, plantes de plus en plus fragiles et sensibles aux maladies, de moins en moins nourrissantes, voire nocives, sols de plus en plus stériles et accroissement exponentiel des apports et de l’énergie consommée, problèmes de santé, malnutrition et faim dans le monde impossible à juguler, agriculteurs à la merci non pas du climat mais des marchés financiers...
L’agriculture biologique a compris qu’il fallait respecter les lois naturelles… de la nature. Mais, soit le sol était difficile (argileux, caillouteux…), soit il avait été massacré par l’agriculture précédente. Toute l’attention a donc été portée sur le sol à laisser vivant, à devenir ou redevenir vivant. Toute l’attention a été portée sur les écosystèmes dans lesquels les plantes croissent harmonieusement (polyculture, cultures associées, petites structures agricoles…). Il a fallu par l’action et le tâtonnement des agriculteurs aider artificiellement à cette transformation, parfois la booster (permaculture). Il est reconnu qu’il faut un certain temps de transition pour passer de l’agriculture industrielle à l’agriculture biologique.
Alors, remplaçons les plantes par les enfants comme je l’ai déjà suggéré dans un billet.
Le terrain où ils germent : la famille ; le terrain où on veut les faire pousser : l’école ; et surtout le terrain où ils sont obligés de pousser : la société. Cette dernière est bien devenue aussi aride que son sol, pour les mêmes raisons (profits) et peu de choses sont conformes aux besoins naturels de la vie : découpage et uniformisation des horaires, des rythmes, du travail non pas par rapport aux besoins vitaux de chacun et de tous mais par rapport aux rendements et aux profits en découlant… pour quelques-uns. Flexibilité du travail et délocalisations qui correspondent aux transplantations successives qu’on ferait subir à une plante et tout le monde sait qu’aucune plante n’y résiste en dehors de la première transplantation si c’est un jeune plant, et encore, il lui faudra du temps et des soins pour qu’il s’enracine à nouveau. Concentrations de toutes sortes et en particulier de l’habitat. Hyper-protection (sécurité, assurances, vaccination,…) qui ne protège en rien mais d’une part doit s’accroître de façon tout aussi exponentielle que les apports de pesticides, d’autre part qui fragilise d’autant tout le monde et provoque l’apparition d’autres maladies que celles qu’on croit avoir éradiquées (allergies, dépressions, burn out,… radicalisation, terrorisme !). Macrostructures où la moindre perturbation provoque des catastrophes (mégapoles, centrales nucléaires ou autres,… mondialisation qui est tout le contraire d’un écosystème...) etc.
Ce qui pousse naturellement dans cette société, ce sont justement les prédateurs, les bandes (surtout les bandes politiques, financières,…), les armes, les escrocs (l’escroquerie sur la valeur du travail : vedettes, stars de toute sorte, financiers, PDG de multinationales…), les profiteurs (actionnaires, rentiers…), la concurrence qui détruit tout concurrent, etc.
L’école qui prépare à cela et qui le fait perdurer est exactement conçue comme l’agriculture industrielle et ce qui est le crédo aujourd’hui : la production de masse et le rendement. Je l’ai évoqué souvent entre autre dans ce vieux billet.
Bon, globalement je ne caricature pas. Nous sommes bien devant le même problème que l’agriculture biologique pour faire pousser et s’épanouir nos graines d’humains et peut-être à contribuer au changement du terrain dans lequel ils vivent et auront à vivre.
L’éduculture part rigoureusement des mêmes principes que l’agriculture biologique (voir aussi). Il ne suffit pas, tout au moins pas encore, de laisser pousser les enfants sur le terrain sociétal devenu stérile, pour certains c’est d’ailleurs la rue devenant jungle. Nous n’avons prise que sur certains espaces que l’on doit créer ou transformer quand ils s’appellent encore école et que l’on peut alors comparer aux jardins (je préfère le terme à celui d’exploitation horticole !). Dans ces espaces il ne s’agit pas d’un semi d’humains mais plutôt d’un repiquage parce que le terrain du semis c’est bien sûr la famille et, malheureusement, toutes les familles n’ont pas la possibilité de le rendre aussi favorable qu’elles le voudraient. Certaines de ces pousses sont souvent déjà en voie de formatage par les espaces scolaires en adéquation avec l’espace sociétal et par l’environnement dont elles ne peuvent échapper. Comme pour l’agriculture biologique il s’agit d’opérer une transition pendant laquelle le terrain et les comportements dans ce terrain pourront se transformer pour enfin s’inscrire dans ce qui régit la croissance harmonieuse de tous les êtres vivants.
Comme pour l’agriculture biologique on cherche souvent d’abord une méthode. Il y a eu la méthode Lemaire-Boucher (avec les produits à base d’algues vendus par Lemaire-Boucher !), la méthode Howard, la méthode Seifer, la méthode Muller… pour les agriculteurs. Il ya les pédagogies actives, Freinet, Montessori (avec son matériel vendu par… !)… pour les éducateurs. Débuter par une méthode est utile.Par exemple la plupart des enfants-plantes ne connaissent pas pour une grande partie la liberté de pousser, celle-ci accordée brutalement peut étouffer celle des autres, ils ne peuvent pas forcément savoir quoi en faire, comprendre toutes les pistes qu’elle permet d’explorer, de s’alimenter… Il faut aussi que la liberté de chacun puisse s’insérer dans la liberté des autres et créer une harmonie féconde. Le premier cadre des pédagogies permet aussi aux enseignants, éducateurs, d’explorer les principes mis en avant par ces pédagogies, d’en cerner les limites qu’elles y mettent ou qu’ils y mettent, les limites dues aux contextes, les contradictions qu’elles comportent. Les pédagogies permettent aussi de cerner les apports et les aménagements nécessaires à l’environnement, d’intégrer la notion d’espace nécessaire. Comme pour les plantes associées de l’agriculture biologique, les jardiniers-éducateurs doivent comprendre la nécessité du multi-âge, puis comment « cultiver » avec.
Au début on a besoin de savoir ce qu’il faut apporter au terrain qui va être utilisé par les plantes ou par les enfants : les algues de Lemaire-Boucher ou les jeux de Montessori, les techniques de non retournement du sol ou les techniques et fichiers autocorrectifs Freinet… Puis c’est ce qui permet au sol de redevenir vivant, le compostage, le mulch ou le texte libre, la correspondance…
Comme pour l’agriculture biologique, c’est le tâtonnement expérimental qui permet de passer de l’application stricto sensu d’une pédagogie à l’adaptation permanente, de passer de la complexité à la simplexité. Au fur et à mesure que le terrain change ainsi que les comportements de chacun dans ce terrain, que les premiers foisonnements de la vie enclenchent d’autres foisonnements et que ceux-ci se complètent, s’harmonisent, que les rythmes de chacun adaptent le temps de chacun, qu’un microclimat s’instaure dans la microsociété, les éducateurs-jardiniers n’ont plus besoin de méthodes à suivre, ils n’ont plus qu’à observer, donner un petit coup de main ici, modifier un aménagement là, ouvrir un peu plus grand les portes sur la vie,… et laisser pousser les enfants. On ne peut plus parler d’écoles mais d’espaces éducatifs l'expression "jardins d'éveil" pourrait convenir jusqu'à l'âge adulte ! Nous sommes alors passés dans l’éduculture biologique !
L’agriculture biologique nécessite de petites structures en interaction, modifie la notion du travail et de son temps, les modes de consommation, les rapports consommateurs producteurs,… L’éduculture biologique nécessite aussi de petites structures en interrelation, modifie les rapports entre parents et espaces éducatifs, habitants des villages ou quartiers, modifie la notion du travail et de son temps, demande que s’invente une démocratie participative,… Toutes deux, lorsqu’on comprend que notre survie dépend du respect des lois qui régissent les systèmes vivants, induisent déjà dans leur proximité des transformations sociétales ou des aspirations. On commence à concevoir que l’agriculture biologique devra se substituer à l’agriculture industrielle si toute l’humanité ne veut pas périr de faim (et de bien d’autres choses). Il va peut-être falloir que l’on conçoive que l’éduculture biologique devra se substituer aux systèmes tayloristes scolaires si l’humanité ne veut pas périr de son incapacité à transformer son organisation sociale, à penser autrement.
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