1940-2021 (64) - années 70 - Le naturisme, expérience sociale
Dans les années 70 la poussée touristique aidant, des plages sont autorisées au naturisme alors qu’il n'était encore que très rarement toléré ou carrément caché. J'ai été naturiste et les ai fréquentées, mais cela allait au-delà du plaisir de vivre librement la nudité.
Je vais revenir succinctement sur l’histoire du naturisme.
Le premier mouvement naturiste est né en Allemagne dans les années 1920 et s’est développé ensuite en France sous l’instigation de Kienné de Mongeot dans les années 30. On peut dire que c’était un naturisme très aristocratique, certains on même pu dire qu’il flirtait quelque peu avec le nazisme. Il sacralisait le corps, le beau corps. Il imposait des règles de vie strictes (exercices physiques, alimentation). Ses lieux privés étaient souvent des châteaux. La nudité n’était pas constante et les vêtements portés dans leurs lieux de séjour tendaient à se rapprocher des toges romaines. Beaucoup moins marqué en France les adeptes faisaient cependant plutôt partie des classes socioculturelles supérieures. À ma connaissance ce mouvement n’existe plus.
Le premier mouvement populaire naturiste français est né dans la foulée des idées du front populaire sous l’instigation d’Albert Lecocq et de son épouse Christiane. Tous deux avaient fondé dès la fin de la deuxième guerre mondiale le premier club du soleil suivi par beaucoup d’autres. Dans le contexte et les lois pudibondes de l’attentat à la pudeur (qui n’ont pas beaucoup évoluées) seul le naturisme sauvage pouvait être pratiqué par de petits groupes devant se dissimuler. On en trouvait sur la côte landaise, dans les gorges de l’Ardèche avant qu’elles ne deviennent une autoroute de canoës, sur une île du Levant… À propos de cette dernière, lorsque dans les années 50 mon père a eu sa première voiture nous étions allés en vacances dans un camping des PTT à Lalonde les Maures ; il nous avait fait prendre le bateau avec sa cargaison de touristes tentant d’aller sur les parties publiques de l'île du Levant reluquer des « femmes à poil » comme on va au zoo, au grand dam de ma mère qu’il n’avait pas prévenu de l’objectif réel de la visite !
Albert Lecoq s’est donc battu pour que le naturisme puisse se pratiquer par tous, naturellement, dans des lieux protégés. Il fondait la revue « La vie au soleil » en 1947 où l'on parlait même d'éducation puisque j'y avais écrit par la suite un ou deux articles, puis la Fédération Française de Naturisme. Ce naturisme était quasiment révolutionnaire, j’y reviendrai plus loin puisque je l’ai pratiqué.
Puis il y a eu le naturisme touristique organisé. Beaucoup de naturistes ayant les moyens allaient passer des vacances sur les bords de la Mer Noire ou de la Mer Baltique ou la tolérance était plus grande (pour les touristes !). A partir des années 50 et la manne touristique qui s’annonçait, était entrepris l’aménagement de la côte aquitaine, puis celle du Languedoc, transformant complètement et urbanisant les paysages encore sauvages de ces côtes (par exemple la démoustication au DDT des étangs côtiers languedociens), privant d’ailleurs les autochtones des plages non nettoyées où ils avaient l’habitude d’aller librement se délasser ou pêcher dans une nature non aseptisée. Il avait donc été créé des espaces pour que les touristes naturistes restent sur nos plages. Le premier avait été le centre héliomarin de Montalivet en Gironde. Dans ces centres tout est aménagé, il n’y a qu’à payer, s’installer et en profiter.
Enfin il faut bien citer le naturisme de luxe, sexe et bizness. L’exemple du Cap d’Agde. J’ai déjà évoqué son histoire lorsque j'ai parlé du Languedoc.
Il fallait que ce naturisme se vive dans des espaces privés non visible à d’autres. Ce n’est qu’à partir des années 70 qu’avait été obtenu de certaines autorités municipales que des morceaux de plage attenants aux lieux naturistes puissent être accessibles à la nudité à condition d’être indiquées par deux panneaux « Attention, plage naturiste » ! Les « textiles » qui la traversaient, souvent pour reluquer, savaient à quoi s’en tenir ou fermaient les yeux. Bien sûr il ne fallait surtout pas sortir nu des limites indiquées par les panneaux. C’est dans ces années 70 que le naturisme devint plus populaire. Les seins nus commençaient même à être tolérés en bordure des plages publiques, fini « Le gendarme à Saint-Tropez » !
Revenons à Albert Lecocq et au camping naturiste de Sérignan-plage où j’allais régulièrement et qui représente assez bien les clubs, lieux, associations naturistes dans la ligne de Lecoq. Il avait été créé par des ouvriers, petits fonctionnaires, soignants... gens du peuple de Montpellier. Envie de pouvoir vivre autrement, au moins en dehors du boulot pendant les WE et les congés payés, pas loin de chez eux puisque la mer n’était pas éloignée. Ils créèrent alors une association, mirent tous leurs moyens en commun et achetèrent un terrain qui à l’époque ne valait pas grand-chose près de la mer à Sérignan. Leurs tentes installées à l’année, les emplacements de chacun fleuris devenaient leurs résidences secondaires (sans avoir besoin d’être déclarées !). Il fallait qu’ils s’organisent pour l’aménager, le gérer. Dans la foulée du Front populaire, du Conseil national de la résistance, de l’anarcho-syndicalisme, c’était une organisation vraiment démocratique, horizontale, participative, voire un peu libertaire qui avait été mise en place. Tout était décidé en commun et tout ce qu’il y avait à faire était partagé suivant les compétences de chacun. Comme il fallait quand même avoir quelques moyens pour l’entretien et l’aménagement, ils ouvrirent le camping à d’autres naturistes et il en est venu de tout l’hexagone et de l’étranger. Les habitués comme moi pouvaient s'ils le voulaient participer à l’organisation collective, faire des propositions, parfois c’était participer à la surveillance nocturne, les intrusions malveillantes étant fréquentes. Certains espaces privés naturistes loin de la mer préfiguraient un peu les éco-villages d’aujourd’hui, j’en ai connu un dans les Dombes, la différence avec les éco-villages c’est qu’ils n’étaient pas habités en permanence.
Contrairement au naturisme de Kienné de Mongeot il n’y avait pas à se plier à des principes stricts d’hygiénisme, alimentaires, corporels ou autres. Les apéros, le pastis, les barbecues étaient monnaie courante. La tolérance était un des principes de base. Celles et ceux qui voulaient rester couverts le faisaient. J’y ai rencontré de vieux campeurs de l’époque du front populaire, pas du tout naturistes, mais qui me disaient que c’était le dernier endroit où ils retrouvaient l’ambiance et la solidarité de ces années.
Je ne dirais pas que c’était un naturisme pudibond mais naturellement pudique. Le sexe, c’était dans l’intimité. Contrairement au Cap d’Agde par exemple les familles étaient en grande majorité, il y avait tous les âges, tous les physiques, toutes les situations sociales, tous les niveaux culturels. Si la nudité n’effaçait pas les différences sociales et culturelles, elle ôtait momentanément tous les signes de ces différences et dans les relations tout le monde était, à l’intérieur de cet espace, dans l’égalité et se moquait de la situation sociale de l’autre. Si au début on pouvait être gêné, ne pas oser baisser les yeux qui risqueraient de se porter sur les zizis, très vite on n’y faisait plus attention. D’ailleurs constater l’infinie variété des verges, des seins, la beauté des vieux, des gros, des maigres... libres de leur corps, ça guérit de tous les complexes qu’une société du marketing de l’image avait pu nous fourrer dans la tête.
Et les enfants ? S’il y en avait pour qui la nudité ne posait aucun problème, c’étaient bien eux. Plus besoin de faire attention à ne pas tacher ses habits ! D’autre part leur régulation thermique est beaucoup plus affûtée que pour nous. Parfois des adolescentes éprouvaient à un moment le besoin de se couvrir, ce qui ne posait de problème à personne. Si les principes éducatifs pouvaient être fort différents suivant les familles et tolérés par tous, la liberté est contagieuse et il était rare d'entendre les crillaieries, remontrances, engueulades... monnaie courante ailleurs.
Une année j’avais constaté que dans le camping les enfants n’avaient pas beaucoup d’espace libre où vivre, jouer collectivement entre eux sans gêner les adultes. J’avais donc proposé de créer cet espace où les adultes ne mettraient pas les pieds et de m’en occuper. Les organisateurs dégagèrent plusieurs emplacements pour en faire l’espace des enfants, ceux de Montpellier installèrent un grand marabout, le remplirent de tables, de pots de peintures, de feuilles de papier, de bricolages de toute sorte... J’ai eu quotidiennement une centaine d’enfants de tous âges, de toute nationalité. Je ne vous dis pas les étonnantes peintures réalisées au soleil, sur de grands morceaux de rouleaux de tapisserie retournés, quand on peut plonger ses mains dans les pots, se barbouiller sans crainte, voire d’utiliser les corps comme supports. Derrière le castelet pour des marionnettes géantes que j’avais installé au soleil, j’ai même assisté à l’étonnant spectacle d’enfants ne parlant pas la même langue improviser et jouer des pièces devant un public d’autres enfants ne parlant eux aussi pas la même langue et qui suivaient attentivement et s’esclaffant alors que je ne comprenais pas pourquoi ; c’étaient les petits français qui me le racontaient ensuite ! Les parents et les autres adultes s’étonnaient qu’il n’y ait pas de problèmes dans ce grand groupe d’enfant s’auto-organisant naturellement. Cette année-là j’ai beaucoup plus fait que dans toute ma carrière pour faire admettre les idées d’une école du 3ème type sans avoir à faire le docte ou l’illuminé pédagogue ! Et j’y ai aussi beaucoup appris.
Je n’ai pas besoin de souligner le plaisir, le bien-être physique, le développement des sens qu’apporte la nudité, le corps devenant réceptif à tout son environnement, air, eau, soleil, sable. En cette période où l’on parle beaucoup d’immunité, faites donc un stock de vitamines D qu’il n’y a pas besoin d’acheter en pharmacie, elles sont fabriquées naturellement par la peau si elle est exposée à la lumière du soleil, devenez naturistes !
PS : il y avait bien un peu partout d'autres lieux naturistes autogérés du même genre. Je me souviens de l'étonnant Ran du Chabrier situé au fond de la vallée de la Cèze, accessible par un chemin assez vertigineux à peine carrossable. Je ne sais pas ce que sont devenus tous ces lieux. Je crains qu'ils n'aient pas trop résisté à la société de consommation et de la facilité... payante ou soient devenus comme le Cap d'Agde des lieux non pas libertaires mais de libertinage.
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