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Le blog de Bernard Collot
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2 décembre 2021

1940-2021 (30) 1956, entrée à l'école normale d'instituteurs

 

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1956-1960 – Nouveau changement de décor

L’école normale d’instituteurs et la découverte d’une grande ville.

À 14 ans les choix de vie des enfants du petit peuple étaient simples : soit nous allions travailler chez les parents pour les fils de commerçants, d’artisans, ou de paysans, soit nous allions en apprentissage à l’usine, soit nous pouvions tenter de passer le concours de l’école normale d’instituteurs. Ce dernier choix avait l’avantage de nous faire quitter la maison, de ne plus rien coûter à nos parents l’Éducation nationale devenant notre mère, de toute façon le lycée à Lyon n’était pas dans les moyens des familles n’y habitant pas. Et puis nos parents avaient l’impression que nous allions grimper dans l’échelle sociale. Instituteurs nous ne serons pas beaucoup mieux payés que nos copains ouvriers, mais nous aurons beaucoup moins de fatigue physique et des vacances ! Pensez donc, près trois mois de grandes vacances, les semaines de Pâques et de Noël, les jeudis, pendant que nos copains devaient se contenter de leurs très récentes trois semaines de congés payés.

On aime bien parler de vocation, je ne sais pas si beaucoup de mes coreligionnaires de L’École normale avaient la vocation, en tout cas pas moi. L’inconvénient était que nous n’avions pas d’argent comme commençaient à en avoir nos copains à l’usine et qui arrivaient à s’acheter une mob ou une moto. Je devais me contenter de la somme mensuelle que me donnait mon père pour payer le car chaque semaine pour rentrer à la maison mais j’arrivais à gratter un peu grâce aux « colles », fréquentes le dimanche pour des insubordinations ou des zéros, qui me faisaient économiser le billet de car. Cependant l’Education nationale versait chaque mois une petite somme à L’École normale qui la conservait et nous versait un « pécule » la dernière année. Cela avait permis mon premier achat d’un scooter d’occasion, un Lambretta. Nos annuités pour la retraite étaient calculées à partir de nos 18 ans, d’où la retraite possible à 55 ans.

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Je découvris donc l’internat, la Croix-Rousse et la ville lyonnaise.

L’école normale d’instituteurs était un grand bâtiment avec cour d’honneur, donnant sur la place du Clos-Jouve célèbre parce qu’y venaient s’entraîner les grands champions de la boule lyonnaise. La Croix-Rousse était encore comme un village sur sa colline, avec son « Gros caillou » vestige du glacier du Rhône, ses traboules qui descendaient vers la ville et où on entendait le cliquetis des machines à tisser des derniers canuts, ses bistrots et ses terrasses le long de son boulevard ombragée… et la « Ficelle » le funiculaire qui nous évitait de remonter les traboules à partir de la place des Terreaux… quand nous avions quelques pièces pour payer le billet. Les trolleybus avaient remplacé les tramways et leurs rails de mon enfance, on arrivait quand même parfois à passer devant la cage du contrôleur à l’arrière sans payer.

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Suivant les copains de chacun, nous avions un bistrot préféré ou nous allions après les cours et avant l’heure où il fallait rentrer à l’internat. Pour quelques-uns et moi c’était « Chez Léon ». Léon était un peu notre confident, il nous appelait par nos prénoms et nous remontait le moral avec quelques sentences rigolardes quand nous allions un peu mal. Les dernières années où je m’étais quelque peu dévergondé, les matins où nous avions la tête dans un sac pour avoir fait quelques excès la veille il nous servait son « rince-cochon », un blanc sec avec du citron et de l’eau gazeuse. Je me garderai bien de le conseiller à qui que ce soit ! Nous n’allions pas dans les fameux bouchons lyonnais et leur Beaujolpif cher à Fréféric Dard et son Bérurier : trop chers pour nous.

Pour nous tous qui venions de la campagne, les jeudis c’était une découverte, une exploration sans fin. Il faut dire que ce que nous voyions de la ville n’était que ce qui avait de plus plaisant. Nous ne voyions pas du tout ce qu’était la vie dans les banlieues de l’est ou du sud. Lorsque nous déambulions de la place des Terreaux à la place Bellecour par la « rue de la Ré » (rue de la République), c’étaient les vitrines de luxe, les cinémas avec plusieurs salles, les terrasses avec des garçons de café en costume, le grand hall du Progrès (le journal régional) pratique pour se donner des rendez-vous… Pour le cinéma nous allions plutôt dans une petite salle d’art et d’essai dans une petite rue : le billet y était beaucoup moins cher ! J’y avais découvert « Le 7ème sceau » de Bergman en croyant qu’il s’agissait d’un 7ème saut de parachutiste ! Comme quoi l’entrée dans la culture peut être le fruit du hasard ou de l’inculture !

place-bellecvour

Et l’immense place Bellecour. Je mettais toujours un temps infini à la traverser, il y avait toujours quelque chose qui m’arrêtait en particulier les bateleurs, camelots, cracheurs de feu, jongleurs, musiciens, artistes de toute sorte : Lyon était un peu le carrefour des routes parcourues par ces itinérants vivant « au chapeau » suivant la générosité de leurs spectateurs. Un de ces côtés ombragé était celui des petites boutiques des fleuristes avec plein d’odeurs, des bancs pour les amoureux. La place était aussi le lieu des mères de familles qui y emmenaient leurs mômes avec les poussettes ou les landaus. Elle était un vrai lieu de vie.

Perrache leprogres

En poursuivant nous arrivions à la place tout en longueur devant la gare de Perrache. Elle était encore ombragée et n’avait pas encore été entièrement engloutie par les aménagements routiers. Elle était bordée par les brasseries et leurs terrasses, en particulier l’immense brasserie Georges où l’on pouvait s’offrir un sandwich et une bière pas trop chers. Et surtout, pendant trois mois elle était occupée par la vogue (fête foraine). Les petits campagnards que nous étions nous régalions d’être dans la foule éclectique avec les odeurs des barbes à papa et c’est là que les plus dégourdis tentaient de « draguer » une fille dans les autos tamponneuses ou d’emmener une copine dans la chenille. Il est vrai que dans la nuit la vogue devenait le lieu des « blousons noirs » mais nous y étions peu puisqu’il fallait rentrer avant la fermeture des portes de l’école normale.

pont de la boucle numelyo

On pouvait flâner sur les quais du Rhône qui n’avaient pas encore été totalement bétonnés et avaient encore leurs rangées d’arbres sous lesquels s’alignaient les bouquinistes. Sur ceux de la Saône c’était le marché où les vendeurs interpellaient les clients avec un bagout teinté de multiples accents du sud, du Maghreb ou du Moyen Orient. Le vieux pont de La Boucle avec ses trois arches en ferraille qui donnait sur le renommé Parc de la Tête d’Or avec ses allées, son lac, sa roseraie célèbre, ses bancs propices aux mères de famille pour surveiller leur marmaille, aux vieux et aux amoureux.

Et puis, parallèle à la rue de la Ré il y avait la ruelle de la rue Mercière, la rue des prostituées. Là nous n’y allions jamais seuls, c’était juste pour oser respirer l’interlope, ricaner bêtement et se faire croire que nous étions devenus grands.

Enfin il y avait la fête des lumières du 8 décembre où les portes de l’internat restaient ouvertes jusqu’à minuit. Étonnante fête religieuse devenant une immense fête de la consommation mettant une nuit tout Lyon dans les rues et devant les vitrines rivalisant de lumières électriques et de décorations, Noël approchant.

Pour résumer je n’ai vu dans ces années de « normalien » que ce qui faisait qu’une ville pouvait être attirante et attirait. Nous n’étions que des papillons.

Prochain épisode : l’internat épisodes précédents

Commentaires
P
Un bel article
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