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Le blog de Bernard Collot
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19 novembre 2021

1940-2021 (25) - Dernière année à l'école primaire

1950

L’école primaire

école

Je suis allé un an en CM2 à l’école du hameau de Belmont. Depuis l’implantation de l’usine une école avait été construite dans le hameau dont la population était devenue plus importante que celle du bourg de Chavanoz. Il y avait deux bâtiments avec leurs cours de récré, l’un pour les garçons, l’autre pour les filles, chacun avec leurs instituteurs et institutrices. À Virignin comme dans la plupart des toutes petites écoles rurales il était toléré que filles et garçons soient dans la même classe ; on les appelait du doux nom d’écoles géminées. Dans les classes bien sûr les filles ne s’assoyaient pas à côté des garçons, elles occupaient le devant des rangées de chaque cours. Mais à Belmont je découvrais l’école publique encore calquée sur celle des frères de l’école chrétienne du XVIIIème siècle. Il a fallu attendre la loi Haby en 1976 pour que la mixité soit obligatoire dans toutes les écoles.

Je n’étais plus à la campagne avec des copains paysans bien que les champs ne soient pas très loin. Mon père avait dénombré une quinzaine de nationalités parmi les habitants de ce qui était encore considéré comme un village. À l’école c’étaient surtout des polonais, des italiens et des arméniens. Les communautés maghrébines étaient plutôt sur Pont-de-Chéruy ou Crémieux. Curieusement il n’y avait aucun noir dans la région. C’était seulement lorsque nous allions à Lyon que j’en voyais.

Le monde des enfants n’était plus le même, en tout cas plus le monde de simples galopins. C’était le même monde dur et impitoyable que celui des adultes. Je m’étais fait quelques copains qui assuraient ma protection : en classe j’étais le souffleur ou celui qui glissait subrepticement la solution d’un problème, parfois contre quelques billes.

billes5

Dans la cour de récré la grande occupation étaient les billes. Le foot était interdit et personne n’avait un ballon, celui de l’école était conservé dans un placard dont il ne sortait qu’en fin d’année pour la partie de foot récompense. Il y avait les billes au pot : chacun lançait sa mise, un certain nombre de billes. Celui qui avait mis le plus de billes dans le pot ou dont la bille était la plus près commençait. D’une chiquenaude de l’ongle du pouce il essayait de faire rejoindre une bille au pot, laissait la place au suivant quand il ratait. À la fin de la partie celui qui en avait le plus mis dans le trou ramassait le tout et on recommençait, enfin ceux qui avaient encore des billes. Heureusement que mes petits services en classe me permettaient de renouveler mon stock !

Le foot, c’est avec les billes que l’on y jouait : on traçait un terrain avec des buts. Le ballon était une bille en terre et c’était avec son agate (plus grosse bille en verre) que chaque joueur d’une équipe tirait sur la bille en terre pour l’amener au but ou tirait sur l’agate d’un adversaire pour l’enlever d’une bonne position. Il fallait pas mal de dextérité pour propulser son agate simplement par la détente du pouce de la main qui devait rester posée sur le sol ; il y en a qui faisaient même des carreaux. À la fin de la partie, les perdants donnaient leur agate aux gagnants. Le commerce des agates était plus prisé que celui des billes en terre.

lance-pierre

J’ai par la suite eu beaucoup d’admiration pour l’instituteur Monsieur Perron qui arrivait à garder son sang-froid en toute occasion. Nous savions tous fabriquer un lance-pierre1. Avec la chasse aux moineaux ou aux vipères, le grand jeu de beaucoup était de viser les tasses en porcelaine qui soutenaient les fils au sommet des poteaux électriques. Un jour nous vîmes débarquer les gendarmes en classe, envoyés par la mairie excédées par les dégâts provoqués. Ils venaient fouiller les poches de tout le monde pour découvrir les auteurs de ces casses répétés. Les ayant vu arriver, tous les lance-pierres avaient été rapidement enfournés dans le poêle qui était éteint. Les gendarmes n’ont rien trouvé et Monsieur Perron n’avait rien dit. Après leur passage il avait simplement allumé le poêle, sans un seul mot ! Des enseignants se demandent aujourd’hui comment ils peuvent avoir de l’autorité et être respectés. Ce Monsieur l’était.

Une autre anecdote : à l’époque les pharmaciens achetaient des vipères vivantes pour l’institut pasteur. C’étaient surtout les petits polonais qui excellaient dans cette capture. J’en accompagnais parfois quelques-uns le jeudi dans la grande décharge broussailleuse où elles pullulaient. Tout l’art consistait à les découvrir, puis à coincer leur tête dans la fourche d’une baguette, puis à la faire rentrer dans une bouteille de limonade. Je n’ai évidemment jamais osé ! Un jour l’un d’entre eux amena dans son cartable une bouteille contenant sa proie à l’école, puis à la récréation il déposa sa bouteille dans un coin et le jeu consista pour quelques-uns de casser la bouteille à coups de cailloux et créer la panique. Il fallait avoir l’âme pédagogique chevillée au corps pour rester instit dans ces écoles. Mais rien de tout cela ne faisait la une des journaux. Lorsqu’on découvre la violence aujourd’hui comme un phénomène récent de notre société, cela me fait rire.

guerre des boutons

On lit avec un certain attendrissement la « Guerre des boutons » de Pergaud. Et bien je l’ai vécue à Chavanoz bien que nous n’avions pas eu l’idée des boutons et que les joutes étaient surtout verbales. C’étaient les jeudis les jours du cathé. il fallait aller à l’église du bourg à 3 km. Il n’y avait pas de musulmans et les petits italiens, arméniens ou polonais étaient dans la même obligation que nous autres les petits français de souche. Belmont avec son usine était réputé comme rouge, Chavanoz agricole comme « curatone ». À mi-parcours il y avait un bois et régulièrement les « curatons » du bourg venaient y attendre les « rouges » du hameau. À chaque départ nous concoctions des stratégies savantes pour sortir vainqueurs de l’altercation rituelle, jusqu’au jeudi suivant. L’école du village était aussi publique que celle du hameau mais dans beaucoup d’autres villages de campagne, dont celui où plus tard j’ai été instituteur, il y avait l’école publique et l’école dite libre en fait simplement catholique. Pratiquement partout les enfants de ces villages étaient partagés en deux bandes, les laïcs et les autres, exactement comme leurs parents dans les conseils municipaux.

Je n’ai pas de souvenir de la pédagogie à l’école : elle devait être semblable à celle que tous les enfants de France subissaient depuis Jules Ferry, les nuances ne tenant qu’à la façon dont les instituteurs l’appliquaient et suivant la crainte qu’ils avaient des enfants en face d’eux. Monsieur Perron devait être un homme solide. D’autre part il ne serait venu à l’idée d’aucun parent de contester la pédagogie, de critiquer le maître et l’école. C’était le fameux « c’est dans l’ordre des choses » qui a régi des générations depuis au moins la troisième République et de son école.

Petit détail : nos parents n’ont jamais rien su de tout ce que je vous raconte ! Prudemment nous ne racontions pas ce qui se passait à l’école ou dans le village. D’ailleurs la grande règle éducative se résumait à cela : « Tu as reçu une claque à l’école ? Ben t’en auras deux à la maison ! »

Prochain épisode : le cours complémentaire. épisodes précédents

1NB : le lance-pierre est aujourd’hui, à juste titre et suivant sa puissance considéré comme une arme de catégorie D-2-H ou C-4 (soumise à déclaration)

La photo de couverture a été empruntée à l'excellent blog "entre-sel-et-mer" sur "eklablog", deux autres des films qui ont repris "la guerre des boutons" de Louis Pergaud et une de l'incontournable Robert Doisneau

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