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Le blog de Bernard Collot
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25 mai 2021

Souvenir : Des enfants dans la forêt vierge !

vieux

J’ai souvent dit « nos écoles c’est la planète ! ». Il n’y avait pas besoin « d’ouvrir » nos écoles au monde, c’était le monde qui faisait nos écoles. Nous en faisions même un autre monde fait de partages de toute sorte. Une inspectrice se plaignait dans une conférence pédagogique de l’isolement dans lequel les enseignants enfermaient les enfants et s’enfermaient eux-mêmes. Malignement je lui demandais « Et nous les classes uniques que votre administration s’évertue à éradiquer ? - Ah ! Vous vous êtes dans un mode qui n’est pas celui de tout le monde ! »

Souvenirs

Extrait de « La fabuleuse aventure de la communication, du mouvement Freinet à une écoles du 3ème type »1

Antécume Pata et la forêt vierge

Patrice GONIN était instituteur à Haute-Rivoire dans les Monts du Lyonnais. Un jour, il rencontra André COGNAT à la présentation d’un de ces films. André COGNAT, ouvrier lyonnais, était parti vivre en Guyane parmi les Wayana depuis 1961. Il avait contribué à médiatiser les problèmes que connaissent les Amérindiens, notamment par ses livres ainsi que par ses interventions dans plusieurs films documentaires ou ethnographiques.

Antécume était son nom d'adoption parmi les Wayanas, et il était à l'origine du village qui prit le nom d'Antécume-Pata, sur les bords du fleuve Maroni, au cœur de la forêt encore plus loin que Maripasoula, le poste avancé des autorités françaises.

A Antécume-Pata il avait réussi à ce qu’il y ait une école publique et un instituteur, en pleine forêt vierge.

Tous deux discutèrent beaucoup, et de l’école de Patrice, et de celle d’Antécume. Ils avaient les mêmes idées sur la nécessité de ne pas couper les enfants des écoles de leur milieu, de leur proximité, de leur culture. Lorsque André Cognat retourna en Guyane il proposa la correspondance entre les enfants de Haute-Rivoire et ceux de la forêt vierge..

Les échanges commencèrent. Les petits lyonnais découvraient une vie quelque peu étonnante. Les petits guyanais racontaient qu’ils allaient à l’école en pirogue au milieu des crocodiles, que les filles se mariaient à 13 ans, etc. Cela était suffisamment exceptionnel pour que les enfants de Haute-Rivoire répercutent ces lettres, textes et dessins dans leur journal hebdomadaire à tout le réseau.

Et les guyanais se retrouvèrent avec des lettres venant de toute part et leurs textes, leurs réponses se trouvaient répercutés par d’autres journaux scolaires hebdomadaires2. Ils devinrent présents et familiers dans une ou deux dizaines d’écoles de France.

Un jour, à Moussac, nous lûmes que leurs papas n’arrivaient plus à acheter une herminette, vieil outil de charpentier qui leur permettait de creuser leurs pirogues, depuis belle lurette il n’était plus fabriqué. Les journalistes du journal régional la Nouvelle République avaient quelque sympathie pour les enfants de notre école où ils venaient de temps en temps. Les enfants les contactèrent, leur expliquèrent le problème de leurs copains amazoniens, ce qui est en soi suffisamment curieux pour un journaliste. Et la Nouvelle République publia un bel article titré « Les enfants de l’école de Moussac cherchent une herminette pour leurs copains de la forêt vierge » ! Les enfants ont immédiatement reçus de nombreux coups de téléphone, quelquefois surprenants : « M’sieur, il y a quelqu’un qui veut nous en vendre une parce qu’il dit que c’est un objet de collection ! Je lui réponds qu’il n’a rien compris ? » Finalement nous avons trouvé un menuisier qui nous en a apporté une et qui de surcroît a passé un moment avec les enfants pour leur expliquer tout ce que l’on faisait avec autrefois, avec démonstration à l’atelier bois… et l’herminette a été envoyée.

Les enfants de Haute-Rivoire eurent une idée saugrenue : pour eux il n’était pas normal que là-bas ils n’aient pas aussi un ordinateur et une imprimante. Patrice GONIN sachant qu’à Antécume il y avait un groupe électrogène, les laissa s’engager dans ce projet.

Comment trouver des sous ? Et germa une étonnante idée de… SCOP enfantine ! Leurs correspondants leur avaient déjà envoyé des colliers faits avec de dents de crocodiles, des graines colorées, des bijoux tressés avec des herbes séchées… qu’ils fabriquaient eux-mêmes. Ils leur proposèrent alors d’en faire un peu plus, eux se chargeraient de les vendre, d’encaisser, puis d’acheter le fameux ordinateur et de le faire amener par André Cognat. L’affaire fut conclue. A Haute-Rivoire commença alors l’organisation de l’entreprise. Ils firent des prospectus, des tableaux de tarifs, ouvrirent des livres de compte, des registres de commandes… et informèrent toutes les autres écoles du réseau. Et de nombreuses écoles dont la nôtre se transformèrent en agents commerciaux. Les enfants faisaient de la publicité auprès des parents, des voisins, passaient les commandes par messages à Haute-Rivoire, les recevaient, les distribuaient, encaissaient, faisaient leurs propres comptes, envoyaient le chèque aux lyonnais.

Ces bijoux originaux eurent beaucoup de succès… et l’ordinateur a bien été acheté !

Je ne sais pas si cette école a continué dans la ligne de son créateur. André Cognat lui continue d’être aux côtés des wayanas Crise en Guyane. Quelques éléments de réflexion (Par André Cognat Association YEPE ) | Le Club de Mediapart

1 J’ai aussi publié des extraits de ces échanges dans « Un autre journal scolaire, outil et reflet de la communication » thebookedition.com

2 idem

Ci-dessous images des journaux scolaires de Haute-Rivoire, de Moussac qui redifusaient aux autres écoles. Le Petit calimbet était celui de Antecume, reproduit à la machine à alcool, envoyé en un seul exemplaire à Haute-Rivoire qui le redifusait à son tour au réseau.

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