Notre société a inventé le temps et la mesure mathématique du temps. D’autres sociétés qu’on appelle primitives ne l’ont pas fait, non seulement elles ne s’en sont pas trouvées plus mal mais l’organisation de leur vie collective a été complètement différente.
Notre société a voulu tout mesurer minutieusement, en couplant ses mesures du temps avec celles de la distance elle a inventé la vitesse.
Notre vie collective est devenue ainsi régulée par des nombres, création de l’esprit. Mais on ne s’en rend plus compte, on le pense naturel.
Précédents billets : (1) intro et valeur du travail - (2) La domination institutionnelle (espèces sociales ou grégaires) et Le formatage à la soumission - (3) La taille des structures - (4) Les espacs vitaux -
Société |
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École, Éducation |
Le temps, imposé, découpé |
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Le temps imposé, découpé et les rythmes |
La montre, le calendrier, ce sont devenus les seuls régulateurs de notre organisation et vie sociale comme en partie de notre vie personnelle, dans des temps qui nous sont édictés. Le premier temps imposé est celui du « travail ». J’ai déjà souligné le dévoiement de sa finalité qui n’est plus, pour sa plus grande partie, la participation et le partage des tâches nécessaires à la survie et à la vie d’une collectivité et par extension d’une société mais ce que chacun doit faire au service et au profit des grandes entreprises ou des multinationales (mondialisation) pour obtenir en contrepartie de quoi survivre en achetant ce dont il a besoin aux mêmes multinationales. Pendant une dizaine d’heures quotidiennes (avec les transports), voire plus (« travailler plus pour gagner plus »), très précisément encadrées par les horloges (pointage), aux mêmes moments, le temps de toute une population ne lui appartient plus. Comme pour les enfants à l’école, elle exécute. Le temps d’être épuisée, malade, lui est pratiquement interdit. « Le temps c’est de l’argent », il est donc demandé à la plupart des travailleurs d’être « rentables ». Le rapport temps/production se calcule comme la vitesse temps/distance et rentre dans les chiffres de la « rentabilité du travail » et de ceux d’un PIB. Ce conditionnement nécessaire au temps imposé poursuit même les chômeurs condamnés à utiliser au moins autant de temps que les travailleurs pour leur recherche de travail et ils sont contrôlés pour cela. Le temps personnel qui reste à chacun, à peine 1/5 d’une journée en dehors du temps de sommeil, est un temps épuisé devant être occupé pour la survie élémentaire. La limite extrême de ce temps où toute une population doit être à la disposition d’une machine inventée ayant le nom d’économie est fixée d’avance : c’est la retraite. L’économie et ses dirigeants jugent à partir de quel moment ceux qu’elle utilise deviennent moins… utilisables. L’anticipation de l’allongement de la longévité fait repousser la date fixée pour tous de ce moment de libération de leur temps. L’essentiel des luttes a été d’obtenir un peu de temps personnel et de temps social : Semaine de 40 H, deux semaines, trois semaines, cinq semaines de congés payés, semaine de 35 H, retraite à 60 ans… chaque fois il était opposé un hypothétique écroulement de l’économie qui n’a jamais eu lieu pour cette raison. Les congés payés, fixés aux mêmes moments annuels pour tous, ne devraient être que du temps personnel et du temps social redonné à chacun alors qu’ils sont plutôt un temps de récupération pour que chacun soit à nouveau rentable à la rentrée. C’est aussi un temps où il est possible d’exploiter un grand nombre par l’industrie touristique et les mirages qu’elle fait miroiter. Ce temps personnel est qualifié de « temps de loisir », presque péjorativement de « temps oisif », alors qu’il n’est qu’un temps de vie, parcimonieusement permis. La régulation de ce que toutes les personnes d’une société doivent faire par le calendrier et les horloges est telle que même l’heure n’est plus fixée par l’astronomie (heure d’été, heure d’hiver). L’homme n’est plus un être vivant dont les rythmes biologiques sont en harmonie avec ceux de la nature, il s’est extrait de celle-ci où plutôt une minorité l’en a extrait. Comme pour les plantes de l’agriculture industrielle il en est fragilisé, les humains constituent une masse uniforme qui demande de plus en plus de moyens pour rester en état (systèmes de santé, médicaments, vaccinations…), ces moyens accentuant eux-mêmes sa fragilité et accélérant sa perte. Nous avons donc une société robotisée dont tous les actes sont édictés par les mêmes horaires, le même calendrier. Le temps de réfléchir, le temps de réfléchir ensemble, le temps d’expérimenter, le temps de tâtonner, le temps de se tromper… tous ces temps sont réduits à une peau de chagrin. Pour sortir de cette robotisation il semble nécessaire : - Que la société dans son organisation redonne du temps à chacun, c'est-à-dire diminue le temps du travail qui est obligatoire en contrepartie des moyens de survivre (salaire). C’est tout à fait possible, d’une part quand la finalité du travail ne sera plus celle du profit de quelques-uns ou de minorités rassemblées dans des entités (problème des multinationales, des actionnaires, de la spéculation…), d’autre part parce que le nombre des privés de travail (chômeurs) permettrait de largement partager le travail nécessaire et de diminuer son temps pour chacun. - L’emprise des horaires nous a conditionnés à nous dépêcher, à être constamment sous la pression du temps : ne pas arriver en retard au boulot, se dépêcher de rentrer à la maison, ne pas attendre pour prendre la route des vacances, prendre l’autoroute pour gagner du temps,… se dépêcher à faire des lois,… etc. Nous vivons dans l’urgence, et plus nous vivons dans l’urgence, plus tout devient plus urgent, y compris le changement climatique, et moins l’urgence résout quoi que ce soit. Darwin et l’évolution, le rythme de tous les êtres vivants en adéquation avec les cycles naturels, auraient dû nous apprendre que le temps n’est pas de l’argent, n’est pas un temps mathématique, mais il est celui de la vie, celui de son évolution. La construction de toute vie sociale nécessite d’avoir le temps, que chacun en prenne le temps. Ce qu’il nous faut revendiquer et conquérir, c’est le temps. |
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Dans tout le monde vivant, l’évolution de chaque être, animal ou plante, s’effectue dans un continuum suivant une courbe qui n’est ni linéaire, ni fractionnée, ni identique pour tous. Elle dépend d’une multitude de facteurs qui la situent dans la complexité. - Il n’y a pas si longtemps que l’on commence à admettre que pendant l’allaitement l’enfant peut prendre le sein à sa demande. Sinon le rythme de l’allaitement est réglé soit par ce qui est préconisé par les pédiatres (si ce n’est par les fabricants de laits infantiles), soit par les croyances culturelles ou les impositions sociales, soit par les disponibilités de la mère. Déjà les différents temps, celui de la naissance (naissance sans violence F. Le Boyer), de l’allaitement, du sevrage, ne sont plus conditionnés par les besoins et les processus naturels. - Dépassé le stade primal (gestation, naissance, allaitement), l’essentiel du temps de construction de l’enfant en adulte est celui pris par l’école. Pour la plupart des enfants leur temps biologique, psychique, cognitif, social va être découpé et édicté par l’Institution et ce qu’impose l’organisation sociale, en particulier celle du travail (voir ci-contre). - Découpage des journées : tous les enfants et adolescents se lèvent en même temps, passent en même temps les grilles des écoles. Puis il faut qu’ils s’insèrent dans un emploi de leur temps qui leur est précisé à la minute près, heure par heure. Temps des maths, temps du français, temps de l’histoire… Impossible de faire autre choses que ce que l’emploi du temps indique. Impossible d’y être autre chose qu’un élève. Le temps du défoulement (récréations) est également édicté en étant d’ailleurs le plus court. Même le temps de « faire pipi » ne peut avoir lieu qu’aux moments indiqués. L’absence, le retard sont sanctionnés quelle qu’en soit la raison. - Reste le temps après l’école dont une partie est encore obligatoirement réduite et imposée par les devoirs. Ce qui reste à l’enfant est un temps d’épuisé. - Découpage de la semaine, de l’année. Les journées où l’enfant est sensé être plus ou moins libre de son temps, où il est sensé pouvoir se reposer ou plutôt récupérer, sont fixées d’avance par le calendrier scolaire (et le calendrier touristique). L’Institution cherche à ce que ces temps qui lui échappent ne brisent pas le conditionnement du temps scolaire (polémiques sur la semaine de quatre ou cinq jours, sur les vacances trop longues qui rompent le conditionnement scolaire…). - Il y a peu, sous l’influence des chronobiologistes, s’est posée la question des rythmes scolaires pour rendre plus efficient le découpage du temps scolaire. L’école tayloriste de par sa conception et ses finalités est bien incapable de s’adapter aux différents rythmes des enfants et aux enfants aux rythmes différents. Quel que soit le découpage choisi, c’est aux enfants de s’y adapter. - Le parcours de ce qui devrait n’être que celui de la construction des enfants en adultes est ponctué arbitrairement d’échéances fixées à des moments précis : l’entrée à l’école, le moment où ils doivent tous savoir lire, le moment où ils doivent tous changer de case (classe), le moment où ils doivent tous réussir le brevet ou le bac… Les deux seules constructions qui n’ont pas d’échéances sont celles de l’apprentissage de la marche et de la parole, et tous les enfants apprennent à marcher et à parler. - Lorsqu’il apparait qu’il manque aux enfants du temps de sommeil, du temps de repos, voire même plus récemment du temps de jeu, beaucoup plus rarement dit du temps de liberté, la grille générale du temps de l’école n’est en aucun cas modifiée, on essaie juste d’y insérer artificiellement et pour tous quelques moments tronqués qui ne peuvent jamais correspondre à la courbe sinusoïdale du rythme de chacun.
L’école est conçue comme une chaine industrielle « d’élevage » simultané et identique pour toute une population enfantine. Après avoir découpé ce qu’elle veut que tous les enfants apprennent (programme), elle a besoin de découper les temps et leur succession dans lesquels chaque OS (enseignant) doit greffer sur des objets (élèves) le morceau du programme qui leur est imparti. Mais les enfants ne sont pas des objets. Aucun autre être vivant ne se construit en adulte autonome et social s’il ne le fait dans le temps continu et différent pour chacun des interactions avec son environnement et des interrelations avec son entourage. Le seul moment où l’enfant peut le faire c’est lors de l’apprentissage le plus complexe qu’il ait à réaliser, celui de la parole.
Il est urgent que l’école cesse d’être une « fabrique d’objets », ne soit que l’espace où des enfants puissent continuer d’évoluer dans le temps continu de leurs rythmes naturels si l’on veut qu’ils puissent devenir des adultes épanouis ayant développé toutes leurs capacités, aptes à vivre le temps de leur vie tout en participant à l’organisation des temps de la vie sociale.
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Pour aller plus loin : Rythmes (extrait de « Chroniques d’une école du 3èlme type ») - Les rythmes et le concept de la simplexité - Les rythmes scolaires ou les rythmes des enfants ? (doc envoyé aux candidats à la présidentielle )– D’autres billets sur les rythmes
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Merci de ces analyses qui n'ont pas besoin d'être savantes pour nous remettre les yeux en face des trous.