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Le blog de Bernard Collot
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2 mai 2022

1940-2021 (89) – 1976-1996 – Les parents à Moussac

parents

C’est avec eux autant qu’avec les enfants que j’ai vécu cette période où j’ai continué à beaucoup apprendre.

J’ai déjà expliqué la situation particulière de l’école devenue classe unique juste avant que j’arrive. En réalité elle l’était devenue l’année précédente mais la collègue qui l’occupait, habitant dans le village à une dizaine de mètres et respectée par tous, avait jeté l’éponge et obtenu son changement. Pour tout le monde c’était donc qu’une classe unique n’était pas viable et pratiquement tous les parents étaient convaincus qu’au bout de l’année leurs enfants pourraient prendre le car de ramassage scolaire du collège pour inscrire leurs enfants à l’école de l’Isle-Jourdain très peu éloignée.

Cela a été une chance pour moi. La veille de la rentrée j’ai donc fait une réunion où tous les parents étaient présents. Là je leur ai expliqué qu’ils avaient raison parce qu’une classe unique voulant fonctionner comme les autres écoles, c’était impossible. Je leur expliquai alors quelle stratégie je comptais mettre en place (grosso-modo à base de pédagogie Freinet). S’ils trouvaient que cela ne fonctionnait pas ou que cela heurtait trop leurs convictions éducatives, alors pas de problème, à la fin de l’année ils pourraient inscrire leurs enfants à l’école du chef-lieu comme ils l’avaient prévu, quant à moi j’avais la chance d’être un fonctionnaire et j’obtiendrai un autre poste. En somme, nous n’avions rien à perdre ! De toute façon l’année ne serait pas plus perdue pour les enfants que si je faisais comme ma collègue qui avait jeté l’éponge.

J’ai été écouté très attentivement. Mais je leur proposais que l’on se rencontre au moins deux fois par mois pour que chacun puisse donner son sentiment sur ce qu’il constatait et que l’on oriente éventuellement la stratégie. C’était un peu inhabituel pour eux mais tous acceptèrent de jouer le jeu. Les premières réunions ont été un peu difficiles parce jamais dans l’école on ne leur demandait de donner leur avis, qui plus est en public. Il est vrai que mes quinze années précédentes à Lantignié m’avaient appris que rien n’est pire que les critiques vis-à-vis de l’enseignant et de ses façons de faire qui s’expriment seulement sur le trottoir de l’école, dans les familles ou au bistrot. Les critiques sont absolument nécessaires, il suffit que chacun comprenne qu’une critique n’est pas dénigrer une personne mais n’est qu’une réflexion à partir de ressentis. Un ressenti est toujours réel, il nécessite juste d’explorer à plusieurs ce qui l’a suscité, de le mettre en parallèle avec d’autres ressentis et d’en tirer éventuellement les conséquences. 

Pour qu’ils osent critiquer publiquement je leur avais ouvert la classe pendant le temps scolaire pour qu’ils puissent y voir ce qui s’y passait et qu’ensuite on puisse discuter sur du concret. J’avais ajouté une condition à leurs visites : qu’ensuite ils aient au moins une critique à faire et qu’ensuite on en discute à la réunion. Quelques-uns n’osaient plus répéter en public ce qu’ils m’avaient dit au cours de leur visite, pensant que je pourrais être offusqué, il fallait que gentiment ce soit moi qui l’exprime à leur place en disant que c’était intéressant à discuter. Petit à petit, quand ils ont compris que toutes leurs critiques pouvaient être écoutées aussi bien par moi que par les autres parents et discutées tranquillement pour éventuellement être prises en compte, la parole s’est libérée, est devenue tranquille et ces réunions sont devenues intéressantes pour eux et passionnantes pour moi, ce d’autant qu’ils pouvaient venir avec leurs enfants qui s’occupaient dans la seconde salle pendant que nous discutions. Je rajoute qu’il y avait gâteaux, café, jus de fruit.

Du coup, s’ils n’avaient pas d’enfants en bas âge, c’étaient les mamans et les papas qui venaient ensemble passer la soirée, ce que je n’avais jamais vu à Lantignié. Si bien que l’hiver c’était plusieurs fois par mois que nous nous retrouvions à l’école comme une espèce de veillée au coin du feu.

À Lantignié j’avais aussi compris que l’école c’étaient d’abord des enfants. Or chaque enfant fait encore partie de la chair de ses parents. Ses réussites, ses échecs, ses difficultés, ses joies, ses tristesses sont ressenties par ses parents comme si c’étaient eux-mêmes. Il était normal et légitime qu’ils s’inquiètent de ce que faisait avec leurs enfants la personne qui les avait quotidiennement plus longtemps qu’eux, qu’ils se méfient de l’influence qu’elle pouvait avoir sur eux. D’autre part il était aussi normal ou explicable que cette même personne, qui de par les enfants et de par sa pédagogie pouvait connaître une partie de l’intimité de chaque famille, puisse semer quelque trouble dans cette intimité. Dans presque toutes les affaires auxquelles étaient confrontés des ami-e-s que j’ai été amené à étudier par la suite j’avais constaté que leur origine avait souvent été dans ces faits, parfois la jalousie et le soupçon lorsqu’un des membres du couple passait plus de temps que l’autre avec l’instituteur ou l’institutrice. C’est un point qui n’est jamais abordé dans les formations. Tout notre comportement d’enseignant avec les enfants ou avec leurs familles devrait toujours avoir ceci en tête. C’est en partie pour cela que je n’avais pas voulu habiter dans le village parce que cela aurait été un peu comme si un psychiatre logeait dans le même immeuble que tous ses patients. L’inconvénient avait été qu’il fallait que j’évite de nouer des relations plus privilégiées avec les uns ou les autres, que j’évite le tutoiement tout au moins en public ce qui n’a pas été évident au bout d’un certain nombre d’années dans un village où presque tout le monde se tutoie.

À la fin de la première année, les plus grands sont tous passés au collège et leurs bulletins étaient excellents. À la seconde rentrée, toutes les familles étaient restées à l’école, il y en avait même de nouvelles et c’étaient mes parents d’élèves qui les avaient convaincus ! Moi-même je n’étais plus dans la position à devoir convaincre de la valeur de ma pédagogie ou à être sur la défensive comme à Lantignié : NOUS étions TOUS face à une problématique à résoudre et c’est ainsi qu’en deux ou trois ans NOUS sommes arrivés à ce que j’ai appelé une école du 3ème type sans l’avoir prévu ou voulu. Ce sont les constats qui valident ou invalident les stratégies et les actions et les font évoluer.

En somme nous étions arrivés à constituer une communauté éducative, même les trois maires successifs participaient parfois à nos réunions, venaient parfois passer un moment en classe et questionner. Ce n’était plus mon école, c’était devenu l’école appartenant au village. À Moussac j’ai cessé de croire qu’il y avait des minorités plus progressistes et seules capables de penser et de se remettre en question. J’y ai découvert que finalement tout le monde aspirait naturellement à vivre dans de vraies communautés en y prenant sa part si on en donne à chacun l’occasion, que le vécu donne des raisons de se faire confiance (les constats) et que les différences de situations, d’idées, d’opinions, de conceptions éducatives sont prises comme des apports à respecter et source de discussions et non comme source de conflits. Il est vrai que les enfants sont ce qui touche tout le monde, ils sont bien l’intérêt à la fois individuel et commun qui réunit, c’est à la fois plus facile mais plus délicat. Il est vrai aussi qu’un village et une classe unique sont de petites structures sociales, où chacun se connaît, où il y a de nombreux autres intérêts communs. J’y ai vraiment retrouvé confiance en une humanité et reste toujours perplexe quand aujourd’hui cela parait toujours impossible.

Des parents venaient aussi souvent dans la classe, proposer et animer un atelier, apporter quelque chose qui leur paraissait pouvoir nous intéresser, où venir simplement nous dire bonjour, passer un moment avec nous ou venir y boire un café. Nous n’avions aucun problème pour mobiliser des voitures pour nous emmener quelque part ou à la gare, pour trouver des parents pour nous accompagner dans nos voyages-échanges au bout de la France.

Normalement la classe unique ne devait inscrire les enfants qu’à partir de cinq ans mais j’avais souvent des quatre ans dont l’anniversaire ne tombait que dans l’année suivante  et même des encore plus petits que des mamans déposaient dans leur poussette le temps qu’elles aillent faire leurs courses, les autres enfants étant alors ravis de jouer aux nounous.

 

Bien sûr ce n’était pas toujours un fleuve tranquille coulmant tout seul, cela aurait d’ailleurs été anormal. Une anecdote, l’histoire d’un jambon :

Dans tout village il y a toujours plusieurs pôles ayant des modes de vie, des intérêts différents pouvant être antagonistes : les habitants du bourg et ceux des hameaux, les agriculteurs et les artisans où commerçants, les chasseurs et les non chasseurs, etc. La vie du village tient à l’équilibre et à une certaine tolérance entre ces pôles mais il n’empêche qu’ils peuvent créer des inimitiés ou des incompréhensions.

 Les parents avaient décidé d’organiser chaque année un concours de belote. J’assistais bien sûr à la réunion d’organisation en y intervenant le moins possible considérant qu’il fallait les laisser les maîtres de  ce qui était leur idée et leur affaire. Je participais au concours en tenant la table de marques. Le point crucial était de savoir quoi mettre en premier prix, le mieux c’était encore quand quelqu’un ou une entreprise l’offrait. Lors de la première année c’était la perplexité, lorsqu’une maman annonça « Et bien c’est moi qui offre un jambon ! ». Cette maman habitait dans un hameau, était agricultrice avec son mari et ils étaient assez aisés avec l’élevage des moutons, mais ils étaient considérés comme un peu frustres par les gens du bourg. Manifestement elle jubilait de donner une leçon de générosité aux autres.

L’année suivante même séance, même interrogation. Mais cette fois, sans rappeler et remercier pour le don fait par cette maman l’année précédente, il fut décidé d’acheter… un jambon puisque cela avait été apprécié par les beloteurs. Il aurait d’abord fallu demander à celle qui avait offert le précédent si elle voulait nous vendre le suivant. Élémentaire !  J’avais immédiatement perçu la frustration de la maman qui n’avait même pas eu droit à un remerciement, je sentais qu’il eut fallu que j’intervienne mais décidai d’attendre que quelqu’un du groupe lui-même s’en rende compte, ce que personne n’a fait, et l’achat a été programmé… chez un  autre agriculteur ! Après, c’était trop tard. Ah ! Les choix à faire instantanément sans savoir lequel est le bon.

 En rentrant chez moi je dis à ma compagne qu’il fallait que je m’attende à ce que Mme X enlève ses enfants de l’école parce que j’avais fait le choix de ne pas intervenir. Trois mois plus tard j’ai effectivement eu sa visite et elle m’expliqua que ces enfants n’étaient pas très bien dans la classe unique (ce qui n’était pas le cas) et qu’ils seraient beaucoup mieux à l’école de l’Isle-Jourdain. Il y avait peut-être quelque part le désir d’une vengeance, les petites écoles étant à la merci d’une baisse d’effectifs. Je la surpris en lui disant que si c’était ce qu’elle pensait il valait mieux qu’elle le fasse, que c’était elle la responsable de ses enfants et que je l’aiderai pour qu’ils le prennent le mieux possible. Je savais aussi que lorsqu’une famille prenait un risque dont elle n’était pas très sure de son intérêt, immanquablement elle tentait d’en entraîner d’autres. C’est ainsi qu’avant la fin de l’année j’eus la visite de la maman dont le mari était ouvrier agricole chez cette Mme X. Très ennuyée elle m’expliqua que sa patronne lui avait proposé d’emmener ses enfants à l’Isle-Jourdain avec les siens pour qu’ils n’aient plus à faire les deux km à pieds pour venir dans la classe unique et qu’elle pouvait difficilement le lui refuser bien que ses enfants soient très bien chez nous. Ma dernière année à Moussac, Mme X qui devenue voisine après mon changement de domicile était très étonnée que j’aille régulièrement lui acheter des fromages de chèvre ou des volailles en lui demandant des nouvelles de ses enfants : « Vous ne m’en voulez pas ? ». Elle aussi était confrontée à ses choix.

Elles ont été les seules familles en vingt ans à retirer leurs enfants de l’école. Très souvent ce n’est pas la pédagogie employée qui est la cause réelle des défections. D’autre part la reconnaissance de chaque membre d’une communauté par tous les autres est capitale pour que cette communauté ne se déchire pas. Cela est encore plus difficile lorsque la taille de cette communauté est trop importante comme en ville (mon dada des petites structures !)

Le métier d’instituteur, c’est tout cela, tout ce que j’ai appris ou a été confirmé à Moussac, c’est aussi pour cela qu’il a été passionnant ! Tous les ami-e-s des classes uniques qui y sont resté un peu longtemps y ont aussi été des passionné-e-s.

PS : à Lantignié le problème était différent ; d'une part du fait de la présence de l'école privée, à l'école publique il y avait les "laïcs" qui soutenaient donc inconditionnellement les pratiques de l'école publique, le seul critère étant comme partout à l'époque les résultats au cerificat d'études. D'autre part c'était encore l'époque où les parents ne se mêlaient pas de la pédagogie à l'école, a contrario la difficulté était plutôt de les y intéresser. C'est lorsque l'école privée s'est sabordée et que toutes les familles ont rejoint l'école publique que c'est devenu délicat.

Prochain épisode : Comment une école peut-elle être ouverte en permanence ? - épisodes précédents ou index de 1940-2021 

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