Ah ! Mes amis ! Je vous connais bien : j’ai été un d’entre vous ! Punitions, mauvaises notes, colles, cahiers déchirés, et, à mon époque, pas mal de claques, de coups de règles sur les doigts, de cheveux tirés ou d’oreilles décollées, voire de « roustes » ou « trempes » comme on les appelait.
Très bizarrement, je suis passé de l’autre côté de la barrière et suis devenu instituteur ! Pas par masochisme, par vengeance, par vocation pour changer le monde. Simplement parce qu’à 14 ans au lieu d’aller en apprentissage je suis allé à l’école normale d’instituteurs parce que je ne coutais plus rien à mes parents, j’allais partir de chez moi et… j’allais avoir beaucoup de vacances ! Vous voyez, j’étais vraiment… un mauvais élève !
Comme instituteur, j’ai continué à être un mauvais élève ! Je ne mettais pas de notes, je ne donnais pas de devoirs, pas de cahiers, pas de punitions, et même je ne faisais plus de leçons : j’avais tellement souffert de tout ça que je ne pouvais supporter d’obliger d’autres enfants à le faire et à le subir. Mais du coup je ne pouvais pas être un « bon instituteur » qui a des bonnes notes (savez-vous que vos profs sont notés eux aussi ?), qui fait tout bien comme son inspecteur le lui dit. En somme j’étais un mauvais instituteur qui transformait tous les enfants en face de lui… en mauvais élèves ou qui ne leur permettait pas d’être des bons élèves puisque le bon élève c’est celui qui ramène des bonnes notes à la maison, qui fait ses devoirs, qui récite des leçons, qui est le premier de sa classe (il n’y a toujours qu’un seul premier !), qui a des récompenses. Du coup, comme personne ne pouvait être un bon élève, tous étaient des enfants… géniaux ! Il y avait même des enfants qui étaient « mauvais élèves » ailleurs et dont plus aucune école ne voulait qui venaient. Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que ces enfants ont pu inventer, imaginer, faire… quand ils n’étaient plus « élèves ». Moi-même, qu’on avait condamné enfant à n’être qu’un élève (mauvais !), j’étais sidéré !
Bon, vous me direz que des endroits comme cela qu’on appelle école il n’y en a pas beaucoup (mais il y en a quand même de plus en plus) et qu’en attendant vous êtes… des mauvais élèves.
N’en voulez pas trop à vos profs : eux, ils ont été des bons élèves (jusqu’à au moins 25 ans aujourd’hui !), c’est pour cela qu’ils ne peuvent ni savoir ce que vous êtes, ni vous comprendre. Bien sûr il y en aura qui seront plus exécrables que les autres parce que vous ne leur rendez pas la vie facile, en quelque sorte ils vous en veulent. Mais la plupart voudraient que vous deveniez des bons élèves comme ils ont été, c’est même pour cela qu’ils vous embêtent… et qu’ils s’embêtent : préparer des leçons, des exercices, des évaluations et passer des heures à corriger vos copies de mauvais élèves et à se désoler.
Vous savez qui sont les super-bons-élèves ? Ceux qui commandent, qui décident et pour qui vous irez peut-être un jour voter ! Vous pourrez être sûrs qu’ils ne vous comprendront pas mieux lorsque vous ne serez plus élèves. Peut-être, plus tard, avant de voter pour quelqu’un chercherez-vous à savoir ce qu’il a été avant de l’élire ! Finalement ce ne peuvent être que des anciens mauvais élèves qui pourront inventer d’autres façons de vivre parce que les bons ne savent rien faire d’autre que ce qu’ils ont été et ce pourquoi on les a félicités. Einstein et d’autres n’étaient pas des bons élèves !
Vous n’aimez pas l’autorité ? Moi non plus ! Je n’aime pas qu’on me dise ce qui est bien pour moi, qu’on m’oblige à faire ce qui ne sert à rien, que je trouve stupide sans que l’on m’ait expliqué pourquoi cela ne le serait pas, qu’on ne me demande jamais mon avis sur ce qui me concerne, etc. Je trouve normal de ne pas se conduire comme des moutons dans un troupeau avec son berger et ses chiens qui nous emmènent où ils veulent.
Mais soyez des mauvais élèves intelligents et malins ! Ce qui demande que vous obéissiez par la contrainte (de gré ou de force), c’est le fonctionnement de l’école et plus tard de la société. Ce ne sont pas les personnes qui sont « méchantes », enfin pas la majorité, elles font ce que ces énormes machines leur demandent faire, et, comme les bulldozers, elles écrasent les grains de sable que vous êtes dans leur moteur. Bien sûr il y a des méchants, vous dites des cons, mais c’est souvent la peur, mal se sentir dans sa peau qui rend méchant et con, vous aussi.
Et puis il y a des profs qui ont compris tout ça, peut-être parce qu’eux aussi en ont souffert, ils ont peut-être été aussi mauvais élèves : ces profs, c’est vous, les mauvais élèves, qui devez les aider, parce qu’eux aussi ne sont pas dans la norme, alors que souvent vous faites l’inverse parce que vous les croyez faibles et du coup vous faites le jeu de l’autorité. Pensez bien que c’est grâce aux mauvais élèves pas malins que l’autorité devient de plus en plus insupportable. Il faut donc apprendre à contester ou à résister intelligemment sans se faire broyer. Vous pourriez même être les seuls qui pourriez faire changer l’école parce que vous en ressentez plus que les autres son injustice, souvent son absurdité, mais il ne faut pas vous complaire dans le rôle de victimes ou d’agressés qui deviennent agresseurs ! Face à la violence de l’institution, affirmez-vous comme des personnes qui ne sont pas que des élèves (vous avez les mêmes droits que tous les adultes) et utilisez les armes de la non-violence qui ne sont pas celles de la soumission : une des plus grands hommes de notre temps, Gandhi, a fait ainsi résister et libérer tout un peuple (l’Inde) de la coupe de son occupant (l’Angleterre).
L’école comme toutes les institutions sont des machines, il faut donc bien savoir comment elles fonctionnent, comme on peut faire semblant d’y être tout en étant ailleurs dans sa tête. L’école ne peut pas maîtriser ce qui se passe dans la tête des mauvais élèves, mais faites-y passer quelque chose ! En somme il faut apprendre comment vous pouvez vous préserver sans adhérer. L’arme principale de l’école ce sont les menaces et les sanctions, elles visent surtout les comportements, pas l’ignorance. On vous dit qu’il faut bien que vous vous habituiez aux contraintes et aux règles de la société qui sont identiques à celles de l’école. Il faut apprendre à louvoyer entre ces règles (elles ne sont pas toutes stupides !) pour lesquelles on ne vous a jamais demandé votre avis (comme plus tard dans la société), voire à vous servir astucieusement de quelques-unes ou de l’absence d’autres (« ce n’est pas marqué que c’était interdit ! »), parfois à leur opposer calmement vos droits (s’il y a une seule chose qu’il faudrait que vous vous obligiez vous-même à apprendre c’est la déclaration des droits de l’Homme et celle du droit des enfants[1]). Elle ne le sait pas, mais c’est le plus intéressant que l’école peut apprendre sans qu’elle le veuille aux mauvais élèves.
On vous dit que vous êtes des mauvais élèves, on veut même que cela vous ennuie, que vous vous sentiez amoindris parce que vous n’avez pas de bonnes notes, pas un bon diplôme, pas un bon comportement, donc pas un bon avenir. Vous vous ennuyez, n’êtes pas intéressés, on vous dit que vous êtes paresseux. Et souvent ça marche, vous vous sentez en-dessous des autres et les bons élèves en rajoutent parfois. Mais qu’est-ce que c’est une note, un diplôme ? Un chiffre et un bout de papier obtenus parce que vous auriez bien répété, exécuté ce qu’on vous disait de faire et comme on vous disait de le faire ! Rien d’autre. Dès l’instant où vous vous considérez comme en dessous des autres vous êtes en dessous des autres ! Dès l’instant où vous vous pensez incapables vous devenez incapables. L’école vous le fait croire, mais vous la croyez.
Bien sur les mauvais élèves déconsidérés que vous êtes à l’école, les mauvais élèves qui n’ont cessé de s’y ennuyer, vous vous rattrapez souvent à la sortie en faisant plein de « conneries » ou en vous laissant entrainer à faire plein de conneries. Peut-être vous vengez-vous sans le savoir, peut-être voulez-vous vous sentir plus forts que les autres à votre tour, peut-être vous sentez-vous libres de faire tout ce qui est considéré comme « pas bien » quelles qu’en soient les conséquences, de braver tous les interdits pour vous sentir quelqu’un. Je vous comprends. Mais ainsi vous ne faites que vous priver vous-mêmes de tout ce que vous êtes capables de faire : à l’école vous n’aviez pas de liberté, pas d’intérêt pour ce qu’on vous demandait, mais en dehors de l’école, finalement vous reproduisez la même chose : vous suivez quelqu’un ou vous cherchez à être celui que les autres suivent (avoir de l’autorité sur les autres ou se soumettre à leur autorité), vous vous donnez des règles à l’opposé des règles imposées mais tout aussi absurdes que celles de l’école, vous vous imposez des comportements conformes à vos semblables, vous instaurez ou vous pliez à d’autres compétitions, d’autres concurrences entre vous, vous ne pouvez plus vous trouver des intérêts, avoir des envies,...et finalement vous continuez à vous ennuyer.
En somme, bien souvent vous avez été de mauvais « mauvais élèves » aussi formatés que les bons élèves ! Vous me direz que c’est l’école qui vous a fabriqué ainsi. Alors, qu’est-ce que vous gagnerez d’être de bons « mauvais élèves » ?
- d’abord ne vous culpabilisez pas de ne pas vous intéresser à un tas de choses de l’école, de ne pas comprendre, de ne pas suivre… et ne pensez pas une seule seconde que les connaissances ne seront pas pour vous aux moments où vous en aurez besoin ou envie. Vous avez la même centaine de milliards de neurones que tout le monde, vous les utilisez comme les autres mais pas forcément pour les mêmes choses ou aux mêmes moments et, justement, parfois bien mieux que les autres parce que c’est à votre façon et pour ce que vous avez envie. Vous qui ne vous intéressez pas aux choses scolaires êtes bien plus disponibles ensuite pour vous intéresser à une infinité d’autres choses où vous ne cessez d’apprendre sans être obligés d’apprendre, à condition que vous n’ayez pas cru ce que vous disait l’école : « ne s’intéresse à rien ». Il y a des milliers de mauvais élèves qui plus tard dans leur vie d’adultes font des choses étonnantes et passionnantes dans tous les domaines, qui même obtiennent des diplômes s’ils en ont besoin et qu’ils l’ont décidé.
- Vous avez même une chance : lorsque vous « décrochez », vos neurones qui n’arrivent pas à se mobiliser pour faire ce qu’on leur dit de faire sont libres d’imaginer, d’inventer, d’avoir plein d’envies qui n’appartiennent qu’à vous. Le grand poète Jacques Prévert, qui a dû lui aussi être un mauvais élève, parlait ainsi du cancre :
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
- Bien sûr le temps passé à rester des heures à faire semblant d’écouter ce que vous ne comprenez pas ou qui ne vous intéresse pas peut vous sembler perdu, même si vous l’utiliser à troubler les cours. Mais ce n’est pas parce que vous êtes étiquetés mauvais élèves qu’il n’y aurait pas des choses qui vous intéressent à l’école, le sport, la peinture, la musique… ou parfois un prof que vous aimez bien, et puis les copains. Profitez-en sans vous préoccuper des notes, de ce qu’on pense de vous, d’ailleurs vous en profiterez bien plus. Vous êtes libres de vous intéresser quand vous voulez et pour ce que vous voulez, c’est vous qui croyez que vous ne vous intéressez à rien parce que finalement l’école ne vous demande pas de vous intéresser mais vous oblige à exécuter. Vous pouvez ne pas faire ce que vous demande l’école, vous moquer des notes et appréciations et profiter pleinement de beaucoup de moments. Par exemple rêver, un des plus grands savants de notre temps, le physicien Albert Einstein, disait qu’il était mille fois plus important de pouvoir imaginer que de savoir résoudre des équations… sauf si résoudre des équations vous passionne. Mais finalement l’école elle-même avec son ennui n’est qu’une équation à résoudre pour sortir de l’ennui. Autre exemple, vous n’écoutez pas mais vous pouvez observer : un prof exécrable peut être un véritable objet d’étude qui vous servira plus tard parce que le monde est plein de personnes exécrables qui essaieront aussi de vous dominer. Comment faire avec eux vous sera très utile, l’insoumission demande beaucoup d’expérience et d’intelligence pour ne pas subir et être massacré par ceux qui dominent. Vous voyez, il y a quand même plein de choses subversives et utiles à tirer de ses longues années de captivité scolaire qu’on vous vole à votre vie.
Et puis les copains ! Vous êtes plus disponibles pour les copains que les bons élèves obnubilés par l’école. Avec eux vous allez pouvoir proposer, vous entraider, inventer des activités, vous organiser… En général on dit jouer comme si jouer ne servait à rien, on vous dira même de vous « ils ne pensent qu’à jouer !» C’est tout le contraire, même les savants le disent. Allez-y, jouez à fond, c’est bien plus utile que les devoirs. Jouez à tout, Picasso jouait à peindre, Edison jouait à bricoler, Buffon jouait à regarder les fourmis, Gutenberg jouait à inventer, d’autres jouaient à jardiner, à écrire, à chanter, à se promener… tous ceux qui ont fait des choses intéressantes et passionnantes dans leur vie ont joué ! Jouez et jouissez pleinement de jouer. Ne jouez pas seulement seuls, jouez avec d’autres. Oubliez la compétition vous ne feriez que reproduire l’école, c’est le plaisir de faire avec d’autres, d’être bien avec d’autres, de reconnaitre les autres et d’être reconnu par eux qui fera de vous des hommes et des femmes libres et heureux. Chercher à gagner ou à être les plus forts (à l’école d’avoir les meilleures notes !) vous condamnera à ne jamais être tranquilles. Pensez aux bons élèves malheureux lorsqu’ils ne sont plus les premiers. Et puis, vous ne le savez pas, mais c’est dans le jeu que vos neurones travaillent le plus et que vous devenez de plus en plus intelligents.
- Le monde d’aujourd’hui est celui qui a été fait par les bons élèves, il n’est pas brillant. Celui de demain sera fait par les mauvais élèves d’aujourd’hui, vous, si vous êtes pleinement de mauvais élèves.
- En somme, vous ne le savez pas, vous avez la chance d’être mauvais élèves. Mais gardez cela entre nous, ne le dites surtout pas, vous feriez des jaloux, vous inquiéterez et on vous empêchera d’être des mauvais élèves !
Mauvais élèves, je vous aime !
[1] Vous pouvez vous demander pourquoi les enfants ne sont pas considérés comme des Hommes (des personnes) et qu’ils ont une déclaration à part !