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Le blog de Bernard Collot
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27 juin 2018

Être parent n’est plus naturel !

marelle-revolution03115

Stages, conférences, livres, vidéos, émissions sur « comment être parent » foisonnent.  Éducation bienveillante, papa positif, éducation positive, comment porter un bébé, l’allaitement, redonner confiance aux enfants, parents mode d’emploi, l’école des parents… la liste est infinie. Je ne dénigre pas l’utilité d’un certain nombre dans la mesure où elles contrecarrent des croyances et des idées toutes faites ou plutôt faites par une société établie et désirant le rester ainsi, tout comme je suis stupéfait et horrifié de certaines émissions comme la célèbre super mamy. Cette floraison, qui parfois est aussi un bizness, date de quelques années à peine.

Et oui, être parent n’est plus naturel, on ne sait plus comment faire, comment faire bien. Nous sommes la seule espèce animale  qui ne sait pas comment élever sa progéniture. Par exemple dans aucune espèce les parents frappent leurs petits ! Naturellement le rôle de parents est d’assurer la survie de leurs petits et de les aider à acquérir leur autonomie (à se séparer d’eux), soit isolément (exemple les chats), soit dans le groupe dont ils feront partie pour les espèces grégaires (exemple les ruminants) et sociales (exemple les castors). Mais, pour ces deux dernières, le groupe (les sociétés animales) qui assure la survie des individus et de l’espèce est depuis des milliers ou des millions d’années parfaitement équilibré et efficient, n’a pas besoin de remises en question. C’est bien, me semble-t-il, notre problème à nous les humains : notre intelligence ou notre évolution nous a permis d’aller sur la lune, nous a fait inventer un nombre infini de prothèses (une voiture, un smartphone… peuvent être considérés comme des prothèses[1]), mais elle n’a pas encore trouvé une forme d’organisation sociétale qui assure la survie et le bien-être de chaque individu.

À ma connaissance les anthropologues qui ont étudié les dernières microsociétés isolées des forêts vierges n’ont jamais évoqué le moindre problème d’éducation des enfants, celle-ci se faisant naturellement de par leur vie dans l’organisation sociale qui a assuré la pérennité des groupes de vie et de survie, probablement aussi depuis des centaines ou des milliers d’années… avant que nous ne venions les perturber, leur donner des leçons et contribuer à leur malheur d’abord, à leur disparition ensuite.

Le problème de la parentalité, puisque c’est un problème, reflète bien une société qui n’a encore jamais trouvé des équilibres satisfaisants pour tous, en particulier depuis la disparition des petites structures sociales autonomes ou leur absorption dans des macrostructures sur lesquelles chacun n’a aucune prise. Cette société n’assure plus rien à personne sauf à une minorité, comment alors aider les enfants à y devenir autonomes, à y survivre et à y vivre[2] ? Même la minorité pour laquelle la survie n’est pas un problème commence à se poser le problème d’y bien vivre, les biens et l’abondance des biens n’empêchant pas le mal-être d’un nombre grandissant. Le temps passant, ce sont les pouvoirs individuels et collectifs sur la vie d’une espèce qui s’amenuisent, l’espèce elle-même qui commence à avoir le sentiment de sa propre perte. S’il y a quelque chose de naturel alors, c’est bien l’angoisse des parents quant à ce qu’il faut qu’ils fassent, comment il faut qu’ils se comportent pour le devenir de leurs enfants.

Nos macro-sociétés créées artificiellement par des minorités (les royaumes, les Nations, les Etats) pour assurer la pérennité des organisations qui leur convenaient se sont substituées aux parents et aux lieux de vie, essentiellement par l’école depuis un ou deux siècles, brisant ainsi en grande partie le lien et la responsabilité naturelle qui incombait ax géniteurs. D’autre part, contrairement à ce qui se passe chez les espèces sociales animales, il n’existe plus de petites structures sociales autonomes dans lesquelles les enfants pourraient vivre et se construire le temps d’arriver à l’âge adulte[3]. D’autre part, pour accepter le rôle de l’école, il fallait aussi accepter les positions inégales de survie et de vie assignées à chacun dans l’organisation sociale, l’accepter mais surtout les croire comme normales et inéluctables.

Mais, sauf à capturer les enfants dès la naissance (ce que l’on n’est pas loin de faire : maternelle obligatoire à 3 ans sans que cela ne soulève beaucoup d’opposition), non seulement il reste quand même une petite part aux parents mais les écoles des États ont besoin de leur complicité.

L’Institution elle-même déverse les notices, les conseils, les injonctions pour que les parents aident l’école à « tenir » les enfants, à conserver le pouvoir qu’elle a sur eux. Pour lutter contre l’absentéisme, il a même été envisagé de condamner les parents (encore responsables légaux) à un « stage de parentalité » si non, suppression des allocations familiales !

L’école ayant de plus en plus de mal à avoir des enfants transformés en élèves conformes à ce dont son fonctionnement a besoin, elle prolonge le temps où elle ne les a plus dans ses grilles par les devoirs que les parents devraient faire faire et par ce que l’on appelle le périscolaire. Il est vrai que la majorité des parents n’a plus le temps d’être parent, qu’ils ne sont plus considérés comme des parents mais comme des parents d’élèves, ces derniers n’étant évidemment pas les leurs. Il est vrai que les espaces urbains sont de moins en moins des espaces de vie. Le monde associatif doit donc y pourvoir… dans l’intérêt de l’école. Associations d’aide aux devoirs,  comment aider les enfants à maintenir attention et concentration… à l’école, aider et motiver son enfant à réussir… à l’école (c'est-à-dire à réussir ce que demande l’école), etc. Même des pratiques comme le yoga, la sophrologie… sont conseillées  pour aider à supporter… l’école ! Le reste du temps où l’enfant n’est plus dans l’école s’appelle le temps périscolaire, l’école restant bien le centre de tout, ce reste devant être fortement orienté et encadré par des experts formés par des organisations reconnues par l’État. Il est d’ailleurs plus ou moins avoué que ce temps périscolaire doit contribuer à la « réussite » dans l’école (ou de l’école !), en décompressant un peu la pression pour être plus disponibles ensuite de retour… à l’école (c’est aussi le rôle des vacances des adultes : récupérer quelques forces pour redevenir utilisables de retour dans le travail salarié).

 Ce qui a donc été réduit à une peau de chagrin c’est bien la fonction que j’appellerais biologique de la parentalité. Cette recherche d’un nombre grandissant de parents pour retrouver cette fonction, est une lutte,  est consciemment, inconsciemment ou de facto politique puisqu’elle va à l’encontre de ce que demande la première institution du pouvoir étatique, l’école. Par exemple ne pas exiger que ses enfants fassent leurs devoirs scolaires et ce sont eux qui sont sanctionnés, ne pas justifier une absence par un des deux ou trois seuls motifs admis vous fait encourir des risques (il a fallu que les médecins s’élèvent contre l’exigence d’un certificat médical pour le moindre rhume), etc. L’école n’était pas obligatoire (elle va le devenir avec le projet d’école maternelle obligatoire à 3 ans), c’était l’instruction qui l’était, mais face à un mouvement qui s’étend de déscolarisation (instruction en famille - homeschooling - ou unschooling – apprentissages naturels) ou d’écoles alternatives, l’État aligne décrets sur décrets, contrôles sur contrôles pour ne pas perdre la main sur les enfants.

Il ne faut pas compter sur aucun parti politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite, pour prendre conscience des conséquences sociétales de cette destruction programmée des liens naturels de la parentalité. Ils se préoccupent ou font semblant de se préoccuper de la disparition des oiseaux, de la biodiversité, de la nature, de l’écologie, mais refusent de voir que l’espèce humaine transformée en espèce robotisée par une institution s’autodétruit elle-même, elle sera détruite par la nature même à laquelle elle refuse de se plier.

 Parents qui voulez être parents ou redevenir parents, bienveillants, empathiques, confiants en vos enfants, libérés ou libérateurs, naturellement responsables, soucieux de leur épanouissement plus que de leur réussite dans une place sociale à conquérir,  sachez que vous luttez ainsi contre un État et son premier levier de pouvoir l’école, pour que les futurs adultes et citoyens que vos enfants seront fassent autre chose de la  société suicidaire que l’on commence à entrevoir. Être de « bons parents » c’est être instinctivement ceux dont ont besoin les enfants et l’espèce humaine pas ceux dont a besoin une institution qui ne s’intéresse ni aux uns, ni à l’autre, pas ceux qui ne font que les préparer à l’inhumanité et ne plus en être que des complices. Vous commencez à être nombreux, au moins à vous questionner. Il y a encore de l’espoir pour eux qui ne viendra que de vous !    


[1] J’aime à considérer tout ce qu’on appelle progrès comme l’invention d’une infinité de prothèses. Le problème de toute prothèse qui ne vient pas remplacer ce qui a été accidentellement perdu, c’est que si elle donne une impression de puissance elle affaiblit à l’inverse nos pouvoirs naturels. Par exemple et paradoxalement, tous nos outils de communications réduisent l’interrelation directe et croisée de proximité qui seule permet la construction de groupes sociaux dans les frontières de leurs territoires de vie. Ce sont ces prothèses qui ont amené à la mondialisation dans laquelle chacun n’est plus rien, sans aucun pouvoir ou presque sur lui-même.

[2] Je distingue évidemment survie (ne pas mourir de faim ou de froid) de vie (qu’on peut résumer par le bien être avec et parmi les autres)

[3] Je reviendrai, dans un bouquin, sur les petites structures, une des leçons de l’école du 3ème type.

Commentaires
C
La position de théoricien que j'ai choisi m'oblige à l'humilité pour tout ce qui est de l'ordre des fonctionnements. Pour ce qui est de l'idéologie et des structures, la réflexion est nécessaire et doit alimenter les fonctionnements. Je dois me référer à ma position de père et c'est d'un autre âge. Dans une perspective idéologique dans les relations entre les parents et les systèmes éducatifs, il faut partir des relations réelles entre des parents ou des substituts parentaux et l'école représentée par les enseignants et l'administration. On est alors dans du vécu (pas automatiquement dans le connu). Chaque interrelation est singulière et il faut d'abord reconnaître cette singularité; ne pas la replacer dans des normes d'où qu'elles viennent. Je ne pense pas qu'il y ait de modèle; il y a quelque chose à construire pour chaque enfant/élève. Et c'est cela qui est complexe. C'est pourtant nécessaire. On peut dire par exemple des parents qu'ils sont de plus en plus consommateurs des systèmes; c'est vrai pour certains, mais pas pour tous. Le regard que l'enseignant porte sur les parents dépend de sa relation à son rapport à lui comme parent; j'ai pu m'en rendre compte dans les classes maternelles du Val d'Aoste. Le premier facteur de différenciation dans un échelle d'attitudes dépendant du fait que l'enseignante avait ou non des enfants. Il y a une chose qui est certaine: il n'est pas possible de faire des typologies abstraites des relations des parents avec l'école.
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C
J'ai fais le choix du unschooling , je vous rejoins a 100% dans ce que vous dites dans ce billet . Je vous remercie de l'avoir écrit car grâce a vous j'ai pu le lire ! Je l'ai aussi partager sur Facebook , pour qui sait , peut être alimenter le moulin à réflexions de mes frères et sœurs humains . Je vous souhaite une bonne journée et une belle vie. <3 Charlotte
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C
Dans le texte qui pose plus de questions que donne de réponses, tu fais comme si les parents étaient et restent une notion partagée et universelle.Il y a mille façons d'être parent qui sont toutes en relation avec un contexte ou plus exactement des contexte car on vit en relation avec des contextes au pluriel. La société a ajouté à l'initiation dans chaque communauté une institution: l'école. Certains parents au nom d'une cohérence éducative, tournent le dos à cette institution et font "l'école à la maison". Henri PESTALOZZI voyait lui l'école comme le complément à la Wohnstube, la maison et son éducation dans la communauté familiale. Comme il n'y a plus une figure unique du parent, on cherche à les singulariser dans des propriétés toute faites: le parents migrants, les familles monoparentales, les familles bourgeoises, etc. marquant l'enfant d'une singularité qui peut, dans certains cas, être considérée comme de l'ordre du pathologique. L'école face à cela se veut unitaire, monolithique et devient le lieu paradigmatique de l'éducation. Or dans la réalité, elle est aussi diverse que les formes de parentalité. C'est souvent, trop souvent ce que l'on lui attribue comme finalité: éduquer, et quand les résultats ne sont pas là, on l'accuse de manquer d'autorité, de laxisme, etc. On est nécessairement dans la complexité. Je suis d'accord avec profpublic quand il souhaite que l'on élargisse le cadre de la réflexion. C'est indispensable si on ne veut pas tomber dans les idées reçues, les poncifs, les stéréotypes qui réifient.
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P
Politiquement très incorrect :-) Mais politiquement il faudrait aussi que tous les mouvements qui se disent progressistes se positionnent pour un desserrement de l'emprise scolaire, c'est très loin d'être le cas. Pratiquement il faudrait aussi qu'une transition soit proposée. Vous en avez proposé à plusieurs reprises, même dans des billets pendant la présidentielle adressés aux candidats et leurs partis. Il n'y en a pas eu beaucoup d'autres et apparemment ils n'ont eu aucun écho. Je suis d'(accord avec Gilgi votre analyse situe le problème dans un cadre plus général et à mon sens assez pertinent. Mais si cela reste entre nous, il faudra attendre longtemps et ce sera vite trop tard. Pour ma part je partage dans mes réseaux, il faudrait que l'audience de votre blog s'étende, s'étende. Merci pour votre combat inlassable, je m'y joins.
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G
Le tableau est quelque peu noirci ! Cependant l'analyse par rapport à un état sociétal me parait asses juste. L'école est bien le point central de la vie d'un enfant et d'une famille au détriment de cette dernière. Il y a aussi la dénaturation du travail des parents et de son utilité sociale qui constitue l'essentiel de leur vie et de leurs soucis, le temps dont vous parlez étant entièrement occupé par cela. Vous avez donc raison de souligner l'aspect politique de ce qui ne parait pas l'être. Mais pas facile de faire comprendre ce que sont les vrais aspects de la politique.
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