gilets-jaunes

Suite au ènième billet sur l'éradication des classes uniques, ci-dessous le texte envoyé par un des tous derniers instits de classe unique. Au lieu de donner des regrets il faudrait que cela soulève enfin une levée massive pour arrêter d'une part ce qui est un véritable génocide éducatif et culturel, d'autre part pour que se réinstaure ce qui était bien l'école du XXIème siècle.

Je ne vais pas faire avancer le débat, mais je voulais juste déposer par écrit un petit texte sur les classes uniques rurales, celles que l'on éradique en ce moment.

Je suis dans ma classe unique depuis 8 ans maintenant et j'essaie d'y pratiquer la pédagogie Freinet. Avec le temps mes pratiques ont beaucoup évolué. Etant par définition seul enseignant dans ma classe, je ne me rends plus toujours compte quelquefois de ce que ces classes uniques rurales ont d'atypique et de géniales. En discutant avec mon épouse cette semaine, elle m'a fait remarquer que ce que je lui racontais (en trouvant ça tout naturel) ce n’était  quand même pas banal et qu'il n'y avait sûrement pas beaucoup d'écoles où ça se passait comme ça.

 Du coup, je me suis posé 5 minutes et j'ai réfléchi aux choses qui se faisaient naturellement dans ces petites écoles et sûrement pas ailleurs, en voici quelques exemples:

 - L'anecdote qui a déclenché la réaction de mon épouse. Depuis les vacances des collégiens (mi-juin), j'ai tous les jours 1,2 3 4...collégiens qui viennent passer une partie de leurs journée à l'école (pas trop le matin quand même ça dort un ado). Ils aident les autres, écrivent des textes, lisent, papotent...et même ce mardi j'ai 2 6ème et 2 5ème qui avaient préparé une séance d'art-visuels/bricolage de fabrication de catapultes pour l'après-midi. Un super moment.

 - Notre marché des connaissances où les clients sont les parents, habitants du village, anciens élèves (cette année nous avons eu la visite des 6èmes, 5èmes, 4èmes et même les 3èmes). On assiste parfois à de sacrées scènes, des sexagénaires qui font de la G.R.S, des "adversaires  politiques" aux élections qui se retrouvent à jouer une scénette dans le stand théâtre...

 - Les sorties dans la nature proche de l'école où encore une fois les collégiens qui n'ont pas cours nous accompagnent souvent. 

 - Les élus qui sont hyper investis dans l'école : ils passent tous les matins à 6h en temps de canicules ouvrir les volets et fenêtres  de l'école, ils nous prêtent une couveuse pour faire éclore des œufs et viennent même sur leur temps libre vérifier que l'éclosion se déroulent bien, soutiennent les luttes de l'école contre la loi Blanquer, contre le LSU, contre les évals nationales….

 - Des parents qui sont hyper investis dans l'école, qui sont là à toutes les fêtes, qui viennent faire de la musique, de la cuisine, du jardinage, vider et ranger la classe quand il y a des travaux…

 - Un bâtiment dédiés à l'école où tout le monde peut fonctionner facilement de la même façon, déplacement libre, utilisation de plusieurs salles, du couloir, du préau, tout le matériel en libre services...

 - Un fonctionnement du périscolaire et de la cantine à la cool parce qu'on n’est pas nombreux.

 - Les milliers d'avantage du multi âge (je ne vais pas vous faire l'offense de les lister ici)

 - Des enfants méga autonomes qui arrivent au collège armés scolairement et surtout de caractère : un taux de délégués de classes record (même s'ils sont souvent déçus car ils pensent que les conseils de classes vont être comme nos réunions de classes…) et des élèves qui remettent souvent en question le fonctionnement de ce mastodonte qu'est le secondaire. Ils se heurtent à un mur mais peut-être qu'un jour il va se fissurer.

Bref, c'est les vacances et ma mémoire me fait sûrement défaut et j'oublie mille anecdotes, mais j'avais ça sur le cœur et je voulais juste les mettre par écrits car je mesure chaque jour la chance que j'ai d'être dans une de ces structures et ça me ronge de voir que l'on essaie à tout prix de les détruire au nom de la soit-disant rentabilité.

Sylvain Turpin (01)