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Le blog de Bernard Collot
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4 janvier 2022

1940-2021 (38) - 1963 changement de décor

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Septembre 1963 - Installation dans le Beaujolais

Retour des 24 mois de service militaire. J’étais marié depuis 1960, deux enfants en bas âge et mon épouse d’alors était aussi institutrice. Besoin d’avoir un logement de fonction, en milieu rural toutes les écoles en disposaient. L’école à deux classes de Lantignié en Beaujolais disposait d’un vaste logement dans l’étage, six pièces, salon, cabinet de toilettes avec WC et douche, et surtout il y avait le chauffage central ! Tout le bâtiment était chauffé avec une énorme chaudière dans la cave. Je n’avais qu’à veiller à ce que la cuve ne soit pas vide et le signaler à la mairie, la mettre en marche ou l’arrêter suivant les saisons… et nous ne payions pas le chauffage ! Une belle vue sur les vignes et sur les monts du Beaujolais.

 

 

 

lantignié

L’attribution des postes dans le mouvement des instituteurs dépendait des notes et de l’ancienneté de l’enseignant postulant. Je ne pouvais évidemment pas être bien placé dans une liste d’éventuels candidats au poste. À ma surprise et mon grand ravissement j’y ai été nommé directeur ! Je n’ai compris qu’après pourquoi personne de mieux placé ne l’avait demandé : d’une part dans le même village de 500 habitants il y avait la concurrence à couteaux tirés d’une école privée catholique, l’inspecteur disait que Lantignié faisait partie, avec deux villages voisins, du triangle de fer de la Vendée beaujolaise. D’autre part la première classe accueillait les enfants de deux à six ans (sans les ATSEM d’aujourd’hui !), la seconde, la mienne, les enfants de sept à quatorze ans, avec une moyenne d’une trentaine d’enfants. C’était ce qui faisait fuir tous les enseignants à l’époque. A contrario cette situation a été pour moi le début d’une passionnante aventure pédagogique mais ce n’est pas l’objet de cette série de billets.

Normalement un instituteur est payé pour faire l’école, point barre. Mais à l’époque, quand nous débarquions dans une école rurale, nous prenions avec l’école tout ce qui plus ou moins parallèlement allait avec, sans nous poser de question pour savoir si cela faisait partie de notre traitement de fonctionnaires.

- La cantine. Après la guerre beaucoup d’écoles avaient une cantine, d’une part dans le souci que tous les enfants des familles d’ouvriers agricoles aient au moins un repas par jour, d’autre part parce que l’habitat était très dispersé et les enfants des hameaux éloignés ne pouvaient rentrer chez eux le temps de midi. Nous devions donc la surveiller, la gérer, l’approvisionner, tenir les comptes. Je raconterai dans un autre épisode l’histoire de sa transformation.

- L’association du « Sou des écoles ». Nous en étions automatiquement les secrétaires. Comme son nom l’indique sa fonction était d’apporter des sous à l’école pour compléter les maigres moyens attribués par les mairies. C’était le Sou des écoles qui était officiellement le gérant de la cantine. Il organisait les concours de belote et la fête de fin d’année destinée elle aussi surtout à remplir les caisses. Bien sûr c’était l’instituteur la cheville ouvrière de tout cela. Il y a eu un certain intérêt pour moi : comme il n’existait pas d’association de parents d’élèves, j’ai pu introduire dans nos réunions du Sou des écoles des discussions avec les parents sur les pratiques pédagogiques quelque peu inusitées dans lesquelles je m’étais engagé.

- Les équipes de basket. Le basket était le sport roi du Beaujolais pour une simple raison : sur les pentes du vignoble, rares étaient les espaces pour des terrains de foot. Pratiquement tous les villages avaient leurs équipes scolaires et adultes, des instituteurs commençant avec leurs élèves puis continuant avec les cadets, les juniors, les seniors. Entraînements, transports, arbitrages, organisation de tournois… Les jeudis matins et les dimanches étaient bien pris. Nous avons donc créé une équipe en installant d’abord un seul panneau sur la place de l’église, puis deux panneaux dans la cour de récré, enfin un vrai terrain communal sur lequel nous pouvions recevoir d’autres équipes ou organiser nos tournois. Au fur et à mesure j’ai été accompagné puis relayé par des parents et des anciens élèves, mais il y avait encore les réunions pour l’organisation des championnats avec l’UFOLEP (Union Française des Œuvres Laïques d’Education Physiques). Beaucoup plus tard je suis repassé dans le village : Lantignié, 500 habitants, avait une vraie salle des sports.

- L’USEP (Union Sportive de l’Enseignement Primaire). Encore une création d’après-guerre dans la foulée du plan Langevin-Vallon. C’était une autre conception du sport qui n’était plus basée sur la compétition à outrance. C’étaient des rencontres de plusieurs écoles ayant lieu le jeudi. Les épreuves étaient très variées et ludiques. Au bout de deux ou trois ans j’avais obtenu du directeur départemental de la Jeunesse et des Sports qui était mon ancien prof de gym de l’École normale (voir un épisode du tome 2) l’autorisation d’organiser pour la première fois ces rencontres, cette fois autogérées par les enfants eux-mêmes, pendant le temps scolaire du samedi après-midi. Cela avait été un soulagement pour les collègues et moi dont les jeudis étaient pris par bien trop d’occupations. C’étaient les pères de famille qui avaient une voiture qui assuraient le transport et même restaient pendant la rencontre pour donner un coup de main aux enfants devenus organisateurs, arbitres et joueurs.

- Les œuvres laïques. Il y avait encore la lutte féroce entre l’enseignement privé et l’école dite libre. Il était difficile de ne pas être plus ou moins militants, et les instits de l’école publique nous ne pouvions pas ne pas l’être un peu. Il y avait donc la Fédération des œuvres laïques (FOL) et la Ligue de l’Enseignement avec toutes leurs déclinaisons :

- L’UFOLEIS ( l’Union Française des Œuvres Laïques d’Education par l’Image et le Son). Très peu de familles pouvaient aller au cinéma (avoir une voiture pour aller à Villefranche ou à Mâcon). Il nous semblait important de faire rentrer le cinéma dans les vies villageoises. Nous avions donc créé un ciné-club. J’allais ainsi chercher plusieurs fois dans l’année les bobines d’un film et le projecteur prêtés par l’UFOLEIS de Lyon. C’était un projecteur à bain d’huile, il ne fallait donc pas le secouer pendant le transport sinon des gouttelettes sur la lentille ou dans les rouages et la séance était compromise. Puis installation dans le cuvage désaffecté qui servait de salle des fêtes. Un peu de stress pour caler la bande dans le circuit des roues crantées du projecteur en y laissant des boucles, ne pas se tromper dans l’ordre des bobines, préparer le scotch en cas de casse… Pendant les changements de bobines il y avait la buvette ! Il fallait bien continuer de faire des sous. Le lendemain j’apportais bobines et projecteurs à un autre collègue pour sa propre séance et c’était lui qui rapportait le tout à Lyon (60 km).

- L’amicale laïque. Les jeunes n’avaient pas grand-chose à faire dans nos villages. Il y avait donc les amicales laïques. C’étaient encore nous aux manettes. Essais de théâtre, bibliothèque, photo-club, cinéma…

- L’UCOL (Union cantonale des œuvres laïques). Chaque année l’UCOL organisait une grande fête cantonale des écoles publique du canton, dans un village à tour de rôle. Encore des réunions nocturnes et pas mal de boulot quand la fête tombait chez nous.

Je peux rajouter à tout cela les rencontres entre les instits militants des pédagogies actives ou Freinet. En ces années nous étions plus nombreux qu’aujourd’hui surtout en milieu rural. Nous nous retrouvions des jeudis dans la classe de l’un d’entre nous dont les élèves volontaires revenaient le matin, le collègue faisait classe, nous regardions, questionnions et nous en discutions l’après-midi.

En plus, certains étaient encore secrétaire de mairie.

En me relisant je me demande comment nous pouvions bien trouver des moments rien qu’à nous. Évidemment tout le monde ne s’investissait pas à fond dans tout cela, dans les écoles à plusieurs classes les investissements étaient partagés. Mais c’était une autre vision du métier d’instituteur, les espoirs nés du Conseil National de la Résistance pas si lointain que cela se faisaient encore ressentir. Toues ces années 60 ont été très riches d’essais, d’engagements, mai 68 n’est pas apparu comme une génération spontanée.

Tout cela avait deux conséquences bénéfiques : nous étions profondément ancrés dans l’environnement social et économique, nous avions une vraie connaissance des enfants, des parents, de tous les problèmes comme de toutes les aspirations du milieu où nous vivions, où vivaient les enfants. La plupart des collègues de la région étaient logés à la même enseigne, qu’ils soient très traditionnels ou plus ou moins modernes. Nous avions beaucoup de choses en commun et d’occasions hors l’école à devoir travailler bénévolement ensemble. Si bien qu’il n’y avait pas les fréquentes inimitiés que l’on retrouve souvent ailleurs quand les méthodes des uns heurtent les autres.

À cette époque les instituteurs contribuaient beaucoup à la vie culturelle et sportive, voire solidaire, des régions où ils exerçaient. Ce n’étaient plus forcément les « hussards noirs de la République » mais peut-être les aiguillons d’une démocratie locale.

Pour moi qui n’avais aucune vocation à devenir instituteur, c’est avec un certain délice que je m’étais plongé dans ce bouillonnement.

Lantignié-basket

1975, là où était le terrain de basket lorsque je suis parti.

 

Lantigniéx4-salle de sport (2)

D’un panneau de basket sur la place de l’église (1963) à un complexe sportif (2021) !

 à suivre : Lantignié et le Beaujolais. épisodes précédents ou index de 1940-2021

 

 

 

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