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Le blog de Bernard Collot
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7 décembre 2021

1940-2021 (32) -1955-1959 L'enseignement à l'Ecole normale

Les années d’École normale - Les cours, les profs, le mauvais élève

école normale Daumier

Je n’ai pas retrouvé comment étaient formés et recrutés les profs d’EN, mais ils se comportaient pratiquement comme les instituteurs ayant à face d’eux des enfants. À l’École normale nous étions dans un vase clos, je suppose que c’était cela la formation qui devait faire de nous les instituteurs de la République. Il aurait été impensable qu’il puisse y avoir des échecs au bac. En fait d’apprentissage de la pédagogie puisque cela allait être notre métier, nous n’avions pendant les trois premières années que le modèle qu’ils nous donnaient à subir.

Mon premier cours avec le prof de français avait d’emblée mis fin à mes envies littéraires. C’était un prof particulièrement imbu de lui-même qui trônait toujours sur son estrade pour bien marquer sa supériorité. On l’appelait le Gnaque à cause de ses ricanements nasillards. Il n’était pas très éloigné de la caricature de Daumier ! Le premier devoir à exécuter avait été un commentaire de texte. J’aimais beaucoup cet exercice la dernière année de CC et je m’étais particulièrement arraché pour commenter un poème de Baudelaire. Chaque fois il y avait la cérémonie du retour des notes et les commentaires plus ou moins détaillés du prof ce qui est un peu… pédagogique. J’attendais avec impatience ce qu’il avait pensé de ma production. La cérémonie commençait par la plus mauvaise note… et cela avait été la mienne avec ce commentaire laconique accompagné du ricanement : « 3 ! Collot ne comprendra jamais rien à Baudelaire ! » La claque ! Du coup, et j’avoue que ce n’était pas malin, je n’ai plus jamais fait une dissertation avec lui : la veille de rendre les copies je demandais à quelques bons copains de me prêter les leurs, parfois contre quelques cigarettes, je recopiais et ajustais quelques passages des unes et des autres en modifiant une ou deux phrases et en une heure j’avais noirci suffisamment ma feuille ; j’avais compris qu’il fallait l’émailler par ci par là de citations du cours prouvant qu’il avait été écouté. Le Gnaque ne s’en est jamais aperçu et mes notes tournaient entre un 5 et un 8, j’ai même réussi une fois l’exploit d’avoir la moyenne et mieux qu’un de mes prêteurs de copie… qui du coup n’a plus renouvelé ses prêts. J’étais devenu un maître du copié-collé ce qui demande quand même certaines compétences à acquérir !

prof

L’autre prof important était le prof de math. On l’appelait le Gadin, en réalité il s’appelait Mr Gravier. Au CC j’aimais beaucoup l’algèbre, résoudre des équations, là aussi j’attendais le premiers cours. Le Gadin n’était pas méchant mais il débitait ses cours à toute allure noircissant le tableau de formules. Je suis un lent ou j’aime bien la lenteur mais c’est pareil. À un moment de cette première séance je levai donc innocemment la main en lui disant que je n’avais pas compris quelque chose. « Tu n’auras qu’à relire le cours à l’étude ! »… Les fonctions, les sinus et cosinus sont devenus définitivement de l’hébreu pour moi, je me suis arrêté aux équations du second degré. Très curieusement, devenu ensuite enseignant, j’ai beaucoup aimé et même réussi à faire rentrer les enfants dans le monde des mathématiques. Comme quoi rien de mieux qu’un maître ne sachant pas nager pour aider les enfants à nager : il sait mieux que les autres ce qui l’empêche ! Dans ce sens, je dirais que paradoxalement l’EN m’a appris mon métier dans ce que je ne devais pas faire !

Il y avait le prof d‘histoire-géo. Lui on l’appelait le Bœuf parce que son langage n’était pas toujours très châtié. Il était un peu chahuté parce qu’il était bon enfant, comme quoi nous n’avions pas du tout grandi. J’aimais bien sa vision de l’histoire et de la géo qu’il situait toujours dans des contextes. Je n’ai jamais pu (ou voulu !) retenir de dates, de chiffres, de noms de lieux, mais je m’en tirais pas mal grâce à la restitution des contextes et parce que le Bœuf voulait surtout nous inculquer à chercher le signifiant de faits et d’événements et pas leur mémorisation mécanique.

Et puis il y a eu trois profs qui ont éclairé l’ambiance morose de mes études normaliennes. Le prof d’italien. Nous étions cinq ou six à avoir eu l’italien comme première langue aux CC. En fait d’italien, il nous faisait surtout lire à haute voix des passages de « l’Enfer » de la Divine Comédie de Dante. Nous ne comprenions pas tous les mots de Dante mais découvrions la puissance de la sonorité d’une langue quand un de ses plus grands poètes décrit l’enfer. J’aurais bien aimé pouvoir lire Don Quichotte de Cervantès en espagnol. Et ensuite, immanquablement, ses cours devenaient des discussions sur le cinéma des néoréalistes italiens, de la nouvelle vague ou des géants comme Sergueï Eisenstein avec son « cuirassé de Potemkine » et il nous filait des billets à tarif réduit pour aller les voir dans le cinéma d'arts et d'essais. Il nous faisait aussi écouter des musiques et chants du folklore du monde entier en nous en expliquant l'histoire, le sens. Et puis, horreur, il nous engageait dans des discussions politiques sur l’actualité et c’était la première fois que j’entendais quelqu’un me parler de politique. Cinéma, musique, monde, grands faits politiques, c’était évidemment absent de la formation des futurs enseignants, l’école, temple laïc, ne devant pas se confronter au monde réel.

Le prof de psychologie au cours de la dernière année. Un très grand Monsieur qui a été ensuite en concurrence avec Meirieu pour diriger le département des sciences de l’éducation de l’université de Lyon. Lui aussi nous considérait enfin comme des adultes et nous faisait devenir un peu plus adulte. Avec le prof d’italien ils étaient les seuls à nous défendre dans les conseils de discipline. Beaucoup plus tard, en 1993, il m’avait fait l’honneur de venir intervenir dans un colloque que j’avais organisé pour défendre les classes uniques et les petites écoles.

Enfin le prof de gym. Il faut dire que je n’étais pas trop mauvais et que j’aimais ça… sauf que mes efforts s’arrêtaient quand cela devenait pénible. Lorsqu’il nous faisait faire des tours de la piste qui entourait le très grand jardin, avec Coyotte nous nous arrêtions au premier bouquet d’arbres, attendions le dernier tour pour nous joindre à la queue de peloton. Il n’en était pas dupe et nous charriait. Encore un hasard : il est devenu directeur départemental de la Jeunesse et des Sports quand elle a été détachée pendant quelques années de l’Éducation nationale et lorsque je suis devenu instituteur c’est lui qui m’a obtenu l’autorisation d’organiser les premières rencontres USEP autogérées par les enfants pendant le temps scolaire au lieu que ce soit le jeudi, puis il m’a fait participer avec l'équipe de la jeuness et des sports à l’élaboration de la première expérience d’apprentissage massif de la natation directement en grand bassin pour toute les écoles du département.

Je peux finir avec la lectrice d’anglais. Comme l’anglais était supposé être notre deuxième langue et pour nous ne devait pas être au bac, nous n’avions pas de prof. Nous ne faisions pas beaucoup d’anglais pendant la petite heure que nous avions avec elle que nous attendions parce qu’elle était jeune et charmante. Nous parlions surtout de la vie, des spectacles, des concerts, de musique.

La quatrième année était supposée celle de notre formation et se terminer par le CFEN (certificat de fin d’études normales). Il y avait bien un professeur de psycho-pédagogie mais en fait de pédagogie nous n’avons jamais entendu parler des grands courants de pédagogie ni des grands pédagogues comme Dewey, Makarenko, Montessori, Rogers, Freinet… ni même de Piaget. Les cours c’étaient surtout l’étude des programmes. Pour le métier il n’y avait que les leçons modèles données par des « maîtres d’application » auxquelles il fallait assister dans « les écoles d’application ». Assis sagement au fond d’une classe comme des spectateurs, nous avions la prestation d’une leçon magistralement bien préparée à l’avance pour l’occasion avec des enfants qui avaient aussi été bien entraînés à réagir sagement comme il fallait. Je ne sais pas si les enfants avaient une gratification comme le salaire augmenté de leurs maîtres sélectionnés.

L’examen final du CFEN permettait suivant le classement obtenu à être en bonne place pour obtenir un poste qui avait plusieurs candidats pour y être nommés. Vous devez vous douter que j’ai été le dernier ou l’avant-dernier, le Coyotte et moi étions en concurrence pour la lanterne rouge !

Alors que les lycéens et les étudiants commençaient à se déscolariser dans leurs comportements, entre eux ou avec les profs, à l’école normale c’était l’inverse, nous étions hyper-scolarisés.

Si je peux résumer, j’ai vraiment été un normalien très mauvais élève et très paresseux. Cependant, avec du recul, sans que je l’ai su, l’école normale m’a beaucoup appris devenu instituteur, mais a contrario et pas dans le sens où elle l’entendait !

Prochain épisode : le bac - épisodes précédents ou index de 1940-2021

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