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Le blog de Bernard Collot
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9 mai 2022

1940-2021 (92) Les inspecteurs. Première partie de 1963 à 1976 dans le Beaujolais

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S’il est un personnage de l’école quelque peu ignoré du grand public, c’est bien l’Inspecteur. Même dans la littérature il est rarement le héros d’un roman comme les inspecteurs de police et pourtant il y en a beaucoup que les auteurs se régaleraient de croquer. Heureusement, il y a les caricaturistes et les humoristes.

Par contre, il est la hantise de beaucoup d’enseignants. Bien sûr nous ne le voyions en moyenne que tous les cinq ans, c’est d’ailleurs à cette occasion qu’il pouvait augmenter notre note administrative ce qui permettait, si elle était bonne, d’accéder aux « promotions au choix » qui faisaient grimper plus vite les échelons… et le salaire, sinon vous parcouriez la carrière « à l’ancienneté », ce qui a été mon cas. C’était aussi cette note administrative, si vous vous étiez bien pliés à ses désidératas ou ses marottes, qui vous permettait de devenir conseiller pédagogique ou bien placés pour obtenir un poste de directeur.

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Lorsque sa venue était prévisible, les conseils des collègues ne manquaient pas. Grosso modo, je les résumerais ainsi « Tu fais gaffe à ce que l’emploi du temps et les progressions soient bien affichés, le cahier de présence bien rempli, tes cahiers bien corrigés, etc., bref, ce jour tu t’écrases et une fois passé tu fais ce que tu veux ! ». Au début, on croit à tout ça. À Lantignié, pour le suivi des élèves, en pédagogie Freinet si l’on applique bien les programmes, les connaissances ne s’acquièrent pas forcément dans l’ordre des progressions. Comme d’autres collègues, j’avais fait un immense tableau quadrillé où les enfants allaient colorier en rouge, orange ou vert la case correspondante chaque fois qu’il y avait un acquis. Mais cela prenait un temps fou et puis je n’avais pas besoin de cette bureaucratie pour savoir où en était chaque enfant dans ce qu’il savait et pouvait faire. Avant l’arrivée fatidique, je coloriais au hasard des cases par-ci par-là, cela impressionnait et n’importe qui était bien incapable de vérifier si cela correspondait à une réalité et sur mon rapport j’avais « Mr Collot suit la progression des élèves ».

Si vraiment un inspecteur voulait savoir où en était chaque enfant, ce n’est pas en une heure qu’il pouvait le faire, mais en au moins deux ou trois jours. Pas rentable, il fallait que dans la tournée d’un jour il puisse inspecter au moins trois ou quatre classes ! Autrement dit, ces inspections ne servaient à pas grand-chose d’autre qu’à vérifier le respect des emplois du temps, l’application des directives et instructions officielles, à contrôler que règne l’ordre et la discipline, mais pas le bienfait des pratiques pédagogiques sur les enfants.

J’ai vite appris toutes les ficelles, tout ce qui était carrément des tricheries qui permettent de faire croire que bien sûr on applique toutes les instructions de leurs majestés, la petite heure où ils passent en moyenne tous les cinq ans.

À Lantignié

J’ai eu la visite de deux inspecteurs et d’une inspectrice. Beaucoup d’inspecteurs à cette époque avaient d’abord été instituteurs, puis on comprend que c’est bien plus confortable d’inspecter les collègues et bien mieux payé. Ils n’arrêtaient pas de vous ressortir qu’ils avaient été instituteurs et qu’ils connaissaient la musique, même s’ils n’étaient justement pas restés longtemps instits puisque c’était si bien. Cette inspectrice, elle, avait été prof de lycée et rêvait de devenir prof d’université, la fonction d’inspecteur était sa période de transition pour préparer une thèse. Sa visite avait été assez sympa et s’était transformée en une discussion sur les grandes idées éducatives et ma note avait retrouvé la moyenne correspondant presque à mon échelon.

Il y avait eu aussi l’inspecteur-poète qui devait rêver d’être un sous-préfet aux champs. Il se trimballait toujours avec les brochures de ses poèmes dans sa serviette et les proposait aux instits pendant ses inspections… et certains les lui achetaient dans l’espoir de grappiller un demi-point ! Ce n’était probablement pas du Rimbaud !

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La dernière inspection avant mon départ de Lantignié avait été elle très folklorique et m’avait débarrassé définitivement du comportement infantile que nous avions souvent face à ces représentants de l’autorité. J’avais été inspecté quelques mois auparavant et j’avais eu un rapport normal se terminant par « On peut faire confiance à Mr Collot ». J’ai alors vu débarquer avant la fin de l’année le même inspecteur, mais plus du tout cordial. Entrée sans frapper, à peine un bonjour de loin, une phrase aux enfants « continuez comme avant ! » et il se mit à parcourir la classe, farfouillant dans les bureaux, interrogeant les enfants comme si c’était un examen, etc. Aussi interloqué que les enfants je m’étais assis bras croisés carrément sur la table de mon bureau et assistais sans dire un mot au spectacle. À un moment, il m’adressa la parole en hurlant du fond de la classe où il s’était penché sur une enfant qui faisait une recherche bizarre de math « Est-ce que vous vous rendez compte que cette élève est définitivement fichue pour l’apprentissage des mathématiques ? » Imperturbable, je ne répondis même pas. Pour la petite histoire, ladite élève est devenue par la suite expert-comptable !

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Je me demandais bien ce qui avait pu provoquer cette visite surprise et bien spéciale. C’est lorsqu’il a pris la porte sans que nous ayons échangé quoi que ce soit que j’ai découvert le pot aux roses : « Vous aurez de mes nouvelles et vous devrez changer d’attitude y compris pour votre vie personnelle ! » Ma vie personnelle ? Ah ! J’étais en pleine séparation plutôt houleuse. Quelques jours auparavant, mon ex-épouse lui avait demandé un rendez-vous et moi je croyais que c’était pour des raisons professionnelles ! Je n’ai pas su ce qu’elle avait été y raconter, mais manifestement l’IEN qui était passé dans sa classe avant de venir faire le Zorro dans la mienne venait me mettre à la raison dans ce qui ne le regardait pas et n’avait rien à voir avec l’école ou le village. Résultat : un rapport salé, celui à qui l’on pouvait faire confiance était devenu un incompétent, la même pédagogie Freinet une horreur, note baissée en dessous de la moyenne et un blâme de l’inspecteur d’académie ! Normalement l'incompétence aurait dù se solder par une révocation, mais pour cette sanction, il aurait fallu un conseil de discipline, cela aurait été assez rigolo quant à expliquer la raison d’une inspection surprise.  

Je me suis étonné par la suite de n’avoir pas eu d’émotion particulière pendant cette matinée qui finalement n’avait été qu’un non-événement. Il est vrai que vu son entrée fracassante je ne pouvais avoir d’autre comportement, je pense que j’aurais même dû le flanquer à la porte en lui demander de rentrer plus poliment comme on le fait avec un élève : je n’étais pas encore assez sûr de moi.  L’émotion face à l’autorité c’est bien ce qui vous met en état de faiblesse. Combien d’enseignants et surtout d’enseignantes ont été littéralement détruit-e-s par une inspection.

épisode suivant : les inspecteurs, deuxième partie - épisodes précédents ou index de 1940-2021 

 

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