1940-2021 (24) - Nationale 7
1949-1956
Première voiture.
1954. Après la machine à laver le second jour mémorable de la famille a été l’arrivée de la voiture, une 4CV.
Il avait fallu d’abord que mon père passe son permis de conduire. L’auto-école c’était dans la voiture d’un arménien. Si dans la région les italiens tenaient la plupart des entreprises de maçonnerie, les arméniens étaient réputés pour leur sens du commerce et de la débrouillardise. Le paternel n’était pas très certain de ses facultés de conducteur et celui qui s’était intitulé moniteur lui avait conseillé, par prudence, de glisser le jour de l’examen un ou deux billets dans la main de l’inspecteur… en remerciements à l'avance. Il n’y avait pas de mal à ça, lorsqu’on veut quelque chose faut bien y mettre le prix, et mon père a eu son permis. Il avait quand même dû le mériter un peu puisqu’il n’a jamais eu d’accidents. L’épreuve la plus difficile était celle du créneau : s’il y avait beaucoup moins de voitures qu’aujourd’hui, par contre il y avait peu de ces parkings qui occupent tant de place dans les villes aujourd’hui, si bien que le bord des rues était quasiment autant encombré par les bagnoles en stationnement qu'aujourd'hui, d’où l’importance du créneau. Sinon, en dehors de la priorité à droite qui ne se respectait souvent qu’à l’estimation, peu de stops, pas de ronds-points à négocier, pas d’autoroutes et de radars, des agents en képi blanc avec leurs sifflets à la place des feux rouges,… bref, il n’y avait pas besoin de plancher pendant des jours de leçons pour apprendre le code de la route.
Il y avait très peu de femmes qui conduisaient, tout au moins dans nos milieux populaires. Ma mère n’a jamais appris à conduire, soit parce qu’elle avait intégré et accepté une infériorité féminine, soit parce que mon père n’a jamais insisté pour qu’elle apprenne. Pour ses propres besoins de déplacements, très rares, elle a donc toujours été à sa merci. Cela a peut-être été la marque la plus significative et visible de la domination masculine.
Je ne sais pas pourquoi à l’époque les 4 CV étaient plus répandues que les 2 CV bien que toutes deux étaient les moins chères. Peut-être une impression de solidité et la consommation d’essence n’était pas encore un critère. Le moteur à l’arrière était une innovation : sauf chez Citroën qui avait inventé la traction avant où étaient combinés traction, direction et indépendance des roues, la propulsion était en général sur l'essieu des roues arrières, il y avait donc besoin d’un arbre de transmission entre le moteur à l’avant et l'essieu. La 4 CV en faisait l’économie. Et puis c’était la Régie Nationale des Usines Renault, un serviteur des services publics ne pouvait pas acquérir autre chose !
La 4 CV avec son moteur à l’arrière et le coffre à l’avant c’était un peu une boite à sardine ! Avec mes parents, ma sœur et moi, les bagages, la tente, il ne fallait pas être remuants et avoir de grandes jambes lorsque nous partions dans la famille et surtout en vacances. Parce que finalement sa fonction principale était la route des vacances, la fameuse nationale 7 chantée par Charles Trenet. C’est avec son arrivée que chaque année nous partions deux semaines « à la mer ». Mon père y pensait et le préparait pendant toute l’année, ne serait-ce que pour mettre des sous de côté pour le budget serré des vacances. Les postiers comme les cheminots, les enseignants ou les électriciens étaient très solidaires et leurs syndicats ou leurs œuvres sociales avaient tous organisé des camps de vacances où l’on campait et même pouvait louer un bungalow pour vraiment pas cher. Cela datait des fameux congés payés de 1936. Le seul inconvénient, mais c’était pour mon père, c’est que des postiers entre eux ne peuvent s’empêcher de parler poste !
Le voyage c’était avec l’étude des cartes Michelin, des guides Michelin, et des pneus Michelin1. Les pneus d’ailleurs ça crevait et il fallait un grand art du rangement du coffre pour qu’en toute occasion la roue de secours et le cric soient accessibles et aussi la manivelle : batterie à plat, grand froid, il fallait lancer le moteur à la main, l'avantage c'est qu'on y arrivait presque toujours à condition de savoir nettoyer les bougies quand on avait noyé le moteur. Tous les conducteurs savait grosso-modo comment fonctionnait une voiture.
Grâce aux guides Michelin mon père savait tout à l’avance et il fallait tout le long de la route regarder ce qu’il désignait, faire semblant d’écouter le nom des rivières, des sommets, des châteaux... Pendant l’année il y avait la corvée régulière de laver et de briquer la bagnole.
En 1958, avec l’arrivée de ma deuxième sœur, la 4CV a été remplacée par une dauphine. Elle était un peu plus spacieuse, avait plus d’élégance, les salaires s’étaient un peu améliorés et avec l’inflation c’était plus facile d’emprunter et de rembourser.
1Toute la ville de Clermont-Ferrand ne vivait que par Michelin. Les écoles, les logements… c’était Michelin. Même des petits paysans de la montagne proche y venaient travailler, s’occupant de la ferme après les horaires des trois-huit et les dimanches.
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