Permettre et maintenir une dynamique dans les espaces éducatifs appelés école.
Dynamique sur la toile : En physique c’est Leibniz en 1689 qui a créé le terme dynamique (du grec dynamis, force) pour qualifier cette partie de la mécanique qui étudie le mouvement en tenant compte des forces. - Qui procède par modifications incessantes selon une finalité; qui se développe. - Ce qui est en développement, se modifie selon une finalité. - Le passage du statique au dynamique, du clos à l'ouvert (Bergson). - Dynamique de groupe - Étude des lois qui régissent les phénomènes spécifiques des groupes restreints, les changements personnels à l'intérieur des groupes…
Pour ma part et pour ce qui nous concerne, je dirais que la dynamique c’est le développement des interactions dans un système vivant (l’école pour notre sujet) au bénéfice de l’évolution de chacun de ses membres comme du système lui-même (finalité et mouvement). Il y a les interactions avec l’environnement et les interactions entre les personnes et surtout les interactions entre ce que ces personnes font.
On peut penser qu’il suffit que des enfants vivent librement ensemble pour que naturellement une dynamique s’instaure. Certes, il s’établira toujours une dynamique, mais l’expérience démontre que celle-ci peut être aussi bien positive (harmonie et évolution du groupe, variété et richesse des activités, évolution de chacun…) que négative (états insécures, ennui, enfermement-refuge dans une seule activité, agressivité…). Beaucoup se sont aperçu qu’en se contentant d’appliquer les grands principes communs aux alternatives (liberté, faire confiance aux enfants…) cela ne suffisait pas pour que d’emblée et naturellement il s’établisse une dynamique positive et c’est souvent ce que j’appelle une dynamique négative qui s’instaure naturellement ! Combien de fois ai-je entendu « Cela fait des semaines qu’ils restent dans la cour, se bagarrent,… je ne sais plus que faire ! Ils restent sans cesse enfermés dans leurs jeux vidéo toujours les mêmes, sans même se parler ! Il y a un atelier peinture mais ils n’y viennent jamais !... etc. » Alors venons-en à ce qui a pu être constaté comme favorisant une dynamique positive.
Je ne reviendrai pas sur l’environnement lui-même, source d’une infinité d’interactions. Plus il sera riche, varié et accessible et plus il sera provocateur et source d’activités. Mais c’est l’aménagement de l’espace où ces activités pourront se dérouler qui a de l’importance. J’ai noté dans un billet précédent les deux aménagements rencontrés au cours de mes rencontres : soit un espace collectif où tout se passe, soit un espace scindé en pièces ou recoins.
On pourrait penser que dans la première situation (espace collectif) les interactions entre les enfants et avec ce qu’ils font vont être plus faciles. Ce n’est généralement pas le cas ou tout au moins pas aussi « dynamique » qu’on le voudrait quand ce n’est pas une dynamique négative qui s’instaure et qu’il faut s’évertuer à réduire (les enseignants pratiquant les pédagogies modernes dans l’école publique en savent quelque chose !). Ceci pour plusieurs raisons. Confinés dans un espace unique, même vaste, il est bien difficile de faire autogérer les interpellations entre enfants, la règle de parler à voix basse est inapplicable parce que contre nature. Il n’est pas facile non plus de gérer l’autonomie dans les activités, celles-ci demandant pour la plupart des espaces spécifiques (par exemple pour un castelet de marionnettes, un atelier peinture, un atelier sciences, une bibliothèque CDI…) où l’on trouve une certaine tranquillité voire un certain isolement, où ce qui est entrepris puisse rester pour se prolonger dans le temps. En attribuant une fonctionnalité à des espaces distincts avec les outils et la documentation qui les concernent, d’une part on favorise l’interaction dans ces espaces entre les enfants qui sont dans le même type d’activité, d’autre part ils sont en eux-mêmes inspirateurs d’activités. Enfin il faut que ce qui est produit puisse rester quelque part, être visible, consultable, donner éventuellement suite à des rebondissements. Un des premiers provocateurs d’une dynamique est ce que font et ce qu’on fait les autres. Dans un seul espace, si effectivement tout le monde peut voir ce que les autres font, c’est disparate et dilué dans un ensemble finalement assez peu perceptible. Pas facile de s’y reconnaître. D’où le problème de scinder matériellement par divers moyens du bord les grands espaces collectifs en ce que j’appelle des ateliers permanents.
Dans la seconde situation (plusieurs pièces, un extérieur…) chaque espace a bien une fonctionnalité plus ou moins générale (la salle des arts graphiques, la bibliothèque, la salle de l’expérimentation, de la musique, etc…). Mais, alors que ces espaces pourraient refléter la vie qui s’y déroule, je n’y ai pas souvent vu de traces de ce qui s’y était fait, peu vu de projets en cours mais non terminés. Il peut bien y avoir plus d’interactions entre les enfants présents, les projets individuels peuvent bien s’y réaliser en autonomie, mais une fois le temps de leur réalisation terminée le lieu retrouve sa froideur fonctionnelle. Or un des premiers provocateurs de dynamique c’est ce qu’a produit la vie des autres. C’est par ce que j’ai vu dans le jardin d’Alex et avec lui (je n’étais pas chez lui pour cela) que je me suis replongé ensuite dans mon propre jardin, plutôt que par les lectures sur la permaculture qui sont venues après. Le jardin d’Alex et Alex dans son jardin !
L’aménagement de l’espace, son utilisation et sa mise à disposition, sont une des premières conditions d’une dynamique. Mais cela ne suffit pas en soi. C’est là qu’intervient le rôle des adultes permanents. Eux peuvent voir ce qui se passe dans les espaces, ce qui s’y fait, ce qui s’y est fait puisqu’ils n’y sont pas pour leur propre compte. Lorsqu’un adulte s’intéresse, est intrigué par ce qu’un enfant fait, d’une part ce dernier a conscience de la valeur de ce qu’il entreprend, donc de la sienne, d’autre part d’autres enfants aussi puisqu’un adulte s’y est attardé. C’est par son attitude qu’il incite à ce que s’enclenche sans lui une dynamique entre enfants « Je ne comprends pas comment tu as fait ? J’aurais peut-être fait autrement, tiens, je vais essayer ! Est-ce que je peux le faire avec toi ? Tiens, ça me donne une idée… ». Bien sûr l’adulte ne s’interdit pas de proposer, de suggérer, de faire prolonger. « Tu pourrais demander à… - Si tu l’affichais ? Si tu l’enregistrais ? - Tu pourrais le dessiner. – As-tu vu ce qu’a déjà fait untel sur ce sujet ?... »
Dans l’instauration d’une dynamique, son maintien et sa régulation, il y a le rôle de la réunion, ce moment collectif instauré partout soit quotidiennement, soit hebdomadairement. Nous avions opté pour la réunion quotidienne qui privilégie ce qui se passe, ce qui doit s’exprimer dans l’instant présent. Dans tout ce qui s’y échange, se communique, il y a aussi ce qui s’est passé dans les différents espaces, ce qui y a été fait ou ce qui n’a pu être fait et qu’il faudrait rendre possible. Là encore le rôle de l’adulte est important : signaler une production passée inaperçue, marquer son intérêt pour ce qui paraît anodin aux autres, inciter au prolongement ou au rebondissement d’une activité individuelle dans un projet plus collectif qu’il faut alors organiser, encourager untel à montrer, suggérer la présentation d’une réalisation, d’une création, d’une recherche,…
Présenter ce qu’on a fait n’a pas que l’intérêt de valoriser l’auteur ou relèverait de l’intention de vouloir faire apprendre. Peu importe que cela soit imparfait, reflète des connaissances imprécises voire erronées, au contraire : d’une part cela incite à faire comprendre que l’intérêt n’est pas dans la connaissance elle-même ou dans la perfection d’une œuvre à admirer mais dans la recherche et la création « Il a osé ! Je peux donc moi aussi oser ! » (les plus jeunes sont souvent les libérateurs des plus âgés !). D’autre part c’est dans ces présentations, encore une fois avec l’aide de l’adulte, que l’on passe de la critique-jugement à la confrontation avec l’expérience, les idées, les interrogations, les savoirs ou les ignorances des autres dans ce qui devient un tâtonnement expérimental plus collectif. Il s’y crée un comportement qui se poursuit alors dans le temps et l’espace : dans les ateliers ce sera par exemple un enfant qui ira voir naturellement ce qu’a fait un autre et lui dira « C’est intéressant ce que tu as fait, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que tu as trouvé, je vais te dire pourquoi. Si nous essayions ! » Toutes les activités personnelles s’insèrent dans un ou des espaces communs et contribuent de ce fait à l’activité générale, interagissent plus ou moins entre elles, créent une synergie, nécessitent aussi de s’autoréguler dans le temps et l’espace. La réunion, clef de voûte de la structure dissipative du système vivant, est bien autre chose que le seul établissement de règles.
Qu’est-ce qui est le plus provocateur d’une dynamique ? Le plaisir que d’autres trouvent dans tel ou tel projet ! Faut-il encore qu’il puisse être visible, qu’il puisse s’exprimer. Antony qui improvisait hilare en chantant et dansant devant tout le monde provoquait l’irrésistible envie de s’essayer ! Lorsqu’Olivier faisait éclater d’incroyables feux d’artifices sur un écran en le programmant avec le langage informatique logo, immanquablement il y en avait qui lui demandaient « Mais comment as-tu fais ça ? Je vais essayer »…
Et puis l’adulte ne doit pas se priver d’être aussi le lanceur d’idées puisées dans son expérience comme dans sa propre créativité et imagination. Lancer un court moment d’écriture automatique, faire une recherche de math complètement incongrue devant tous ou montrer comment on peut s’amuser mathématiquement avec un simple jeu de cartes, suggérer la réalisation d’un journal ou d’un blog parce qu’on peut le communiquer à d’autres et avoir des réactions (à condition qu’il y ait un réseau prêt à recevoir des infos), etc. etc. Suggérer, proposer… ça marche, ça ne marche pas…
Une dynamique n’émerge pas seulement d’un dispositif ou de règles à suivre, parfois ces règles peuvent même être un obstacle quand ce sont elles seules qui régentent la vie. Je voulais insister sur le rôle pour moi primordial de l’adulte, en particulier dans les débuts parce qu’ensuite c’est de la dynamique même que découle l’auto-organisation individuelle et collective, éventuellement des règles. Il y a bien la liberté des activités, des projets, mais cette liberté de chacun devient féconde pour les autres. Nous ne sommes plus alors seulement dans l’adjonction de projets individuels ni dans l’adjonction de personnes poursuivant seules et simplement côte à côte leur chemin.