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Le blog de Bernard Collot
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1 février 2022

1940-2021 (49) -Le Languedoc (2), années 60

Le Narbonnais

narbonne

 L’autre lieu où nous passions aussi de longues périodes c’était chez des oncles près de Narbonne, Coursan, un village viticole au milieu des vignes de la plaine. Plus rien à voir avec le vignoble beaujolais. C’étaient les domaines immenses de latifundistes, de l’exploitation éhontée des ouvriers viticoles, ceux de la production du « gros rouge » des tables ouvrières ou qui avait été déversé aux poilus dans les tranchées pour qu’ils en sortent et aillent affronter obus et baïonnettes.

En 1975 il y eut une grande révolte du monde viticole languedocien avec blocage des routes et des voies ferrées vers Narbonne suivi d’une répression sanglante et deux morts. Résultats : les propriétaires qui eux étaient restés bien au chaud pendant que leurs ouvriers étaient sur les barricades ont obtenu quelques menus avantages, ceux qui étaient allés au « casse-pipe » rien du tout. Nos oncles sont ressortis profondément dégoûtés et amers de ces événements. L’un d’eux était ouvrier viticole dans un domaine, l’autre employé dans l’usine de concentration des vins. Les vins du Languedoc étaient en concurrence avec ceux d’Algérie et lorsque le degré était insuffisant il fallait l’élever un peu avec la concentration par chaptalisation (ajout de sucre) ou par évaporation sous vide (enlever de l’eau) ou par concentration par le froid (enlever la glace). Cette concurrence, plus de nouvelles réglementations, plus la modification des goûts des consommateurs ont abouti un peu plus tard à une immense crise. La viticulture est toujours résiliente : la crise a abouti à une transformation profonde du vignoble ainsi que de sa structure et aujourd’hui la multitude des crus du Languedoc peut faire honneur à toutes le tables… en beaucoup moins cher que les renommés.

Chez ces oncles et tantes l’habitat était encore plus simple que les appartements des cités, voire quelque peu sommaire. La cuisine dans une sorte de buanderie, pour les WC il valait mieux aller dans les WC publics pas très loin avec quelques vastes cabines et sièges à la turc, quant à la douche c’était dans les douches aussi municipales.

carcassonne91

 

Heureusement il y avait la bouillabaisse, le cassoulet, le pastis et la pétanque.

J’avais voulu pour les remercier les inviter dans un restaurant du coin pour y manger cette bouillabaisse qui n’était pas celle de Marseille mais la sétoise de Brassens, fallait pas plaisanter avec ça. Que n’avais-je pas fait ! Ils avaient bien mangé poliment en tirant un peu le nez, mais à la sortie une des tantes me déclara :

- Mon petit Bernard tu vas voir, demain je vais t’en faire manger une vraie !

bouillabaisse

Levée à quatre heures du matin elle s’était fait conduire à l’arrivée des pêcheurs du minuscule port des Cabanes de Fleury à une quinzaine de km pour acheter les poissons nécessaires, frais. Parce que la bouillabaisse ça se fait avec les poissons qui sortent de l’eau, pas n’importe lesquels et surtout pas avec ceux qui ont trainé des jours sur des étalages. Puis une longue préparation savante des poissons et de la foule d’ingrédients, coquillages ou crustacés (les moules de l’étang de Berre n’étaient pas loin), de légumes, d’herbes, d’épices qu’il était indispensable d’ajouter. Puis une longue cuisson et laisser mijoter longtemps pour que tout s’assemble harmonieusement. Et à midi ce fut carrément un repas solennel. J’avais compris et n’ai plus jamais commandé une bouillabaisse dans un restaurant.

Mais cela ne s’était pas arrêté là. Bien que je ne ressemblai pas au Monsieur Brun de Pagnol, il fallait faire voir à ce lyonnais ce que c’était de manger dans le sud. L’autre tante ne voulant pas être en reste :

- Demain c’est chez moi. Tu vas voir ce ne sera pas la même !

Le lendemain, re-bouillabaisse, toujours à se lécher les babines. Et puis cela a été le surlendemain une de leurs voisines, puis une autre : en une semaine j’ai ingurgité quatre bouillabaisses ! J’avoue que la dernière a eu quelque mal à passer ! À mon grand regret, elles ont été les seules que j’ai dégustées de toute ma vie.

On ne peut pas vivre dans le sud sans le pastis. Mais chez eux ce n’était pas celui des marques célèbres bien trop cher. C’était le pastis fait maison, même les bistrots en avaient, caché sous les comptoirs. Il fallait aller à la pharmacie acheter l’alcool à 45° qui à l’époque n’était pas encore dénaturé. Puis la petite fiole d’extrait d’anis, interdite à la vente mais qu’on trouvait… chez le coiffeur qui allait faire ses stocks en Andorre. Le mélange donnait le pastis, devenant blanc laiteux dans le verre lorsqu’était ajouté eau et glaçon.

pétanque

On ne peut pas y vivre non plus sans la pétanque. Il y avait la grande place et les immanquables platanes où se retrouvaient joueurs de pétanque, jeunes gens et jeunes fille, vieilles et vieux... et les touristes venant prendre un bain de couleur locale. L’oncle m’avait très fortement prévenu :

- Si tu es invité par quelqu’un à jouer, n’accepte jamais une partie où on te propose d’y mettre quelques sous en enjeu, tu es certain que le soir tes poches seront vidées.

Il ne s’agissait pas du tout d’une arnaque mais d’une fine connaissance de la psychologie humaine par quelques joueurs du cru, quasi professionnels. L’astuce consistait à d’abord donner le spectacle de deux joueurs pas trop adroits mais très amusants dans leurs exclamations. Puis l’un jouait au découragé et :

- J’en ai assez, qui veut ma place ?

Il y avait toujours un touriste voulant vivre un moment à la méridionale qui se laissait tenter. Première partie, il gagnait facile.

- Bon ! On remet ça ?

Seconde partie, il gagnait encore.

- Vous n’allez pas me laisser sur une défaite, allez ! J’augmente même la mise, tant pis pour moi si je perds encore.

Tout cela avec l’accent, et le touriste était fichu. Toutes les parties suivantes il les perdait, toujours d’extrême justesse… et la mise augmentait « Pour vous refaire ! Je ne vais pas toujours avoir de la chance. »

Ce qui était étonnant c'est que dans ce milieu où la vie était loin d'être facile il y respirait une joie de vivre quasi permanente. Je n'ai jamais entendu autant rire, plaisanter, s'entraider, aussi peu se plaindre, autrement dit pour employer un verbe que l'on met à toutes les sauces, s'aimer.

 Dans ce Languedoc il n’y avait bien que ce foutu vent que je n’aimais pas, 360 jours sur 365 et dont on n’arrivait pas à se protéger même derrière les murs.

Je ne vais pas pouvoir le quitter sans vous expliquer ce qu’était la plage à cette époque.

Prochain épisode : La plage languedocienne  épisodes précédents ou index de 1940-2021

carcassonne93

 

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