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Le blog de Bernard Collot
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13 janvier 2022

1940-2021 (42) - 1963-1975 Le temps des vendanges

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Vendanges en Beaujolais

 Je ne pouvais me dispenser de narrer cette période, d’abord parce que je la vivais aussi intensément, ensuite par rapport aux vendanges d’aujourd’hui paradoxalement plus difficiles pour de multiples raisons dont dernièrement celle un peu incompréhensible du recrutement des vendangeurs.

En pays viticole la période des vendanges est évidemment l’événement de l’année. En Beaujolais et à cette époque les vendanges étaient bien particulières.

Du fait du morcellement des parcelles, de la petite taille des exploitations, de la nécessité de la fermentation du vin rouge nécessitant d'arrêter la vendange lorsque les cuves de fermentation étaient pleines, d'attendre qu'elles soient vide pour reprendre la récole, les vendanges nécessitaient beaucoup de vendangeurs et duraient environ trois semaines. Plusieurs exploitations se regroupaient donc pour recruter une troupe de vendangeurs (dans le Languedoc on les appelait des colles) qui passait d’une exploitation à une autre puis y revenait. Du coup la durée de ce travail temporaire était intéressante.

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C’était la diversité du recrutement qui transformait l’ambiance qui régnait dans les vignes et dans les villages. Il y avait bien sûr la famille et quelques habitants. Cela ne suffisait évidemment pas. Il y avait les ouvriers des villes qui venaient passer leurs vacances à vendanger : le dépaysement qui fait les vraies vacances en même temps qu’au lieu de leur coûter elles leur rapportaient un peu. Des liens d’amitiés se créaient parfois entre familles venant vendanger et familles les employant.

Il y avait les bohémiens : ils étaient prisés par les vignerons. D’une part il n’y avait pas à les héberger, d’autre part c’étaient des travailleurs inépuisables. Il suffisait de négocier avec le chef d’une tribu, ensuite c’est lui qui faisait travailler toute la tribu, femmes et enfants compris. Du coup, il avait été créé à Belleville sur Saône une grande aire de stationnement pour les gens du voyage, le camping de Beaujeu n’y suffisant pas.

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Et surtout il y avait les étudiants du monde entier. La rentrée des universités n’avait lieu que fin octobre ou début novembre. Pour eux ce temps d’attente était bien pratique pour amasser un peu de quoi payer ensuite études, resto-U, logement. Ils transformaient l’ambiance, on entendait parler toutes les langues,… Un étudiant parisien (enfin il se prétendait étudiant) en avait fait un bizness : il avait organisé je ne sais plus dans quelle faculté un bureau de recrutement. Contre une somme plus ou moins modique, il recevait les candidatures, traitait leur répartition avec les vignerons, organisait le déplacement jusqu’à la gare de Villefranche, louait les cars qui ensuite les emmenaient dans les villages. Jusqu’au jour où tous ces étudiants ce sont bien retrouvés à la gare… sans personne ni bus les attendant comme prévu : notre étudiant attardé s’était tiré avec la caisse !

Tout ce monde venant d’ailleurs était nourri et en grande partie logé chez les vignerons. Bien sûr à cette époque personne n’était regardant sur les conditions d’hébergement ; pourvu qu’il y ait un matelas, un WC quelque part, de quoi se laver la frimousse et toute cette jeunesse était contente. Aujourd’hui c’est terminé : il faudrait que chaque viticulteur organise un hébergement suivant les mêmes lois qui régissent les hôtels !

Les repas de vendangeurs, préparés par les maîtresses de maison et ses filles, c’était quelque chose !

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 L’apparition des congélateurs avait été la bienvenue pour, en vue des vendanges, conserver les légumes du jardin, le ou les cochons dépecés un ou deux mois avant (voir dans le premier volume « la mort du cochon). Et puis les vignerons savaient bien qu’au bout du troisième jour tous ces jeunes qui au début faisaient les malins allaient avoir le dos en compote et finir par vendanger à quatre patte… ou renoncer. Certains vignerons interrompaient donc la récole l’après-midi du fatidique troisième jour avec un repas de midi bien arrosé. Et ensuite les dos allaient bien mieux et la troupe restait au complet ! Le dernier jour de vendanges dans chaque exploitation, c’était la « revolle », c’est-à-dire la fête avant que tout le monde se sépare et rejoigne la vie ordinaire.

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Une autre habitude était la pose de dix heures. Le patron apportait un grand drap qu’il étalait au bas des rangs et sur lequel était disposés pain, fromages, saucissons, jambon. Tout le monde s’arrêtait pour un casse-croûte avec beaujolais ou jus de fruits.

En Beaujolais les vendangeurs étaient bien traités, enfin chez les vignerons que je connaissais et où j’allais. Mais en contrepartie ils ne rechignaient pas à prolonger des journées quand le temps menaçait ou qu’il fallait finir une parcelle avant la nuit, contrairement au Languedoc où pas de repas, pas de pause, nécessité de suivre le rythme de la Moussegne (une vieille la plus habituée de l’exploitation) mais où les huit heures pile terminées, chacun posait son seau vide ou plein dans le rang et s’en allait. J’avais fait une fois les vendanges là-bas et j’avais compris pourquoi le Beaujolais était si prisé.

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Dans la vigne ce n’était pas à la hotte que les grappes passaient des seaux à la benne : dans chaque rang deux porteurs posaient une benne en bois, comprenant deux anses en bois ou en fil de fer dans lesquelles on passait une grande barre de bois. Les vendangeurs y vidaient leurs seaux, quand elle était pleine les deux porteurs (ou jarlots) chargeaient la barre sur l’épaule et descendaient disposer le bennot sur le char. Dans les pentes des coteaux ce n’était pas la tâche la moins pénible.

Il n’y avait pas encore les pressoirs horizontaux, c’étaient les mêmes qu’autrefois mais un moteur avec un manomètre remplaçait la barre qu’il fallait pousser au fur et à mesure que la pression diminuait, il y avait moins besoin que des préposés se relaient toute la nuit pour que tout le jus soit extirpé. Il y avait une espèce de magie la nuit avec les cliquetis des pressoirs, les éclats de rire des jeunes dans les granges, les hululements des chouettes, l’odeur de la fermentation.

À la fin des vendanges c’était comme un étrange calme qui retombait sur le village, mais la taille remettait du monde dans les vignes et les préparations de la fête des classes ne tardaient pas à remettre de l’animation dans les villages.

J’ai beaucoup aimé cette vie beaujolaise qui gardait toujours un côté plus ou moins joyeux malgré les déboires et les craintes engendrés par l’agriculture qui dépend d’abord des caprices de la nature. Je crains qu’elle ait beaucoup disparue aussi bien de par le machinisme qui a fait diminuer le nombre d’humains nécessaires que par les nombreuses contraintes qui sont apparues sans rien à voir avec ce qui fait l’apparition d’un bon vin dans une tassée ou un verre ballon.

Prochain épisode : 1963, l'entrée dans la vie quotidienne de la classe moyenne. épisodes précédents ou index de 1940-2021

Certaines photos ne sont pas du Beaujolais mais du Sancerrois… toutefois c’est moi qui les ai prises beaucoup plus récemment chez un ami vigneron… qui l’avait été plus jeune dans le Beaujolais et qui avait tranféré  en sancerrois des habitudes beaujolaises, dont l'accueil des vendangeurs qui existait cependant en partie dans le sancerrois d'autrefois !  

Sauf la tassée ! elle ne convient pas pour déguster du blanc, chaque vin a aussi son contenant pour l'apprécier !

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