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Le blog de Bernard Collot
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20 octobre 2021

1940-2021 (14)

1940-1950

Le labour

charrue043

J’aimais accompagner mon grand-père lorsqu’il partait labourer.

Tout commençait par la pose du joug sur la tête des deux vaches qui étaient mises à contribution chaque fois qu’il y avait besoin d’elles pour tirer tombereau, char, charrue, faucheuse,… Dans toutes les petites fermes on utilisait une paire de vaches pour la traction plutôt que des bœufs ou un cheval ; ces deux vaches lorsqu’elles ne travaillaient pas continuaient à produire du lait, un veau, c’était plus économique que d’entretenir et de loger une paire de bœufs ou un cheval. Lorsque le matin elles restaient à l’étable pendant qu’on emmenait les autres au champ, elles devaient savoir que cela allait être leur journée de boulot.

Il y avait la Muguette et la Bardée. Bardée était la plus vieille ; il y en avait toujours une plus vieille que l’autre, une habituée qui allait guider et calmer les ardeurs de la plus jeune. J’ai toujours été étonné par la docilité de ces bêtes. Les bâtons que nous avions lorsque nous les emmenions au champ ne servaient qu’à nous tranquilliser, nous ! Même quand nous devions prendre une route, elles marchaient gentiment en file indienne… à droite ! Pour l’attelage j’avais l’impression que c’était la Bardée qui avait dressé la Muguette. Lorsque la Bardée atteignit sa retraite, ce fut la Muguette qui devint l’aînée à suivre.

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Le joug est une belle pièce en bois placée sur la tête derrière les cornes qui jumelle les deux bêtes et dans lequel va être fixé le timon de la charge à tirer. Sa pose est assez savante pour que les étonnantes puissances de chaque cou se conjuguent et se transmettent à chaque pas au timon qui va tirer de lourdes charges ou au soc de la charrue qui va ouvrir le sol. On s’extasie sur la conquête de l’espace, on ne cesse de chercher des engins toujours plus puissants, on ne peut plus vivre sans brûler de l’énergie, moi je m’émerveille de ce que depuis des siècles des paysans ont su allier leur ingéniosité avec la force de paisibles animaux.

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Arrivés sur place et la charrue descendue du tombereau, un crachat dans les mains et c’était parti. Je ne faisais pas grand-chose, le grand-père me demandait juste de marcher dans le sillon devant les vaches pendant qu’il tenait les manches de la charrue et j’avais l’impression que c’était moi qui les guidais ! Il est un fait que si je m’arrêtais elles s’arrêtaient. En réalité elles étaient simplement guidées à la voix par deux ou trois mots en patois du grand-père. Il y avait bien l’aiguillon, une grande tige de frêne avec une pointe émoussée en bout. L’attelage se conduisait un peu comme un char d’assaut où pour pivoter on bloque une chenille en accélérant l’autre : pour tirer un peu sur la droite, une très légère piqûre sur la fesse de la vache de gauche, elle accélérait un peu et la trajectoire se rectifiait.

Tous les trois ou quatre sillons il y avait le rituel d’une pause, « pour que les vaches se reposent » disait le grand-père, mais c’était surtout parce qu’il aimait prendre son temps et se rouler une cigarette de tabac gris. J’aimais ces pauses où assis dans l’herbe à l’ombre d’une haie on discutait de tout et de rien. J’ai toujours aimé discuter de tout et de rien, « comme ça vient » ou ne vient pas, j’y ai toujours beaucoup plus appris que dans les grands discours qui se veulent instructifs ou moralisateurs. Mon grand-père ne faisait jamais de morale, c’est probablement pour cela que j’adorais être avec lui.

Avec les volailles, les vaches étaient ce qui faisaient vivre ces petites fermes et même faisaient leur vie. Si les poules avaient leurs coqs, les vaches elles n’avaient pas leurs taureaux. Lorsqu’on en voyait dans les prés une monter sur un autre cela ne voulait pas dire qu’elles étaient homosexuelles, c’était qu’elles étaient en chaleur ! Il fallait alors les emmener dans une ferme pas trop éloignée qui possédait un taureau… en espérant que le seigneur taureau veuille bien régler l’affaire au plus vite ! Dans les petites fermes d’alors linsémination artificielle a peut-être été la première entrée de l’agriculture dite moderne. Je ne sais pas si les vaches appréciaient mais cela avait beaucoup soulagé mon grand-père qui n'avait plus à faire des aller et retour pour attendre qu'un taureau du voisinage remplisse son office. Lors de la venue de l’inséminateur nos mères n’aimaient pas trop que nous allions fourrer nos nez dans les étables mais la curiosité faisait que nous arrivions toujours à passer plus ou moins inaperçus, surtout quand il s’agissait de quelque chose que nous ne devions pas voir. C’était la même chose lors des vêlages quand ils avaient lieu dans la journée. Pour notre première découverte de la sexualité ce n’était pas forcément réjouissant et personne n’allait jusqu’à nous dire que pour nous c’était le même processus. Si c’étaient bien des « graines » que taureaux ou inséminateurs introduisaient, nous, nous étions encore déposés par des cigognes ! En somme les vaches ont été les premières (et les seules !) à me faire entrevoir comment se faisaient les bébés !

Prochain épisode : La nuit. épisodes précédents

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