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Le blog de Bernard Collot
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16 août 2022

1940-2021 (132) - 1993, l’aventure de la revue « école rurale, école nouvelle »

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Lors du colloque de Crozon nous avions collationné les coordonnées de plus de 300 personnes désirant être tenues informées des suites, des prolongements du colloque, de ce qui se passait. Nous savions par expérience que pour maintenir une dynamique il faut que tous les participants soient tenus informés, puissent contribuer à cette information et puissent la transmettre à d’autres pour que le mouvement s’étende. J’avais l’habitude et produisis rapidement un premier « quatre pages » transmis à ces trois cents en trichant au maximum avec la franchise postale pour tous les enseignants.

Mais tant qu’à envoyer deux pages, pourquoi ne pas faire une vraie revue ? Nous avions déjà 300 adresses pouvant potentiellement devenir des abonnés. L’alimenter ne posait pas de problèmes, toute la bande des CREPSC étant d’accord pour y écrire, transmettre… Oui, mais cela changeait de dimension ; puisque dans la Vienne nous étions une bonne équipe, tous proches des uns et des autres, cela a été nous qui nous y sommes coltinés.

Le problème c’est que pour l’imprimer nous ne pouvions plus utiliser les photocopieuses à gauche et à droite comme il avait été fait jusqu’alors. À Montmorillon il y avait un imprimeur sympa (il m’avait donné à mon arrivée à Moussac quelques casses de polices de caractères), il était prêt à devenir notre imprimeur pour pas cher, à condition que ce soient nous qui lui fournissions un prêt à clicher sur transparents (il n’y avait pas encore l’impression directe des fichiers numériques). Pas question de le faire avec nos imprimantes à jet d’encre insuffisamment précises. Avec les premiers abonnements, nous commencions à avoir quelques sous, nous avons donc acheté une petite imprimante laser, le premier investissement des CREPSC.

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Nous nous sommes alors réparti le travail. Je faisais office de secrétaire de rédaction, collationnant les infos, les articles que les copains et copines envoyaient ; j’en faisais une prémaquette. Puis René Bouzier (*), l’instituteur du village voisin qui était artiste, guitariste, passionné aussi d’informatique, faisait les mises en pages, réalisait la maquette et le transparent prêt à clicher. Lorsque René a trouvé qu’au moins pour la première page ce serait mieux s’il y avait deux couleurs, il fallait alors qu’il fasse deux transparents pour la même page !

Une fois le retour des exemplaires de chez l’imprimeur, il fallait être nombreux pour l’agrafage, la mise sous enveloppe, le collage des étiquettes d’adresses.

revue_1_1C’était chez René que nous nous retrouvions toute une bande et la soirée était très longue : le Ricard pour commencer (il ne fallait pas parler de pastis à René !), le casse-croute pour finir et beaucoup de rigolades. Le lendemain c’était l’expédition. Il fallait partager l’expédition entre plusieurs bureaux de poste parce que, comme le plus grand nombre était envoyé dans les écoles abonnées avec la franchise postale à laquelle nous n’avions pas droit, il fallait éviter qu’un receveur se mette à trop chercher les détails du décret qui instituait la franchise postale entre fonctionnaires, mais seulement entre les directions administratives et la base, pas entre les fonctionnaires des écoles.

Et cela a fini par arriver ! 1994, la franchise postale est supprimée pour toutes les administrations ! Impossible d’affranchir nos quelques trois à quatre cents envois au tarif normal. Mais comment font donc les journaux, les périodiques ? Pardi, ils bénéficient de ce qu’on appelle le routage de la presse. Comment arriver à obtenir ce routage ?

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À Crozon j’avais rencontré Claire Lelièvre et Sylvie Le Calvez, les fondatrices du luxueux magazine « Villages ». Claire était abonnée à notre revue. Et c’est elle qui m’a guidé. D’abord il fallait être inscrit et avoir un numéro à la commission paritaire de la presse. Si notre revue paraissait bien être dans les clous des magazines d’intérêt général, par contre il fallait envoyer tout un tas de documents prouvant que nous avions tant d’abonnés, etc. Heureusement Jean-Michel Calvi, notre trésorier, était un habile homme. Il a fallu que nous fassions un vrai livre de comptes, de vrais budgets, etc., que les documents envoyés paraissent authentiques… alors qu’aucun de nos chiffres ne correspondait à la réalité. Nous avons pris le risque… et cela a passé[1].

La seconde étape était d’obtenir le fameux routage. Là encore il a fallu truquer en particulier sur le nombre d’abonnés : normalement le receveur du bureau de poste où était fait le dépôt devait chaque fois vérifier si le nombre d’exemplaires correspondait au minimum requis, ce qui était très loin de notre cas. Mais le receveur de la poste de Persac était parent dans l’école de René. Il a triché à son tour !

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La revue avait été déclarée sous le titre « école rurale, école nouvelle, communautés nouvelles », mais à l’époque encore le terme « communautés » était souvent connoté à des groupes hippies ou des sectes. Nous avons donc minimisé les communautés, puis nous l’avons sur-titrée Marelle en raison d’une autre aventure des CREPSC.

En 1995, notre imprimeur est parti à la retraite. C’est une ONG basée à Poitiers qui a pris la relève. Ce n’était pas plus cher, l’avantage a même été qu’il suffisait de lui apporter le fichier de la maquette et de retourner chercher les exemplaires déjà agrafés. Il n’y avait plus qu’à faire à Persac la mise sous pli et l’adressage … et à boire un Ricard !

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Puis en 1996 je suis parti à la retraite et suis allé habiter à Nevers pour suivre ma compagne. Cela devenait très compliqué pour me déplacer régulièrement chez René et puis il commençait à y avoir une certaine lassitude chez tous. Nous avons trouvé une nouvelle solution : cette fois, cela a été Nicolas Faure (**), un copain instit à Poitiers, se formant à je ne sais plus quelle PAO de professionnel, qui a pris la relève, l’impression numérique étant à nouveau chez un imprimeur. Il avait un ami Luc Turlan (***), instit lui aussi, très bon dessinateur humoristique. La revue devenait encore plus professionnelle. Mais d’une part j’avais de plus en plus de mal à obtenir des articles des copains des CREPSC qui étaient tombés en sommeil après le choc dont j’ai parlé, d’autre part le nombre d’abonnés ne décollait pas. Nous avions cru qu’avec simplement le bouche-à-oreille ce nombre allait augmenter jusqu’au point où nous aurions pu embaucher quelqu’un. Évidemment ce n’est pas comme cela que ça se passe dans une société dite de la communication. J’ai fait le dernier numéro pratiquement seul en juin 1998 à l’occasion des 40 ans de mai 68.

Nous avions aussi fait de petites brochures de façon artisanale à la photocopieuse. Pas plus de succès ! Christian Drevet arrivait à en vendre deux ou trois en tenant un stand dans les rencontres Freinet, mais cela n’a pas été plus loin. Comme commerçants nous étions nuls, mais peut-être que nos « produits » ne valaient pas grand-chose !

Tout cela me prenait beaucoup de temps, il fallait quand même que je m’occupe de ma classe et de quelques autres choses. Christian Drevet, instit à Longechenal, faisait partie d’un microscopique syndicat, le PAS (Pour une Alternative Syndicale). Mais même minuscule, le PAS avait droit à une demi-mise à disposition. Conformément à la philosophie du PAS, il n’était pas question qu’un syndicaliste bénéficie de plus de temps que tous les autres et il fut décidé que cette mise à disposition soit offerte à quelqu’un qui en aurait besoin pour une autre cause à défendre. Et c’est comme cela que la dernière année à Moussac j’ai disposé d’un mi-temps syndical alors que je n’étais syndiqué nulle part ! C’est pour cela aussi, et pour rien d’autres, que dans tous les épisodes de ces années j’y apparais beaucoup plus que les copains.

Nous avons tous aimé cette aventure. Cela n’a pas fait avancer notre lutte, mais cela avait fait chauffer nos neurones et beaucoup avancer notre réflexion.

[1] Chaque exemplaire de notre revue se trouve ainsi conservé à la Bibliothèque nationale !

Prochain épisode : suite au colloque de Crozon, les arbres de connaissance. épisodes précédents ou index de 1940-2021 – La lutte pour l’école rurale - tous les épisodes  sur l’école et l’éducation

 (*) René Bouzier

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René a été et est toujours un véritable ami. Passionné d’informatique et de musique il était l’instituteur des CE-CM d’un RPI à Persac et faisait partie du réseau d’écoles rurales de la Vienne. Avec Lalou son copain plombier sachant tout faire, il avait aménagé les salles de son école de façon beaucoup moins bricolées que je l’avais fait à Moussac. Dans la première il y avait un vrai coin bibliothèque-détente isolé, avec banquettes, plantes vertes et sonorisation pour y écouter de la musique ainsi qu’un autre coin bien séparé pour les ordinateurs. Dans le couloir séparant les deux salles, c’était un véritable petit studio d’enregistrement. Dans la seconde salle ils avaient concocté et fabriqué un aménagement dont devraient s’inspirer les architectes qui conçoivent les locaux scolaires : ils avaient fabriqué des sortes de demi-cloisons mobiles en bois pouvant s’articuler les unes aux autres et dont la partie supérieure était ajourée en croisillons pour que l’adulte puisse y jeter un coup d’œil sans déranger les enfants qui s’y afféraient. Ainsi il pouvait suivant les besoins créer soit deux, soit quatre espaces séparés par une sorte de couloir, soit organiser un espace central communiquant avec les autres espaces, chacun étant affecté à une activité plus spécifique avec son matériel. De plus il avait utilisé une dernière salle, autrefois débarras, en un véritable laboratoire et atelier où les enfants pouvaient venir faire leurs expériences, leurs bricolages, avec un matériel qu’auraient pu envier des adultes.

Et puis, les effectifs s’accroissant, l’école a été transformée en maternelle et sa classe installée dans un bâtiment neuf sur la place en face, certes « moderne » mais où tu ne peux plus rien aménager selon les besoins, et les besoins du scolaire de l’Éducation nationale, tout le monde sait ce que c’est.

J’étais souvent fourré chez lui où les soirs c’était presque comme dans les salons de Madame de Récamier ou de Madame de Staël où se refaisait le monde… mais avec quelques Ricards et toute la faune atypique des environs !

Lorsqu’avec sa compagne Sylvie ils ont dû quitter le logement de fonction de l’école, toujours avec son copain Lalou ils avaient complètement retapé et aménagé une maison dans un hameau de Persac en bord de Vienne. Ce n’était plus un salon à la Récamier mais quasiment une résidence d’artistes et autres changeurs de monde. Chaque fois que je suis retourné ou été de passage dans la région, c’est là que j’allais me… régénérer.

Depuis qu’il est à la retraite, il a acheté une très vieille maison, anciennement boutique d’un artisan matelassier au centre de l’Isle-Jourdain, qu’il a transformé en conservant tout le cachet de la vieille bâtisse avec l’aide d’une association qu’il avait créé pour se faire, où, en plus d’une épicerie de produits locaux et bio, il peut y avoir expositions, rencontres culturelles, conférences, scène ouverte, dédicaces, dépôt-vente d’œuvres d’artistes locaux, salle à manger d’une cinquantaine de places ouverte au public… C’est devenu le lieu incontournable de L’Isle-Jourdain … et même de la région !   

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(**) Nicolas Faure  ENRA Anne Franck à Poitiers. 

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(***) Luc Turlan  a, entre autres, illustré La sorcière de Bouquinville de Régine Desforges. En 2011 il a quitté définitivement l’enseignement. Il dessine et écrit des albums pour la jeunesse, des bandes dessinées, affiches…

 

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