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Le blog de Bernard Collot
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24 janvier 2022

1940-2021 (46) - Le temps de la chanson de Pierre Perret.

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1963-1972   Les jolies colonies de vacances

 Leur origine date de la fin du XIXème siècle. Leur objectif initial était bien sanitaire : arracher les enfants pauvres et en mauvaise santé à leur milieu urbain, pour les envoyer le temps de quelques semaines estivales chez des paysans, au grand air pur de la campagne, de la montagne ou de la mer. Mais très vite s’y est ajouté la concurrence entre l’Église et la République. Contrebalancer l’influence de l’école laïque pour les catholiques, pour les laïcs prolonger l’école et tenir les élèves éloignés des églises. D’où les colonies de vacances qu’elles soient catholiques ou laïques.

L’âge d’or des « colos » se situe après la seconde guerre mondiale jusque dans les années 1970-80, ce qui concerne la période faisant le thème de cet épisode. Il y avait eu une aide considérable de l’État pour aider les municipalités, les comités d’entreprises, les associations à faire partir les enfants du baby boum de l’après guerre en vacances hors des grandes villes. La population enfantine y était socialement très variée, même les familles aisées y envoyaient leurs mômes pendant qu’elles étaient encore au travail.

La direction des colonies de vacances laïques était assurée en majorité par des enseignants dont je faisais partie. D’ailleurs un stage chez les CEMÉA était inclus dans la dernière année à l’école normale d’instituteurs. Il n’y avait pas que du militantisme : avec des salaires pas très élevés les colonies nous permettait de passer un ou deux mois à la montagne ou à la mer en y emmenant nos propres enfants et même si à l’époque nous n’étions pas payés mais simplement indemnisés, soit nous faisions des économies, soit cela permettait de passer le mois suivant en vraies vacances.

J’ai donc assuré ma première direction de colonie en 1963, c’était celle de la ville de Caluire et Cuire. De 1963 à 1972 j’ai dirigé une quinzaine de séjours soit de la ville de Caluire, soit de l’UFOVAL de l’Ain.

L’épisode n’aurait pas grand intérêt si cette période dans laquelle j’étais n’avait pas reflété les soubresauts d’une société dont une partie voulait briser un carcan pendant qu’une autre résistait. Deux problèmes prenaient la tête aux directeurs de colonies comme aux enseignants d’ailleurs : la sécurité et sa conséquence la responsabilité juridique. Pour la plupart elles ne pouvaient être assurées que par l’ordre et la conduite collective très cadrée. L’individualisme était source de tous les dangers[1].

Je vais l’expliciter à travers deux anecdotes.

Les CEMÉA et le réveil individuel

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J’avais fait mon stage de directeur chez les CEMÉA (Centres d’entraînements aux méthodes d’éducation active). Les CEMÉA étaient un des premiers grands mouvements d’éducation nouvelle s’inspirant de John Dewey, un grand psychologue et philosophe américain. J’ai eu la chance de le faire sous la direction d’un immense personnage : Jean Pavier. Enfin j’ai encore eu la chance de le faire l’année ou les CEMÉA lançaient « le réveil individuel ».

De quoi s’agissait-il ? Auparavant, pour assurer l’ordre et la sécurité, tous les enfants d’une colo devaient au réveil ne pas bouger de leur lit avant telle heure ni y rester après, se lever en même temps, aller se débarbouiller en même temps, descendre déjeuner en même temps, remonter faire leurs lits en même temps pour in fine rejoindre leurs moniteurs respectifs. Quel adulte aurait supporté ça pendant ses vacances, y conserver les mêmes rythmes, les mêmes cadres que dans le travail ? Mais cela paraissait normal pour des enfants.

C’est sur le « comment briser ce carcan ? » que le stage s’était penché. Les directeurs chevronnés criaient à la folie, à l’irresponsabilité : « Cela va être un épouvantable bordel ! Impossible à surveiller ! Cela va être des accidents, d’innombrables bêtises faites par les enfants ! Comment le personnel de service va-t-il pouvoir s’en sortir ? » Etc. En somme c’était totalement irresponsable. L’irresponsabilité, le grand mot de la seconde partie du XXème siècle, encore pire de nos jours, brandi pour surtout que personne ne prenne le risque de faire craqueler les cadres établis… au nom de la sécurité. Le corolaire de la sécurité, la responsabilité, était surtout la responsabilité juridique. Finalement à tout il faut trouver un responsable prêt à devenir un coupable.

Les CEMÉA avaient réussi à nous enthousiasmer et un mois plus tard, la veille du premier jour de ma première colonie nous avons passé la journée avec mes moniteurs et le personnel de service à étudier tout ce qui pourrait arriver dans tous les espaces intérieurs et extérieurs, d’imaginer toutes les situations possibles auxquelles il faudrait faire face, tout ce qu’allaient pouvoir faire les enfants, toutes les modalités à mettre en place… bref, une incroyable prise de tête !

Le jour J, à quatre heure du matin j’étais debout, à cinq heures tout le personnel était sur le pont, les moniteurs pour être en place dans tous les points déterminés comme névralgiques, la cuisinière et le personnel de service prêts à servir des déjeuners jusqu’à dix heures ! Tout le monde, surtout moi, quelque peu stressé dans une colonie qui elle dormait paisiblement. Qu’allait-il se passer ?

Et bien… tout c’est très bien passé ! Il faut dire qu’il ne pouvait pas en être autrement vu le quadrillage que nous avions effectué. Le jour suivant, si j’étais toujours debout à quatre heures, la mobilisation générale, elle, avait été repoussée d’une heure, puis encore d’une heure le troisième jour. L’incroyable pour nous était que tous les enfants naviguaient avec délices dans cette organisation inusitée pour tous. La plupart des idées préconçues que nous pouvions encore avoir sur l’incapacité des enfants à se comporter au moins aussi bien que nous s’écroulait.

Le quatrième jour il n’y a plus eu besoin de mobiliser personne à des heures indues : un modus vivendi c’était naturellement instauré, je dirais une nouvelle culture de vie. La colonie n’avait jamais été si paisible et si sécure. Il arrivait même que ce soit moi qui aille gentiment réveiller vers neuf heures un moniteur ou une monitrice qui roupillait encore avec des enfants qui me disaient « Chut ! Il dort encore ! ».

Ce réveil individuel a eu une influence énorme sur tout le reste du séjour et sur ceux des années suivantes. Tous les possibles s’ouvraient à nous : le respect des rythmes, des besoins et des intérêts des enfants, l’occupation et l’aménagement des lieux mettant les activités à disposition des enfants dans une liberté nouvelle, l’éclatement des groupes d’âge autrefois aussi bien séparés que dans les écoles, l’utilisation de tous les imprévus permis, la collaboration des moniteurs et de tout le personnel qui constituait une véritable équipe, etc. Nous étions passés dans un autre paradigme. À noter que pendant une quinzaine de directions je n’ai eu à déplorer aucun accident.

Il a eu aussi beaucoup d’influence sur ma pratique d’enseignant et de la pédagogie Freinet.

Aujourd’hui ce branle-bas que nous avions mis en place peut faire sourire, mais nous sortions de décennies de l’indispensable rigidité d’un ordre sécuritaire et la représentation que tout le monde avait des enfants. Les CEMÉA avaient bien provoqué une révolution éducative. Dommage que les ministres de l’Education nationale l’aient si soigneusement ignorée pour ce qui était la vie quotidienne des écoles.

La crainte de la sexualité avant la majorité.

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La majorité était à 21 ans, y compris ce que l’on appelle aujourd’hui la majorité sexuelle, elle n’a été ramenée à 18 ans qu’en 1974, la majorité sexuelle très récemment à 15 ans. La hantise de beaucoup de dirlos était qu’une monitrice, voire une adolescente, soit enceinte après la colonie. Bonjour alors les tribunaux !

Cette anecdote se déroule dans une de mes dernières colonies à Sausset les Pins. J’avais alors acquis de la « bouteille » ! Elle était gérée par l’UFOVAL de l’Ain. J’avais environ 150 enfants et adolescent-e-s de 6 à 16 ans. Les adolescent-e-s étaient installés dans deux grands marabouts (grandes tentes militaires). La mer était de l’autre côté de la route avec ses rochers et ses oursins. Plutôt que de faire 2 km tous les jours pour aller à la plage sableuse et surveillée de Sausset où allaient les autres colonies, j’avais installé notre périmètre de baignade de l’autre côté de la route en face de la colonie. La mer était bien à nous.

Il y avait trois ou quatre autres colonies à Sausset. Entre directeurs nous échangions des tuyaux, en particulier sur les problèmes d’intendance et d’approvisionnement (j’allais deux fois par semaine à trois heures du matin jusqu’au marché-gare de Salon de Provence remplir la bagnole de légumes). Un jour j’en vis arriver un.

Il s’étonnait d’abord que nous n’allions pas comme les autres jusqu’à la plage où la sécurité était assurée. Je ne l’avais pas trop convaincu que si nous n’avions pas le sable, par contre nous n’avions pas la foule de baigneurs autour de nous mais les rochers avec tout ce qu’il y avait à chercher et découvrir pendant des heures. Et puis j’avais installé un périmètre de baignade réglementaire et embauché mon propre maître-nageur obligatoire, quoiqu’il n’ait eu pas eu grand-chose à faire et personne à sauver si ce n’est faire le beau et draguer les monitrices. Et c’était surtout cela son problème : comment empêcher adolescents et adolescentes, moniteurs et monitrices de flirter… voire plus !

-  Que fais-tu le soir avec tes ados ? »

- Ben rien !

Il devait s’attendre à ce que je lui révèle des activités auxquelles il n’aurait pas pensé. Lui tous les soirs il organisait des soirées danses folkloriques et autres qu’il faisait durer le plus tard possible en espérant qu’épuisés chacun et chacune rejoignent leurs plumards sans pouvoir prolonger leur journée entre eux sans être sous les regards de moniteurs pour les surveiller. Évidemment très vite son cheptel en avait marre de ces festivités organisées et obligatoires. Lorsque je lui ai expliqué que nos ados aimaient bien le soir se balader au bord de la mer en plaisantant, en se racontant ce que seuls des ados peuvent se raconter ou que d’autres aimaient plutôt passer de longs moments dans leurs marabouts à raconter leur vie, à jouer aux cartes ou nouer les gentilles idylles des adolescents et puis que tout le monde allait se coucher tranquillement, il était carrément horrifié.

- Et tu n’as jamais eu de problèmes ?

- Ben non !

- Et bien tu es gonflé et tu as de la chance. Et avec tes moniteurs et monitrices ?

En colo il était de tradition de faire une fois les enfants couchés une réunion des moniteurs et monitrices, un briefing de la journée, une prévision des activités du lendemain, l’amélioration du fonctionnement, etc. J’en faisais une ou deux lors du séjour où lorsqu’il y avait des tensions ou des dysfonctionnements mais pas plus. Une fois enfants et ados couchés ils étaient libres en dehors des quelques-uns de service pour assurer la sécurité nocturne. Il y avait aussi toujours dans le frigo saucissons, fromages et boissons pour qu’ils puissent se restaurer après de longues journées. Et tout se passait bien, dans l’intérêt même de la colonie. Lui faisait ces réunions tous les soirs et les faisait durer le plus tard possible dans la nuit pour que, comme pour les ados, épuisés ils ne songent pas à aller faire un tour en ville ou pire rejoindre une monitrice dans sa chambre. Il n’avait pas compris que 24 H sur 24 H en service, n’importe qui avait besoin de se détendre ailleurs. Il avait beau faire durer, beaucoup se retrouvaient très très tard dans la nuit dans les rues ou sur les terrasses. Bonjour pour attaquer en forme une nouvelle journée avec les enfants !

J’enviais cependant les moyens qu’il avait pour les activités de mer qui devaient enchanter tout le monde : voiliers, hors-bord, ski nautique… J’imaginais que mon propre personnel devait aussi l’envier :

- Tu te trompes Bernard ! On les rencontre souvent le soir en ville. Ils en ont tous assez. L’ambiance y est exécrable, il ya plein d’histoires qui les empoisonnent tous. On est bien mieux ici !

La phobie sécuritaire provoque partout le contraire de ce qui est recherché et ce n’est pas que dans les colonies de vacances. Il en est de même à l’école, dans toute la société jusqu’à ne plus pouvoir rien faire. L’actualité nous le démontre tous les jours et de plus en plus.Les dernières années le moindre bobo devait avoir un responsable qui risquait d’être traîné devant les tribunaux et du coup tout était encadré par une pléthore de règlements, circulaires, décrets... L’UFOVAL de l’Ain organisait à Pâques une réunion de tous ses directeurs de colo pour nous communiquer toutes les nouvelles dispositions. À la sortie de la réunion nous nous regardions tous en nous demandant ce que nous faisions dans cette galère ! Nous devions être un peu fous !

Et puis il y a l’activisme éducatif. On pensait et peut-être même le pense-t-on encore plus aujourd’hui, qu’il faut que les enfants et les adolescents soient toujours occupés par les activités que les adultes proposent ou imposent. La hantise du « il ne fait rien ! » qui du coup induit le « je ne sais pas quoi faire ! ». On suppose aussi que l’ennui va provoquer les immanquables « bêtises ». Nous sommes dans une société où l’on ne sait pas s’ennuyer. Il faut dire aussi que les temps où l’on pourrait s’ennuyer et à avoir à créer ce que l’on peut faire ou à rêver, il faut attendre une lointaine retraite

J’ai arrêté la direction de colonies de vacances en 1971. Il faut être au top de sa forme pour assurer deux mois 24H/24H, plus le avant et le après. J’ai beaucoup appris pendant cette dizaine d’années, en particulier dans celle de la ville de Caluire-et-Cuire dont le maire était le docteur Dugoujon, le médecin chez qui Jean Moulin s’était fait arrêter après une réunion de la Résistance. J’y avais carte blanche en ce qui concernait la transformation des locaux à condition que j’argumente mes propositions devant le conseil municipal de la ville et que j’aille superviser ce que j’avais demandé. Une bonne école !

Je pense que tous les directeurs de CV de cette époque n’étaient plus ensuite les mêmes directeurs ou enseignants dans les écoles et leurs classes. Les colonies changeaient nécessairement plus ou moins les regards sur les enfants, les rapports avec les autorités, les rapports avec les collègues, la notion du risque, l’adaptation aux environnements, la gestion des moyens, la vision globale des systèmes sociaux…

Aujourd’hui il y a beaucoup moins d’instituteurs s’occupant encore de colonies. Beaucoup de ces colos ont disparu comme celle de Caluire dont les bâtiments à Bellecombe en Bauges ont été vendus et sont maintenant occupés par un maraîcher. Les séjours sont beaucoup plus courts et cela ne s’appelle plus colonies. Il y a de plus en plus la consommation de loisirs à la carte, faire une semaine ou quinze jours de voile, de spéléo, d’alpinisme, de canyoning, de danse…Les enfants des banlieues y ont beaucoup moins accès et n’ont que la cité comme terrain de jeux, terrain qui n’est certainement pas fait pour jouer librement.

Les temps changent. Je ne suis pas certain que ce soit en mieux. 

Je ne sais pas trop ce que sont devenus les CEMEA aujourd'hui, j'y ai eu beucoup d'amis. Je connais encore bien les CEMEA belges qui interviennent beaucoup dans les écoles. En tout cas il est bien dommage que tous les enseignants, de la maternelle à l'université, ne soient pas obligés de faire un stage chez eux. 

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 à Bellecombe en Bauges



[1] Le scoutisme dans deux grandes organisations (Scouts de France catholiques et Éclaireurs de France laïcs) avait une notion quelque peu différente du danger.

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