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Le blog de Bernard Collot
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2 décembre 2018

Les Etats Généraux des ronds-points

 

gilets-jaunes

« Est-ce une révolte ? Non Sire, c’est une révolution ! »… peut-être.

Il n’est pas possible d’être indifférent aux événements actuels : quel que soit le domaine dans lequel on agit, parfois on s’agite, il est touché par ce qui est une révolte. « Une révolte ? Non Sire, une révolution ! ». Certes, ce n’est pas encore une révolution, tout dépend de l’intensité de la prise de conscience qui s’amorce.

En 1789, cela a été les femmes du peuple qui ont déclenché la révolte (« on veut du pain ! » devant Versailles), en 1968, ce sont les futurs « élites » (les étudiants) qui l’ont déclenchée, en 2018 c’est ce que tous les bien pensant et les nantis appellent le peuple.

Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est que absolument tout ce qui est institué (syndicats, mouvements politiques ou autres divers) se réclamant du peuple et de « pour le peuple », toutes les « élites » intellectuelles, toutes les vedettes qui vivent et plus que bien du peuple, se sont tenus prudemment silencieux quand ce n’était pas franchement hostiles. Ah ! Ils reconnaissent bien qu’il y aurait quelques revendications à satisfaire, de petites choses à changer, mais si cela ne vient pas d’eux, il ne faut surtout pas le soutenir ou y participer (n’est-ce pas la CGT !)  Et voilà : le « peuple » est bien incapable de savoir ce qu’il veut ! Comment ? Le peuple prétend se passer des guides patentés de tout poil et de tout bord ? 

C’est vrai que ce peuple ne se pensait plus peuple, que toutes les élites, dirigeants, possesseurs d’un pouvoir quelconque ne pensaient même plus qu’un peuple existait. A la place du peuple  il n’y avait plus que des chiffres, des statistiques, des courbes, des PIB, des marchés d’argent…

Et oui, le peuple est dangereux, même Voltaire le disait (citation ici). Dangereux pour qui ? Bien sûr pour tous les ordres établis dans lesquels il n’a jamais rien eu à dire.

Très facile de dire aujourd’hui, quand on l’a bien provoqué, quand on s’est bien gardé d’y participer, d’y apporter peut-être un certain savoir utile : « Voyez quels désordres pour lui-même ce peuple inconscient provoque », et l’ordre établi de les pointer soigneusement et en boucle. De tout temps, c’est ainsi que toutes les amorces de révolution ont été noyées ou reprises en main par ceux qui auraient eu à y perdre (de profits, du pouvoir).

 Tous les domaines sont touchés ou devraient être touchés parce que tous font partie de la vie d’un peuple qui veut justement vivre. J’ai déjà parlé de celui que je connais le mieux, l’école (dans ce billet et à longueur d’autres billets). Bien sûr que l’ensemble du peuple ne peut facilement entrevoir que la matrice de tout ce qu’il subit est l’école qui l’a formaté. Alors où sont les enseignants du peuple ? Bien sûr que l’ensemble du peuple ne peut pas facilement percevoir que s’il bouffe mal ou pas, c’est un système agricole industriel lié aux multinationales qui en est la cause. Alors, où sont les petits paysans biologiques, les ouvriers agricoles, les petits commerçants ? Bien sûr que l’ensemble du peuple ne peut facilement percevoir que toutes les concentrations de toutes sortes qui s’opèrent depuis un siècle et s’accélèrent aujourd’hui sont voulues non pas pour son bien mais pour faciliter son asservissement et les profits de quelques-uns, ceux-ci inventant leur mondialisation et nous la faisant croire comme naturelle (ex les grandes surfaces propriétés d’une ou deux multinationales et de leurs actionnaires). Alors où sont les quelques économistes qui eux le savent ? Bien sûr que la suppression des petites unités territoriales empêche chacun de participer à l’organisation de ses lieux de vie,   bien sûr que l’organisation du travail, sa fluctuation imposée, ses délocalisations… prennent la totalité du temps de vie de chacun et empêchent l’enracinement quelque part, bien sûr… bien sûr…  Etc. etc. etc.

Alors, il ne faut pas s’attendre à ce qu’un Sire qui s’appelle Jupiter proclame des Etats Généraux. Il faut que le peuple avec tous ceux qui s’en réclament prolonge lui-même sa révolte au-delà de quelques petites revendications à satisfaire (une taxe !) dont il sait, dont l’histoire nous a appris, qu’elles seront très vite défaites. Si des barricades provoquées par la colère (ou bien souvent par l’ordre établi !), peuvent être le début d’une révolution (malheureusement c’est souvent sa fin), le peuple doit élaborer comment il veut que s’organise différemment la société qui n’est que la sienne et pas celle des minorités qui l’établissent et en profitent.

Laissez tomber provisoirement les manifs où inexorablement vous serez décrédibilisés,  dans tous les ronds-points, laissez passer les bagnoles mais faites à la place partout les Etats Généraux des ronds-points (comme ce n’est pas le printemps, pas loin des ronds-points il y a des bistrots !), emparez-vous de la réflexion qui aboutit à des propositions, des exigences, et là vous gagnerez, nous gagnerons. La volonté du peuple il n’y a que le peuple qui peut la formuler. Vous n’y êtes pas habitués ? Parce que vous n’avez jamais commencé !

voir précédemment les cahiers de doléances jaunes

Un magnifique exemple, ceux de Commentry

Commentaires
C
Il me semble important que les enseignants participent à l'élaboration des cahiers de doléances issus des discussions à venir. Ils ont souvent été en 1789 les rédacteur des revendications des personnes. C'est un des moyens de faire revenir l'école dans la vie de tous les citoyens et de placer l'enseignant comme accompagnateur des revendications de toute nature.
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B
Je suis tout à fait d'accord avec Jean-Louis Chancerel. Si les Etats-Généraux de 89 avec les cahiers de doléances ne sont pas nés spontanément, par contre leur élaboration sur chaque territoire et micro-territoire a demandé du temps, s'est faite physiquement sans intermédiaires (il n'y avait pas internet !) dans de longues discussions. <br /> <br /> <br /> <br /> Dans un billet suivant je parle de la leçon qu'ont pu donner les enfants des écoles différentes.<br /> <br /> En 1989 pour le bi-centenaire de la Révolution il y a eu quelques classes Freinet de l'hexagone (dont la mienne) qui ont élaboré pendant quelques semaines leurs "cahiers de doléances des enfants". A Moussac le cahier a été porté solennellement à la mairie, puis les classes de la Vienne qui en avait fait de même sont allées au Conseil Général à Poitiers, reçues en grande pompe. C'est un enfant de ma classe, en bonnet phrygien, qui a lu la déclaration commune que les délégués des classes avaient rédigée ensemble. Puis tous ces enfants ont fait un grand pique-nique républicain dans le parc de Blossac. Tous les élus étaient quelque peu estomaqués. Bien sûr ils se sont contentés de prendre cela comme une simple commémoration. Les enfants, eux, avaient cru qu'ils allaient être pris en considération. Cependant, le Maire de Moussac a pris par la, suite quelques petites mesures d'aménagement en se référant au cahier des enfants.
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C
Oui, si la colère est légitime; ce n'est pas le cas de la violence. Par ailleurs, il ne faut pas opposer "ceux d'en haut" à "ceux d'en bas". Chacun d'entre nous a quelque chose de l'une ou l'autre appartenance. On est d'en haut chaque fois que l'on prend des responsabilités et cela doit induire à la fois une prise de conscience et une ouverture au dialogue. Ma critique vis-à-vis des gilets jaunes, c'est de ne pas pouvoir et imposer un dialogue dans des territoires concrets là où il y de la vie. Ce n'est pas le cas des Champs Elysées et même de Paris, le lieu de l'illusion du dialogue, le lieu du slogan comme pensée. L'opposition au jacobinisme ne peut se faire qu'en périphérie là où il y a la vie, des pratiques innovantes. C'est pour cela que je lis et médite les dialogues et les prises de position de ce blog car ils viennent des lieux de la vie sans pour autant renoncer à ma responsabilité de théoricien à partir de mes pratiques.
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C
Vu de l'étranger (la Suisse), le mouvement des "Gilets jaunes" apparaît comme une absence de communication entre des personnes, des groupes, des institutions, parce que tout est aspiré par une verticalité (en place depuis des siècles) et une territorialité mythique (le territoire du peuple et la place de Paris et même des Champs-Elysées). Tous veulent parler à tous avec pour chacun un message qui lui est personnel. Il n'y a pas d'espace d'échange entre des groupes ayant chacun la certitude d'avoir le droit de réclamer ce qui lui manque. La responsabilité de cette absence de dialogue est largement partagée. La politique se sert de cette verticalité pour imposer; le peuple, et nous sommes tous peuple et pas seulement ceux qui se révoltent, veulent imposer leur parole sans se soucier qui peut et veut les entendre. "Je parle à tout vent". Pour qu'il y ait des Etats généraux, il faut des discours et des espaces de confrontation visant des consensus et l'Etat central n'est pas le seul espace de cette confrontation ni même l'espace de référence. C'est donner beaucoup de pouvoir à Emmanuel Macron que de penser qu'il a à lui seul les solutions aux problèmes de chacun. C'est notamment l'illusion que le Ministère de l'Education Nationale a la solution aux problèmes de l'acquisition des connaissances et de structuration des compétences. Même si le Ministre et son cabinet le croit, ce n'est pas la réalité, mais un phantasme de pouvoir. La France souffre de jacobinisme; l'école se délite parce qu'elle veut être identique partout et pour tous. La Suisse n'est pas un modèle, loin s'en faut, mais l'organisation des dialogues à tous les niveaux permet progressivement de trouver le dialogue et la résolution des problèmes. C'est lent; ce n'est pas immédiat; mais cela se fait et aboutit. Il y a une signification au dialogue, pas seulement une utilité immédiate. Si je comprends les revendications, je redoute qu'elle ne trouve pas d'interlocuteur capable de construire une réponse collective. En 1968, nous avions nos "Katangais", nos casseurs; c'était ceux qui ont tenté de détruire tout dialogue; heureusement dans la plupart des cas (en province) nous avons pu réduire leur impact. Ne soyons pas naïf face à la violence et donnons la parole à ceux qui ont quelque chose à dire et pas aux provocations inutiles. Malgré tout, j'ai confiance et n'oubliez que pour les autres pays, la France est le seul pays à avoir un discours visant l'universalité et cela qui doit se construire. J'ai confiance dans l'échange à tous les niveaux, pas dans l'individualisme du repli sur des certitudes.
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