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Le blog de Bernard Collot
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7 juin 2021

Le numérique à l'école ?

vieux

L’envahissement du numérique provoque deux positions diamétralement opposées :

- L’éducation, les apprentissages par le numérique. Et c’est l’envahissement de logiciels, applications, sites proposant la super-école à distance, toutes les méthodes pour « l’apprentissage du numérique », l’utilisation des outils numériques pour les apprentissages à l’école, etc.

- Le refus absolu du numérique, des écrans à l’école. Ceci avec tous les arguments largement justifiés, y compris ceux sur la santé.

Dans ce second cas, il est souvent cité la Silicon Valley où les parents interdisent la présence des ordinateurs et écrans à l’école. On oublie facilement qu’en dehors de l’école ces enfants-là et leurs parents baignent dans le monde du numérique.

Parce que le problème est très mal posé. Comme toujours il est posé en termes d’apprentissages. Comme je l’ai ressassé, apprendre, apprendre de toute force par tous les moyens, apprendre ce qui est décrété devoir être appris est devenu le seul projet d’une société pour les enfants. Lorsqu’une société est devenue obnubilée par ce qu’elle pense devenu une incapacité de l’espèce humaine, lorsqu’elle croit savoir ce qu’il faut apprendre et de surcroît comment il faut l’apprendre, les collapsologues peuvent le rajouter aux faits qui font prévoir son effondrement à court terme.

L’éducation, entendue comme construction des personnes dans toutes leurs dimensions, s’effectue de par les interactions avec l’environnement dans lequel on est. L’apport de ce qu’on appelle éducateurs est très relatif, quant aux lieux spécifiques pour « éduquer », la plupart sont pour formater. Si l’environnement de proximité est primordial, les enfants n’échappent pas à l’environnement qui les englobe. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas eu besoin d’apprendre dans une école pour s’emparer du numérique, voire pour être prisonniers du numérique.

Il faut comprendre que tout ce qui est numérique, ce ne sont que des outils, comme le sont un marteau (rarement dans une école !), une machine à écrire (autrefois et pas partout !) ou un stylo-feutre. Lorsqu’au début des années 60 la fameuse pointe Bic est devenue grand public, nous avions été quelques-uns à immédiatement supprimer dans nos classes encriers et plumes sergent major. Vous n’imaginez pas ce que nous avons entendu : nous allions tuer l’apprentissage de l’écriture, le goût de l’effort, de la propreté… Parce que les plumes sergent major qui grattent le papier en remontant et déposent des pâtés d’encre en redescendant n’étaient pas faites pour écrire mais pour apprendre à écrire, apprendre le soin, l’effort ! À l’école on n’écrivait pas, on faisait des exercices d’écriture, alors ce qui pour nous libérait l’expression, la communication différée, ne pouvait être que dangereux.

La pédagogie Freinet, dite parfois matérialiste, a toujours utilisé des outils pour ce quoi ils étaient faits, pas pour « apprendre » : un stylo est fait pour écrire ce que l’on a envie ou besoin, une imprimerie pour reproduire en moult exemplaires ce que l’on veut communiquer à plusieurs, un téléphone pour discuter avec d’autres, un jardin pour cultiver et manger, etc.

Dans un monde où le numérique, l’image, l’audiovisuel ont tout envahi, ils ne sont que des objets devenus courants et que l’on est même obligé d’utiliser. On peut à juste titre le regretter, envier le temps où l’on n’en avait pas besoin, où le rythme qu’ils imposent n’était pas aussi démentiel, mais c’est ce monde dans lequel sont pour l’instant nos enfants. Ils donnent aussi des pouvoirs dont on devient esclave de ceux qui les possèdent. L’écriture, l’imprimerie ont aussi été des pouvoirs réservés à une minorité dominante. Lorsque Freinet et Daniel ont introduit l’imprimerie dans leurs classes, ils ont été considérés comme de dangereux et irresponsables enseignants : comment ? Permettre à des enfants d’exprimer ce qu’ils pensent et le communiquer, mais c’est les pervertir !

Dès le début, le mouvement Freinet puis les classes uniques de 3ème type ont utilisé tous les outils dits modernes au fur et à mesure qu’ils apparaissaient. Mais pas pour que les enfants « apprennent »1. Apprendre n’est qu’une conséquence de ce que l’on fait, de ce qu’on a besoin ou envie de faire, de ce que l’on vit, de ce que l’on essaye.

Lorsque imprimantes et photocopieuses se sont substituées à l’imprimerie, c’est le pouvoir de la communication qui a été donné à tous tout en augmentant le pouvoir d’une nouvelle écriture alliant mots et graphismes ou images pour donner du sens (avec l’imprimerie, plus lourde d’utilisation, il fallait choisir collectivement le seul texte qui allait être imprimé)2

Lorsqu’en 1983 nous avons introduit le minitel avec les listes de diffusion et les journaux télématiques, c’était l’extension de la vie de chaque école à celle de centaines d’enfants. Puis avec la vidéo c’était une autre forme d’expression, d’investigation et de communication dont les enfants s’emparaient. Les tableurs pouvaient être utilisés pour programmer ce qu’un calcul manuel ne pouvait pas faire ou pour s’amuser3. Avant internet, la réalisation et l’utilisation de bases de données pour la recherche documentaire... Etc. etc.4

Ce n’est pas pour cela que tout ce qui se faisait à la main était abandonné, lettres personnelles, cahiers secrets, circuits logiques dans des montages électriques (avant de le savoir, la mathématique booléenne et le principe de la programmation), expérimentations, bricolages, création artistique, musicale, manipulation de la matière, jardinage, etc. etc.

Si l’on ne veut pas être crédules et naïfs face à tout ce que le numérique et les technologies produisent, il me semble qu’il faut avoir l’occasion de les utiliser pour produire, créer soi-même, en comprendre les pouvoirs, les limites, ce qui n’est que du factice ou de la tromperie quand on l’a fait soi-même ne serait-ce que de la façon la plus sommaire.

Il est vrai que nous avions eu la chance de n’être qu’au début de pratiquement tout ce qui est devenu banal aujourd’hui, il ne suffisait pas d’un simple clic pour qu’apparaisse ce que vous cherchez, ce qu’on vous dit de faire, de penser ou de croire, sans que vous ne sachiez comment ni même qui la conçu. Il fallait en quelque sorte "rentrer dans la machine" pour pouvoir l'utiliser. C’est comme la prestidigitation : quand vous arrivez à réussir un tout petit tour, les prestidigitateurs ne sont plus des magiciens !

Alors, le numérique à l’école ? Oui s’il n’est qu’un outil utilisé parmi les autres, pas plus important et aussi banal qu’un marteau ou un crayon, utile pour certaines choses, inutile pour beaucoup de choses.

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1 Il y a eu quelques tentatives d’utilisation didactique comme par exemple les cassettes de logiciel Elmo 0 pour apprendre l’orthographe, mais très vite la frange la plus avancée a constaté l’inutilité de prendre du temps à des exercices factices aussi ludiques soient-ils au lieu de le consacrer à écrire pour soi, pour d’autres en ajustant au fur et à mesure syntaxe et orthographe pour que d’autres puissent le comprendre. Là, nous, enseignants, pouvions les aider, l’aide était même sollicitée. Cependant dans la pédagogie Freinet il y a eu tous les stades avant d’arriver à une école du 3ème type où tous les apprentissages se font de par la vie que l’école permet et suscite.

2 Voir « un autre journal scolaire, outil et reflet de la communication » thebookedition.com

3 Voir une course de haricots mobiles dans « La fabuleuse aventure de la communication » thebookedition.com

4 À noter que pour ma part il n’y avait pas de jeux sur les ordinateurs dans ma classe. Pas plus que dans les familles les enfants n’ont besoin qu’on leur achète des jeux ou ont besoin de jeux dits éducatifs. Mais que ne faisaient-ils pas avec le logo (langage informatique de Seymour Paper, plus facile que le « basic »), les vieux tableurs multiplan, les premières PAO, etc. Était-ce jouer ? Bien sûr que oui, même si ce pouvait être pour communiquer, composer, calculer, écrire… Dans tous les cas c’était créer, imaginer, essayer. On leur achète fort cher des kaplas alors que ce ne sont que de simples bouts de bois !

 

Commentaires
N
C tellement tout a fait raison ! <br /> <br /> Tellement vrai et simple<br /> <br /> Trop vrai et trop simple<br /> <br /> Société trop sophistiquée ne comprendra pas
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C
Bonjour. Très bonne réflexion avec un très bon recule temps.<br /> <br /> Informatique comme un stylo Oui ! Car si ça ne fonctionne plus l'informatique . Il faut savoir le faire sans. L'indépendance des personnes est le plus important.<br /> <br /> Je suis candidat à l'élection présidentielle de 2022 pour une France fédéral .<br /> <br /> Mon blog unefrancefederal.Canalblog.com.<br /> <br /> Votre serviteur cordialement. <br /> <br /> Faire une réponse sur les commentaires de mon blog merci beaucoup.
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