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Le blog de Bernard Collot
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26 avril 2022

1940-2021 (87) – 1983 Attentats sur l’autoroute des fourmis

fourmis

Qui n’a pas observé des enfants devant une fourmilière la regardant inlassablement, qui ne l’a pas fait, et qui n’a pas dérangé la fourmilière, pour voir ! Qu’est-ce qui se passe dans les têtes ? On ne le sait pas, souvent celui qui regarde ne le sait pas non plus. Il n’empêche qu’on peut supposer que ce n’est pas pour rien que l’on peut se fixer ainsi pendant des heures à regarder. Faut-il encore que les enfants puissent le faire, que leur temps ne soit pas entièrement pris à exécuter des tâches imposées sans beaucoup de sens, que moult espaces leur soient accessibles librement.

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Une fourmilière s’était installée dans le pied d’une vieille souche du jardin. Très vite les enfants avaient repéré une colonne de fourmis qui longeait les murs, grimpait sur celui du fond et allait nous ne savions où chez le voisin. Une autoroute bien tracée, bien que les fourmis n’aient pas besoin de quatre voies pour éviter les accidents. Et je retrouvais souvent des enfants, couchés les mains sur le menton devant l’autoroute.

Devant l’intérêt, j’avais instauré « l’atelier fourmis » pour qu’éventuellement ils pensent à communiquer leurs observations à tout le monde. Cela a duré plusieurs semaines ! Vous imaginez une leçon sur les fourmis, si elles étaient dans le sacro-saint programme, qui durerait plusieurs semaines ?

Très vite des enfants ont remarqué et fait remarquer aux autres que la circulation des fourmis n’était pas toujours de la même intensité dans un sens ou dans l’autre. « Et si on faisait des comptages comme sur les vraies autoroutes ? ». Cela devint un jeu, les compteurs de fourmis s’imaginant même en gendarmes ! Comptage, chronométrage (les plus petits se coltinant aux minutes, à la notion de temps), tableaux de résultats… Surprise en observant les tableaux : Le matin de bonne heure la circulation était beaucoup plus intense en direction de chez le voisin ! « C’est qu’elles partent ! »… oui mais faire quoi ? Ils savaient ou se doutaient tous plus ou moins que les fourmis vont chercher à manger pour le ramener à la fourmilière. Mais on ne voyait rien qu’elles transportaient dans leurs mandibules quand elles revenaient. Perplexité. Les hypothèses même les plus délirantes étaient difficiles à formuler. Et je ne leur étais d’aucun secours.

Mais l’observation continuait chaque jour par les uns ou les autres, surtout quand il y avait un beau soleil ! Assez rapidement l’un d’entre eux remarqua qu’il y avait deux sortes de fourmis, les unes ayant de fins anneaux jaunes apparents sur leur abdomen et paraissant un peu plus longues. Bizarre. Mais c’étaient celles qui revenaient à la fourmilière qui étaient ainsi. C’étaient donc bien les mêmes, elles s’étaient donc transformées au retour. « On dirait des camions citernes ! »… puisqu’on était sur une autoroute ! « Alors, ce qu’elles vont chercher, c’est du liquide ! Ça les gonfle. ». Oui, mais quoi ? Personne n’avait jamais vu une fourmi pomper dans une flaque d’eau. Il fallait aller voir, de l’autre côté du mur, où allait cette autoroute. Pourparlers avec le voisin de l’école, une expédition de deux ou trois enfants se constitua et je les laissai aller. La colonne aboutissait au pied d’un cerisier et grimpait le long du tronc. Où allaient-elles pomper du liquide là-haut ? Et toutes le hypothèses de fuser.

- C’est peut-être la sève qu’elles vont piquer dans les feuilles ? 

- Oui mais pourquoi la sève du cerisier ?

- Est-ce qu'elles ont quelque chose pour piquer ? ... Les deux ou trois expéditionnaires ne pouvaient rester chez le voisin comme dans notre jardin, retour donc à l’école, compte-rendu circonstancié,…

- Et en plus le cerisier était plein de pucerons !

- C’est peut-être à cause de cela ?

- Oui, mais on les verrait ramener des pucerons.

- Elles les transforment peut-être en bouillie…

Difficile de valider une hypothèse émise quand on ne peut pas observer, ce d’autant que les pucerons, c’est petit et le cerisier, c’est haut. Mais il y a toutes les encyclopédies et autres livres documentaires (internet n’existait pas encore). Pas facile de trouver LE renseignement parmi la masse contenue dans un livre. Mais quand on le fait régulièrement, peu à peu on trouve des stratégies de lecture différentes de la lecture linéaire où l’on commence en haut à gauche pour finir en bas à droite. Savoir prendre d’autres repères. C’est le puceron qui leur donna la solution « Les pucerons, ça pique les feuilles, ça pompe la sève, et ça la recrache sucrée ! ». L’énigme était résolue !

Le vieil apiculteur que je suis et qui savait que les abeilles allaient pomper ce suc  aurait pu leur donner la solution tout de suite et en quelques minutes l’affaire aurait été réglée, peut-être même mémorisée mais ce n’est pas certain. Mais ce n’est pas le savoir qui importe, c’est développer à tout moment les capacités d’observation, de tâtonnement, d’émission d’hypothèses et de réfutation d’hypothèses, les capacités de douter qui entraînent plus loin. Le savoir scientifique comme les autres dépend de cela et surtout il est relativisé, ne se transforme pas en catéchisme à apprendre. Il n’y a pas besoin de provoquer la curiosité, il y a surtout à ne pas l’étouffer, à lui donner les conditions d’être exercée.

Mais l’affaire de l’autoroute des fourmis ne s’arrêta pas là (je vous ai dit qu’elle avait duré plusieurs semaines). Un jour Yann rentra en classe en disant :

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- Venez voir, j’ai fait un attentat sur l’autoroute des fourmis !  A l’époque, la France et ses médias étaient mobilisés par les attentats islamistes à Paris. Tout le monde alla voir l’attentat.

Devant le petit cratère créé par Yann d’un coup de pioche, c’était l’affolement dans la colonne de fourmis. Que ce soit dans un sens ou dans l’autre, l’obstacle semblait infranchissable. Lassés, la plupart retournèrent vaquer à d’autres occupations en cours, tant pis pour les fourmis. Mais Yann, un peu perturbé par les conséquences de son… attentat, retournait régulièrement voir si les fourmis se sortaient d’affaire ou si l’autoroute avait disparu. On le vit surgir un peu plus tard, triomphant et surtout soulagé :

- Les fourmis ont refait l’autoroute ! Ruée au jardin. Effectivement, la colonne s’était reformée en contournant le cratère. Mais comment avaient-elles fait ?

Alors s’en suivi l’invention d’une succession « d’attentats » par les uns et les autres tout le long de l’autoroute, mais cette fois chacun resta pour voir ce qui se passait. Obstacle créé par une fine brindille : pas d’effet. Par un morceau de bois plus épais, par un fossé plus ou moins large tracé avec le doigt, par une pincée de poudre de lessive…

- Regarde, elles cherchent de tous les côtés

- Pourtant elles devraient voir les autres de l’autre côté.

- De l’autre côté elles font la même chose.

- Elles pourraient s’appeler.

- Elles pourraient continuer dans la même direction.

- C’est qu’elles ne savent pas la direction qu’elles suivaient.

- Elles ne peuvent pas faire de plan. …

- J’ai trouvé : Quand il y en a une qui a réussi à retrouver celles d’en face, toutes les autres prennent le chemin qu’elle a suivi !  

- Oui, mais comment a-t-elle indiqué le nouveau chemin ?

- Elle les appelle peut-être ?...

- Moi j’ai remarqué que les premières qui prenaient la nouvelle route c’étaient celles que la fourmi éclaireuse avait rencontrées de l’autre côté, puis, quand elles arrivaient à leur tour de l’autre côté, les autres prenaient aussi le chemin dans l’autre sens. Effectivement tous les autres terroristes retournés à leurs postes d’observation confirmèrent cela.

- Elle a dû laisser une trace

- Mais on ne la voit pas ! Comment de si petites bestioles peuvent-elles laisser des traces ?

- Mon papa m’a dit que les chiens repèrent les chiennes en chaleur par leur odeur.

Euréka ! Ce devait être cela. Comment le vérifier ?

- Si on mettait une giclée de désodorisant ?  

Exécution de l’attentat au gaz. Autoroute interrompue comme dans les attentats précédents. C’était donc probablement par l’odeur laissée sur le sol par la première fourmi qui avait trouvé la mine de pucerons que toute la colonie s’y était rendue.

- Mais comment a-t-elle pu le dire aux autres Est-ce qu’elles se parlent ? Oui, mais pas comme nous ! Cette fois l’apiculteur que j’étais leur raconta ce qu’un certain Von FRISH avait découvert il y a bien longtemps : comment les éclaireuses abeilles indiquent aux autres la découverte d’un champ mellifère et les informations pour s’y rendre. Et je fus écouté ! Si j’avais fait une leçon sur les fourmis, il ne me serait jamais venu à l’idée d’expliquer comment les fourmis rejoignaient un lieu d’exploitation,… ce d’autant que je l’ignorais !

Mais tout ne s’arrêta pas encore. Il fallait bien raconter aux autres classes du réseau ces étonnantes découvertes. Il s’en suivit alors la rédaction d’un album « Attentats sur l’autoroute des fourmis »[1]. Les uns planchant sur la réalisation de schémas explicatifs (expression de représentations, langage scientifique), d’autres sur des textes narratifs colorés, d’autres dans des textes ou dessins humoristiques : « Moi, le gendarme Samuel, j’ai effectué ce jour un contrôle sur l’autoroute F1 du jardin de Moussac. Voilà ce que j’ai vu…. ». Tout cela s’était passé dans la jubilation, l’écriture aussi était devenue jubilatoire. Je pense que le célèbre naturaliste JH FABRE se serait régalé de voir et de lire ces enfants.


[1] J’avais conservé précieusement cet album en pensant que son humour qui valait bien les livres pour enfants faits par des écrivains adultes mériterait de le faire éditer. Malheureusement introuvable dans les vieux cartons du grenier.

Prochain épisode : Pauvres limaces ! épisodes précédents ou index de 1940-2021 

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