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Le blog de Bernard Collot
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21 mai 2021

Souvenirs. Des enfants au cœur de la barrière de corail.

vieux

Un Thomas Pesquet qui de sa capsule dans l’espace répond quotidiennement à des enfants d’écoles : on s’extasie. Merveille de nos technologies. Exceptionnel dit-on. Qu’est-ce qu’on a de la chance !

Et pourtant, bien longtemps avant, les enfants de nos écoles vivaient de tels moments sans avoir même l’impression d’une quelconque exceptionnalité.

 Souvenirs :

 C’était dans les années 80. Notre réseau télématique comportait près de 300 écoles, toutes du mouvement Freinet ou classes uniques du 3ème type. Les échanges étaient quotidiens pour une partie d’entre elles.

Chez nous, Arnaud, 9 ans, avait un papa chauffeur routier international. Celui-ci était régulièrement absent et Arnaud se demandait comment faisaient d’autres enfants dans le même cas pour rester en communication avec leur papa. Le téléphone portable n’existait pas ! Il envoya donc un message à tout le réseau pour savoir comment faisaient d’autres enfants. Il n’eut pas de réponse précise à sa demande, mais la conversation dans le réseau et dans la classe tourna sur les souffrances occasionnées par l’absence d’un parent. Et tout le monde oublia la question.

Les classes uniques ont, entre autre, l’avantage qu’il n’y a pas de rupture d’une année à l’autre. La vie y est un continuum. À la rentrée suivante nous reçûmes un message d’une classe unique bretonne : « Êtes-vous toujours intéressés par les papas qui voyagent ? Didier, le papa de Gwenaëlle, part pour 3 mois sur un bateau du commandant Cousteau. Si vous voulez il est d’accord pour correspondre avec vous. »

Il est probable que les petits bretons qui baignaient dans les histoires de marins cherchaient d’autres découvertes. Nos enfants sautèrent donc sur l’occasionet commença une nouvelle aventure.

Didier était officier mécanicien et effectuait un remplacement imprévu sur la Calypso pour une expédition sur la barrière de corail australienne.

Didier nous mis en relation avec la fondation Cousteau et c’est avec elle que s’organisèrent les échanges. Les enfants écrivaient une grande lettre collective, l’envoyaient à la fondation à Paris. La lettre partait en Australie en avion, puis de là-bas un hélicoptère l’amenait sur le pont du navire avec tout le courrier. La réponse suivait le chemin inverse, si bien qu’une lettre partie le lundi avait sa réponse parfois moins de 8 jours après.

Les grandes lettres des enfants dégoulinaient de couleurs, de dessins, de questions, même les petits y participaient « Fais attention aux requins ! », « Est-ce que tu sais nager ? »…

Les scientifiques et les marins du navire était quelque peu intrigués par ces lettres colorées qui décoraient la cabine de Didier, si bien qu’il fut convié à participer à des plongées. Et surtout Didier se piqua au jeu et ses réponses étaient de petites merveilles épistolaires. Nous vécûmes ainsi les 3 mois de l’expédition et des événements comme par exemple une tempête.

Nous ne pouvions garder tout cela pour nous. D’une part nous publiions alors une partie de ses lettres sur notre journal hebdomadaire envoyé à une vingtaine d’écoles. D’autre part nous essayions de transformer ses lettres en pages videotex pour notre journal télématique qui touchait beaucoup plus de monde. Traduire deux ou trois pages de littérature en une seule page écran au format sommaire du minitel nous demanda alors d’inventer une autre forme d’écriture en extrayant de ses lettres des mots, des phrases, des expressions, en utilisant les 3 tailles possibles des caractères et leurs couleurs, en jouant sur les dispositions possibles, en coloriant des pixels pour produire des formes. Tout cela se faisait sur une feuille de papier quadrillé sur laquelle j’avais reproduit l’écran avec ses pixels. Nous l’envoyions alors à Bernard Monthubert, un des pionniers de l’informatique à l’école dans le mouvement Freinet. Il transformait tout cela en code et la page devenait visible dans toute la France. Un peu plus tard dans une université d’été, une profe de littérature qui s’insurgeait contre la pauvreté de l’écriture télématique, découvrait avec stupéfaction la page où était racontée la tempête vécue par Didier. « Vos enfants ont inventé une autre forme de rondeau  ou de calligramme! »

Si bien que notre Didier devint le Didier de tout le réseau. Nous recevions des commentaires, des choses à dire à Didier ou des questions à lui poser… Au retour de Didier, les petits bretons firent un interview en direct, diffusé aussi au réseau. À la fin de l’année nous allâmes passer huit jours en voyage en échange dans cette école et nous rencontrâmes enfin le papa de Gwenaëlle. Très curieusement la Calypso était complètement oubliée par les enfants beaucoup plus intéressés alors par la grève, les rochers où Didier nous accompagnait avec les petits copains bretons.

 Le mouvement Freinet, c’était des aventures quotidiennes, même si elles n’étaient pas toutes aussi spectaculaires. Nous profitions aussi des aventures des autres, nous pouvions même nous y insérer comme par exemple avec cette classe unique des monts du Lyonnais qui avait établi des liens avec des enfants de la forêt guyannaise (je l’ai narrée dans un ouvrage1)

 PS : Les avancées effrénées de la technologie font qu’une foule de productions de cette époque, audios, vidéos, télématiques… ne sont plus possibles à écouter ou regarder aujourd’hui. Il est vrai aussi que nous n’imaginions pas leur intérêt à les conserver pour une postérité puisque c’était banal pour nous. C’est seulement aujourd’hui et par le souvenir2 qu’on se rend compte du foisonnement de ce qui se passait dans nos écoles. Dommage.

1 Quelques autres anecdotes dans « La fabuleuse aventure de la communication, du mouvement Freinet à une école du 3ème type » ou dans « Un autre journal scolaire, outil et reflet de la communication » thebookedition.com

2 idem

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