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Le blog de Bernard Collot
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10 août 2022

1940-2021 (13O) – 1993 – Les suites de Crozon

moratoire

 En septembre je reçus un coup de téléphone de Françoise Œuvrard.

- Sais-tu que le colloque de Crozon a fait quelque bruit au ministère ? Dans les couloirs il court le bruit qu’un moratoire sur la suppression des petites écoles pourrait être prononcé !

 Et effectivement, en octobre 1993 un moratoire est prononcé par le ministre d’alors de l’EN, François Bayrou. Plus aucune petite école ne pourrait être supprimée sans l’accord du maire.

Il faut relativiser ce que nous pensions une victoire parce que les politiciens n’agissent jamais par réelle conviction. Il se trouve que pendant cette période il n’y avait pas que les écoles sous le couperet des suppressions, tous les services publics en milieu rural subissaient la même logique de concentration. Dans cette année 93 il y avait eu une levée de boucliers de tout le milieu rural, en particulier de grandes manifestations à Guéret, un peu le « trou du cul » du monde. Le gouvernement de droite dont l’électorat était en partie le monde paysan avait donc, par prudence et pour arrêter la montée de colère montante, déjà prononcé un moratoire sur la suppression des services publics. Ce n’est qu’après Crozon que le ministre de L’EN, Bayrou, a rajouté les écoles.

Nous nous reposions un peu sur nos lauriers. Or ce n’était qu’un moratoire (l’arme secrète de tous les gouvernements). Et patatras, en 1997 cela a été Ségolène Royal, ministre socialiste, qui l’a supprimé en empaquetant sa mesure du développement des RPI et des habituelles fariboles sur la modernité. Recommencer la lutte telle nous l’avions faite devenait difficile lorsque « la mayonnaise était retombée ! ». Et puis la plupart des anciens combattants du début étaient comme moi à la retraite ou les autres étaient passés à autre chose. D’autre part, toujours à la suite de Crozon, un autre événement a fragilisé la lutte et fait abandonner par la fédération de l’école rurale ce que nous mettions en avant : « école rurale, école nouvelle » : la fédération pensait qu’il ne fallait pas que les écoles rurales restées assez traditionnelles se sentent exclues. Elle a probablement eu tort parce que c’était peut-être ce qui avait fait dresser l’oreille à beaucoup. Mais ce n’est que mon avis ! Passé à la retraite, j'avais plus ou moins décroché.

Les suites du colloque de Crozon : scission de la Fédération.

Si jusqu’à Crozon la FNDPER qui ne représentait qu’une toute petite minorité d’électeurs n’inquiétait pas trop les pouvoirs et intéressait peu les partis politiques, le succès médiatique du colloque lui donna une autre dimension. Pendant cette période de grogne contre la diminution des services publics, elle devenait un enjeu peut-être à ne pas négliger et méritait alors d’être… surveillée si ce n’est contrôlée ou noyautée.

En octobre devait avoir lieu la première assemblée générale ordinaire de la Fédération, avec la réélection statuaire du bureau et du président. Jean Milési, le président et Pierre Rémy la fixèrent à Gap, un samedi, sans avoir consulté personne. Gap était le fief de Patrick Ollier, député-maire et homme politique de droite, mari de Michelle Alliot-Marie, ministre de la Défense. Bizarrement il était l’invité officiel de l’AG. Un samedi en période scolaire, impossible pour nous d’obtenir une autorisation d’absence pour rejoindre Gap. Nous flairâmes l’entourloupe avec la propulsion de Patrick Ollier et de la droite dans la FNDPER. Un seul d’entre nous avait réussi à avoir une autorisation d’absence. Il se rendit à Gap chargé de toutes nos procurations et, vu l’absence forcée d’un grand nombre d’adhérents en particulier des premiers fondateurs, demanda que l’élection soit reportée à une AG extraordinaire, ce qu’il obtint.

En novembre, nous voilà donc tous à Paris, nous nous étions donné le mot pour être les plus nombreux. Tranquilles, Milési, Pierre Rémi et Lionel Paillardin en remplacement de Jean-Michel au poste de secrétaire, annoncèrent qu’ils désiraient poursuivre leurs mandats. Leur position idéologique était très très loin d’une école rurale nouvelle. Mais cette fois nous avions préparé notre coup et nous leur opposâmes une liste avec Yves-Jean, le maire universitaire de notre première association dans la Vienne, comme président, Michel Baron comme secrétaire et Jean-Michel Calvi comme trésorier et le vote, cette fois démocratique, les porta au bureau de la Fédération.

Leur surprise fut immense, en particulier pour Pierre Rémi l’énarque horriblement vexé de s’être fait berner par une bande d’ignares en politique. Ils quittèrent donc cette fédération « aux mains de révolutionnaires Freinet » comme le fustigeait Paillardin et créèrent de leur côté une autre organisation « écoles et territoires »… cette fois avec les moyens des élus de montagne et Lionel à sa tête.

Plus question d’école rurale nouvelle pour cette autre fédération. Toutefois c’est surtout au niveau juridique qu’elle a mené la lutte en aidant ou provoquant un grand nombre de recours au tribunal administratif contre les fermetures. Nombreux de ces recours ont été gagnés, mais l’Éducation nationale est un État dans l’État et chaque fois, d’appel en appel pouvant durer plusieurs années, lorsqu’elle était assignée à appliquer les décisions du tribunal et de rouvrir des écoles il y avait bien longtemps qu’elles étaient vides et les familles habituées à envoyer leurs enfants au chef-lieu. C’est toujours le cas aujourd’hui et ce n’est d’ailleurs pas seulement en ce qui concerne les fermetures d’écoles que l’Éducation nationale s’assoit sur les décisions des tribunaux. [1]

La FNDPER a pu continuer à maintenir sa ligne de défense et de promotion pour une école rurale nouvelle jusqu’au colloque d’Autrans en 1995, puis elle a supprimé la défense et la promotion de son sigle pour devenir seulement Fédération de l’école rurale (FNER) et cela a été le début de son déclin. J’ai déjà souligné que l’école rurale soit une école nouvelle ne faisait pas l’unanimité, pour rassembler large il semblait judicieux de supprimer ce qui n’avait été pour beaucoup qu’un slogan. Cependant la FNER supprimait justement ainsi ce qui avait fait que nous intriguions et intéressions bon nombre de parents, voire d’autres du milieu urbain. L’actualité semble bien le confirmer.


[1] Du fait du développement des communautés de communes, les écoles ont cessé d’être les écoles communales de leur origine (chaque commune était dans l’obligation d’avoir son école), la compétence scolaire revenant à la communauté de communes. En 2016, dans plusieurs départements l’Éducation nationale lance une autre opération pour accélérer encore la disparition des petites écoles : « L'académie s’engage à maintenir, pendant trois ans, le nombre de postes d’enseignants dans le département qui perd des élèves sous réserve que des regroupements d’écoles s’opèrent au sein des communes ou en intercommunalités. L’objectif est d’éviter les classes multiniveaux et les très petits effectifs qui ne permettent ni émulation, ni le fonctionnement efficace des équipes pédagogiques ». Bien sûr et comme toujours il y a avant un semblant de consultation où ni les maires ni les parents d’élèves des petites communes n’ont voix au chapitre.

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