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Le blog de Bernard Collot
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5 décembre 2019

Grève et manif pour la retraite et un futur hypothétique ?

 

gilets-jaunes

 L’objectif de la protestation légitime peut-il être pour un futur (retraites) qui n’existera probablement pas ?

Un jeune de 20 ans atteindra la soixantaine dans… 40 ans. Peut-on imaginer un seul instant que dans 40 ans tout ce qui fait débat aujourd’hui aura un sens quelconque ? Voire dans 10 ans, 5 ans ? Quand manifestement tout ce qui tenait vaille que vaille une société dans l’état (LE système qui englobe les systèmes) vacille dans tous ses pans ?

Ce n’est pas pour un futur, et même pour un futur proche, dont personne ne peut savoir ce qu’il sera qu’il faudrait se battre (exemple les retraites) mais pour modifier notre vie dans l’immédiat.

C’est quoi le simple immédiat ? L’aliénation (ou l’esclavage) du temps de travail. Le but stérile de ce travail (profits de quelques-uns). Le décalage entre les valeurs attribuées à ce qui est utile aux autres et à ce qui ne l’est pas (ex : les éboueurs ou les petits paysans d’un côté, les animateurs de télé ou les vedettes du foot de l’autre). Le stress et la menace permanente pour l’obtention ou la conservation des moyens de survie (le chômage brandi). La suppression des moyens pour le travail utile (services publics, services sociaux, éducation populaire, santé…), etc., etc., etc., ... et la croyance qu’il faut quelques élites pour diriger une majorité d’idiots incapables de savoir où est leur bien.

Tout le monde sait ou commence à savoir que c’est bien le système maintenant mondialisé et ce que ce système (dont l’école) a inculqué dans nos cerveaux qui maintiennent cet immédiat. Il est vain de demander à ce système de se modifier, ce d’autant que personne ne sait trop comment il devrait se modifier, puisqu’il engagerait un futur… inconnu (l’inconnu, c’est le propre du futur).

L’immédiat et sa modification ne peuvent se faire que dans de multiples tâtonnements expérimentaux, essentiellement locaux. Or, le « système » qui n’est pas fou empêche par tous ses moyens coercitifs que se développe le moindre tâtonnement expérimental social, économique, éducatif. C’est contre cela que devraient manifester sans s’arrêter les millions de personnes dans les rues, non pas en arrière-plan (c’est ce qui est quand même diffus) mais en premier plan.

Où trouve-t-on le tâtonnement expérimental de l’immédiat ? Comme je l’ai déjà dit, le plus important des gilets jaunes était dans ce qu’ils faisaient et créaient sur les ronds-points : l’État ne s’y est pas trompé et s’est évertué à les détruire alors qu’ils ne causaient aucun trouble, et peut-être surtout lorsqu’ils ne causaient aucun trouble. L’exemple de Notre Dame des Landes est un des plus significatifs : ce n’était pas (ou pas seulement) parce que les zadistes avaient empêché la construction d’un aéroport que l’État y a envoyé grenades, lacrymo, LBD et bulldozers mais parce qu’ils inventaient en tâtonnant un autre mode de survivre et vivre ensemble… sans causer de tort à personne.  Analysez toutes les lois pondues en continu, la plupart sont faites pour empêcher le tâtonnement expérimental : par exemple et dernièrement au Sénat loi pour empêcher de vivre, même sur son terrain, dans ce que l’on construit ou bricole soi-même, lois pour empêcher le tâtonnement éducatif dans les écoles alternatives, lois pour empêcher de produire ses semences, lois pour limiter les décisions et le tâtonnement d’organisations communales différentes, lois pour empêcher de se soigner ou de soigner autrement, etc., etc., etc. Toutes les lois sont faites pour que chacun se conforme au système et pour permettre son maintien. Et il nous fait croire que c’est pour notre sécurité et notre bien. Et il nous fait croire que c’est nous qui l’avons voulu par l’intermédiaire d’élus.

Je suis à fond avec les grévistes et les manifestants qui en ont assez d’être des moutons tondus. Mais lutter contre un système ne suffit pas si on ne prend pas le risque immédiat des tâtonnements expérimentaux des vivre et faire ensemble autrement. Paradoxalement ce seront les moins nantis qui sauveront la planète et notre espèce s’ils cessent de se soumettre au système des riches et prennent conscience de leur pouvoir, dont celui du nombre et celui de l’intelligence collective.

PS : Et il y a un autre immédiat : celui que vivent obligatoirement nos enfants capturés dans un système éducatif de plus d'un siècle d'âge ! Comment ne pas le lier à tous les autres systèmes ? Comment ne pas le voir ?

Commentaires
C
C'est très éclairant tous ces exemples ! Je trouve que le tâtonnement expérimental rejoint la valeur du *hasard*, en opposition au programme et à la progression pensés à priori par quelqu'un d'autre : le hasard est adapté finement à la vie, la vie de l'enfant dans le cas de l'école du 3e type.<br /> <br /> <br /> <br /> Tu nous fais des cachotteries sur le site, tu seras mardi soir à Radio France ! https://www.maisondelaradio.fr/evenement/conference/et-si-changeait-lecole/un-evenement-franceinfo-et-we-demain   
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C
Tu as une vision du travail comme source de l'aliénation et ce n'est pas uniquement le profit qui en est la récompense. Ce que je sais actuellement, c'est pour une part l'école qui me l'a appris et beaucoup le travail qui a toujours été pour moi source d'acquisition. Il fut donc partir dans l'analyse du travail des moments d'aliénation à un pouvoir et des moments d'acquisition et de création d'identité. Il est vrai que la caractéristique de l'école en général fait de moment de la vie d'une personne la préparation à des modalités de domination et d'acceptation de ces dominations. Tu as raison de valoriser ces moments où les activités scolaires ne sont plus des tâches visant à atteindre des objectifs fixés par d'autres (les programmes, les enseignants, les parents, la compétition avec les autres, etc.), mais un investissement de l'élève dans quelque chose qui a un sens et pas uniquement une utilité. La grève, (et un de mes anciens assistants Frédéric GODET a fait un film sur la grève de Dubied en Suisse (et oui, il y a des grève de plus d'un mois en Suisse) dans le Val de Travers en 1976) devrait être un moment d'analyse. J'avais intitulé ce long métrage, "les machines s'arrête, les ouvriers parlent" ; il montrait bien la naissance d'une parole lors de la cessation de ce travail aliénant. Ce que je souhaite aux grévistes, c'est aussi de passer du temps à cette analyse et de comprendre toutes les sources d'aliénations dans leur emploi du temps. La grève doit être un moment du tous ensemble dans ce que Paolo FREIRE appelle la conscientisation. C'est à ce prix qu'elle est une réussite et non pas au nombre des grévistes. Elle doit s'inscrire dans le travail pour que celui-ci devienne source d'épanouissement.
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