1940-2021 (8) - Se chauffer au bois
1940-1948
La coupe du bois
Dans le premier épisode je vous avais dit que pendant l'Occupation et jusque vers 1950 dans la commune de Virignin il y avait des lots attribués sur la pente de la montagne pour le bois de chauffage des habitants qui le demandaient.
C’étaient des bandes d’une dizaine de mètres chacune partant du chemin longeant le pied de la pente et grimpant jusqu’aux premiers rochers. La pente était raide, la végétation pas très luxuriante, de la broussaille et des arbres plutôt maigrelets, charmille, petits chênes pubescents, cornouillers,… ce qui arrangeait plutôt les bûcherons d’occasion qui n’avaient pas à abattre de grands arbres et pouvaient se contenter de la hache, de la serpe et d’une scie à une main. Mais il y avait aussi beaucoup de buissons de buis qu’il fallait couper, vous comprendrez plus loin pourquoi. Le poids léger que j’étais était employé à aider à couper ces buis à la serpe. L’inconvénient était que coupés à la base en oblique le plus près du sol parce que le buis est un bois dur, ils laissaient au sol un bout pointu, voir tranchant et après il fallait mieux éviter les chutes. Ce devait être pourquoi quelques mômes comme moi, un peu chèvres et plus près du sol, étions souvent employés pour ce débroussaillage.
Une fois que tout ce qui était brûlable était au sol il fallait d’abord couper les branches à la serpe, débiter les troncs et les grosses branches en environ 1,35m pour que ce soit empilable et transportable et puis faire des fagots. La mesure du volume de bois dans la région quand il était empilé était le moule : 1,35m x 1,35m (1).
J’ai appris à faire des fagots bien serrés avec le fil de fer à fagots enroulé en écheveau autour d’un bâton, en dérouler et en étendre une longueur au sol avant d’y entasser les branchages, récupérer l’extrémité du fil de fer et la fixer en la repliant et l’entortillant comme un nœud coulant sur le fil de l’écheveau et puis un pied sur le futur fagot, les deux mains cramponnées au bâton de l’écheveau, tirer comme un malade pour serrer étroitement les branches et in fine il suffisait de replier le fil de l’écheveau, de le couper avec l’indispensable pince et de l’entortiller. Et on était certain que cela n’allait plus se desserrer et le fagot s’éparpiller. C’est long à expliquer mais simple et rapide à exécuter. Beaucoup plus tard, une fois adulte assez âgé, j’ai été très fier d’expliquer aux copains voulant jouer au retour à la nature dans leurs résidences secondaires, ne se servant que des tronçonneuses et allumant leurs cheminées avec des allume-feux, comment faire des fagots !
Vous allez comprendre pourquoi il fallait faire des fagots impeccables de tout ce qui était coupé : il fallait bien redescendre jusqu’au chemin la provision de bois et plus on était haut dans la pente, plus c’était compliqué. L’opération que devait faire mon père avec les coupeurs de bois voisins, c’était de réaliser une énorme balle faite de plusieurs fagots, la plus cylindrique et lourde possible pour que d’une poussée elle puisse rouler dans la pente jusqu’en bas. Voilà pourquoi il fallait se débarrasser des buissons de buis qui l’auraient arrêtée. Lorsqu’en cours de route la balle déviait de sa trajectoire ou se défaisait, tout était à refaire. Un jour, dans une coupe voisine, au moment du lancement le pied d’un des hommes s’est coincé dans la balle et il a été entraîné et roulé jusqu’en bas. Son corps a été déchiqueté par les pointes de buis dépassant du sol et c’est un cadavre sanguinolent que mon père et ses compagnons ont dû récupérer sur le chemin. Heureusement ce jour je n’y étais pas, probablement un jour d’école.
Il était rare qu’il n’y ait pas de petites blessures et c’est là que j’ai appris que pour se désinfecter quand il n’y avait rien d’autre il fallait tout de suite pisser (uriner) sur la plaie… quand la plaie était atteignable par le jet !
Après c’était le chargement sur une charrette, le déchargement à la maison, l’entassement du bois en pile dans la cour avec les fagots au dessus pour protéger de la pluie, puis l’arrivée du scieur avec son banc de scie circulaire et le débitage en bûches de 33 cm, l’entassement des bûches à l’abri dans le hangar, la fente des plus grosses avec le merlin. Lorsque le bois enfin brûlait dans la cuisinière, je ne sais combien de fois les mains avaient touché chaque bûche avant qu’elles ne chauffent la maison. Mais la maison était chauffée et de toute façon nous ignorions qu’un jour il suffirait d’appuyer sur un bouton... et de payer les factures !
Bien sûr aujourd’hui ces coupes franches ne seraient plus tolérées à juste raison, mais c’était la guerre, les restrictions… Lorsque je suis repassé à Virignin, beaucoup plus tard, il y avait longtemps que la montagne avait pansé la plaie des quelques bandes parallèles qui y avaient été faites.
(1) la dimension de 1,35 m parce qu’ensuite au sciage en trois coupe on obtenait des bûches de 33cm environ qui convenaient pour la plupart des cuisinières à bois utilisées dans le Bugey. En Poitou c’était la corde de 1mx3m parce qu’en une coupe on obtenait des bûches de 50cm utilisées pour les cheminées plus utilisées dans un climat plus doux.