« Dépêchez-vous, dépêchez-vous… » c’est ce que répétait à longueur de journée et à tout bout de champ une brave institutrice. Lorsque je le lui avais fait remarquer, elle avait été stupéfaite. Elle-même ne se rendait plus compte dans quel état elle mettait les enfants et surtout dans l’état où elle se mettait elle-même… sans aucune raison valable.
C’est simple, cela ne relève pas d’une haute pensée pédagogique, philosophique, psychologique, politique, nous sommes dans une société où il ne faut pas arrêter de se dépêcher.
Etymologiquement Dépêcher, c’est ôter les empêchements, les entraves. Se débarrasser de ce qui pêche, de ce qui ne va pas. Normalement cela n’aurait rien à voir avec aller plus vite. Au contraire, plus on se dé-pêcherait, plus on pourrait aller tranquillement.
Dépêchez-vous de vous mettre à table, de finir votre assiette, dépêchez-vous d’aller vous coucher, dépêchez-vous de finir votre contrôle, dépêchez-vous de vous inscrire à parcoursup et de choisir votre futur, dépêchez-vous de finir votre programme, dépêchez-vous de payer vos impôts, dépêchez-vous d’arriver au boulot ou au rdv de pôle emploi, dépêchez-vous sur la route des vacances pour profiter de votre location, dépêchez-vous de prendre le tgv pour arriver plus vite à Bordeaux, dépêchez-vous de répondre, dépêchez-vous de remplir votre formulaire… évidemment dépéchez-vous d'aller à l'école pour apprendre et surtout dépêchez-vous d'obéir. Dépêchez-vous, c’est ce qui régule toute notre vie, toute la société. Dépêchez-vous de faire vos réformes dès que vous êtes élus, dépêchez-vous de changer de voiture avant que la loi n’interdise les diesels et dépêchez-vous de faire des lois, dépêchez-vous de retourner voir vos électeurs, de leur faire de beaux discours et de belles promesses, dépêchez-vous de faire des rapports que personne n’aura le temps ni le désir d’étudier, dépêchez-vous de faire des profits sinon ce sont les autres qui les feront… dépêchez-vous de courir au cas où quelqu’un vous rattraperait.
A force de se dépêcher sans se dé-pêcher, lorsque vraiment il faudrait se dépêcher, c’est trop tard. Le climat en sait quelque chose.
Le dépêchez-vous c’est aussi le virus qui provoque l’épidémie de burn out ! Le stress c’est le temps qui manque. Dépêchez-vous d’arriver où on vous demande d’arriver, où vous ne savez même pas trop où est l’arrivée, en quoi elle vous concerne.
A l’inverse, tous ceux qui avancent tranquillement embarrassent ceux qui se dépêchent sans se dé-pêcher. Roulez à 75km/h sur la route et vous allez voir l’énervement dans la file qui vous suit et les queues de poissons dangereuses qui s’en suivent. Lorsque je demande à mes salades de se dépêcher de pousser, elles me rient au nez !
Le jour de la rentrée, quand tout le monde se dépêchait de rentrer dans les classes, nous, nous ne rentrions pas ! Nous allions tranquillement piqueniquer, ramasser des mûres, grappiller des raisins, folâtrer dans les sentiers. Nous nous étions dé-pêchés de la rentrée. Lorsque nous nous somme dé-pêchés des programmes (dépêtrés, débarrassés…) nous n’avons plus eu à nous dépêcher. Les enfants, les parents, moi-même n’avons plus eu à nous dépêcher lorsque nous n’avons plus fait attention aux horaires de rentrée ou de sortie, voire aux jours d’école. Même lorsque nous partions en voyage nous ne nous dépêchions jamais pour aller à la gare (il suffisait de partir plus tôt), pour monter ou descendre des wagons, et des voyageurs me demandaient admiratifs « Mais comment vous faites pour qu’ils soient si obéissants sans même que vous ayez à dire quelque chose » (pour eux être tranquille c’était être obéissant !) La réponse « nous ne sommes jamais pressés » était trop simple. Evidemment nous n’avions aucun problème de rythmes !
Pour ne pas avoir à se dépêcher, il faut bien se débarrasser de contraintes (se dé-pêcher), celles-ci étant pour beaucoup celles qu’on se donne sans même qu'il y ait une raison.
Alors, au moins pour nos enfants, à la maison, à l’école, même si vous ne changez pas grand-chose de vos pratiques, cessez définitivement de vous dépêcher, de faire dépêcher les enfants. Bannissez ce verbe à l’impératif, faites que les enfants ne l’intègrent plus jamais comme normal, pour que plus tard, devenu adultes et citoyens, ils aient foncièrement besoin du temps de vivre et fassent, exigent une société où l’on ait le temps de vivre. Toutes les conséquences de retrouver simplement le temps de vivre sont incalculables : rapports sociaux, rapports au travail, rapports à la compétition et à la concurrence, rapports au profit, rapports aux besoins,… et plus de problèmes d’énergie, probablement beaucoup moins de santé,… et un climat qui serait moins détérioré par les courses effrénées au toujours plus, toujours plus vite.
Désolé d’être simpliste, vous me direz très justement que ce n’est pas avec ça qu’on changera le monde, même pas l’école ! Peut-être parce que d’homo erectus, d’homo sapiens, nous sommes devenus sans nous en rendre compte homo pressé (je ne sais pas comment le dire en latin, surtout que pressé veut aussi dire pressé comme un citron !). Quand même Kundera a bien fait l’éloge de la lenteur et l’éloge de la paresse. C’est peut-être cela qui pourrait sauver l’humanité. Trop simple !
e viens de comprendre que tu étais sérieux et que tu avais dit l'essentiel !
Et bien s'il y a quelque chose qui n'est pas facile de nos jours, c'est d'être paresseux ! Tu te trouves épinglé par tout le monde et la machine exclut tout ce qui l'empêche de fonctionner !
Dépêchez-vous c'est bien l'esclavage et la préparation à l'esclavage pour les enfants. Tu as raison, c'est trop simple à comprendre. Je vais quand même essayer..