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Le blog de Bernard Collot
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3 septembre 2022

1940-2021 (139) – 1993 à 1997 En route pour le Portugal

Portugal, Rui d’Espiney

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Cela avait commencé en 1993 après le colloque de Crozon. Un jour je reçus un courrier d’un Portugais, un certain Rui d’Espiney (1). Celui-ci m’invitait à intervenir au Portugal lors de trois journées dans le Parc naturel du Gérès et consacrées à la défense des petites écoles isolées. Ces journées étaient organisées par l’ICE (Instituto de Comunidades Educativas)

Le Portugal était encore sous l’influence de leur Révolution des œillets. Toutes les communes, quelles que soient leurs tailles, avaient encore une très large autonomie. Cependant comme chez nous la tendance était à la concentration des petites écoles. ICE voulait enrayer cette tendance et convaincre maires, parents et enseignants de l’importance de ces petites écoles pour les enfants et les villages. C’étaient toutes ces petites communes qui finançaient ces trois jours.

Aller au Portugal alors que pour moi rien que d’aller à Paris c’était toute une histoire ? Et encore, au moins à Paris on parlait français ! De surcroît, prendre pour la première fois l’avion ! J’ai beaucoup hésité, mais encouragé par les amis je me décidai : « Tu verras, au Portugal tout le monde parle français ! », comme si tout Portugais avait une sœur ou une tante qui était montée faire la bonne à tout faire d’une famille bourgeoise parisienne !

Michel Authier que j’avais rencontré à Poitiers la veille de mon départ m’avait expliqué dans tous les détails le parcours que je devais suivre à Orly pour embarquer, il m’avait même expliqué que pour éviter les oreilles bouchées dans l’avion il fallait bâiller fortement, qu’il valait mieux ne pas être enrhumé et m’avait conseillé de prendre du fervex avant (on verra par la suite que ce détail du rhume a eu de l’importance !). Et puis « À l’aéroport, tu n’auras qu’à suivre les panneaux affichés partout ! » À Orly, oui, mais débarquant à Porto, les panneaux sont en portugais ou en anglais ! Bon, pour récupérer ma valise j’ai suivi la masse des voyageurs qui devait forcément me conduire jusqu’au tapis roulant.

Je réussis à sortir de l’aéroport, à partir de là tout devait être facile, Rui m’avait écrit tout ce que je devais faire : prendre un taxi qui devait m’emmener à telle gare, prendre tel train à telle heure, descendre à telle gare, et à partir de là on devait m’attendre et me conduire là où il fallait. Je montai donc dans le premier taxi de la file et en route. J’expliquai au chauffeur où il devait m’emmener, il ne parlait pas un mot de français ! Il essaya en anglais, cette fois c’était moi qui ne comprenais rien ! Normalement il lui aurait suffi de me conduire là où je l’avais écrit sur un papier, mais les Portugais sont vraiment des personnes incroyables. Je voyais bien qu’il avait saisi, y compris le nom de la gare où je devais descendre, mais par signes il me fit comprendre que ce n’était absolument pas la bonne solution, qu’il avait bien mieux et plus facile à me proposer. J’avais beau essayer de lui faire comprendre qu’après ma descente du train je devais me confier à des personnes que je ne connaissais pas sans savoir où devait être mon point de chute final, sans aucune adresse ou numéro de téléphone à contacter, rien à faire et je voyais l’heure du train passée ! En désespoir de cause, je lui fis un OK et me demandai bien ce qui allait se passer.

 Au lieu d’aller à la gare, mon chauffeur me débarqua d’abord… chez lui, dans sa famille dans la banlieue de Porto, parce que sa sœur parlait couramment le français. Accueilli comme si j’avais été un ami de la famille, sa sœur m’expliqua qu’il ne fallait pas que je me tracasse, qu’elle allait se débrouiller pour que j’arrive à bon port et en attendant je fus convié à prendre un repas portugais plantureux entouré de toute la marmaille familiale volubile. Je n’ai pas su comment elle avait pu se débrouiller pour, en ne sachant que le nom de l’événement auquel je devais participer, arriver à contacter la bonne personne et à lui expliquer qu’elle n’avait plus à aller me chercher à la gare.

Je repartis donc avec mon chauffeur sur les petites routes sinueuses en direction du Parc du Gérès, au passage je découvris la conduite portugaise : il est bien plus facile de couper un virage sur la gauche et si une voiture surgit en face, pas de problème, on klaxonne et elle fait la même chose ! J’ai fini par rouvrir les yeux, après tout il n’y avait pas de raison qu’un accident arrive parce que c’était moi le passager ! Et le voyage en vaut la peine, pour le paysage et quand tu croises sur le bord de la route de vieilles femmes un paquet de fagots sur la tête, comme si là-bas le temps s’était arrêté. C’est vrai qu’au Portugal les taxis n’étaient pas chers pour nous les Français, mais quand même je ne fus pas très fier lorsque j’ai dû l’expliquer à Rui en lui montrant la note.

L’hôtel où j’étais hébergé était entièrement occupé par les participants aux trois jours, et il y en avait qui parlaient français, ouf ! Rui d’Espiney n’était pas là, mais ils m’expliquèrent que le lendemain matin des cars devaient venir prendre tout le monde, que je n’avais plus à m’en faire. Le lendemain matin, après le petit déjeuner et le café, en route pour le lieu. Installations magnifiques, une vraie salle de conférences, des expositions d’enfants un peu partout. Je rencontrai enfin Rui qui m’expliqua à quelle heure devait commencer la journée, à quelle heure ce serait mon tour et que mon intervention était importante pour eux parce qu’il allait l’envoyer aux autorités de leur Éducation nationale pour montrer que le problème des petites écoles était aussi celui de l’étranger.

En attendant les 10 heures fatidiques, je me promenai donc dans les salles, puis vers 10 heures m’installai dans la salle où il y avait déjà quelques personnes sur les 300 qui devaient venir s’y installer. 10 heures passent… et j’étais seul ! Ça alors ! J’avais dû mal comprendre où tout devait se passer parce que tout le lieu s’était vidé. Très perplexe et un peu inquiet je partis errer dans le village où il devait bien avoir quelque chose, lorsque dans un bistrot je repérai quelques-uns de ceux que j’avais vus à l’hôtel. Ouf ! Et ils m’expliquèrent qu’avant toute chose il fallait qu’ils boivent un vrai café, parce que celui de l’hôtel était indigne de ce nom. Je découvrais ce qu’était la notion du temps au Portugal ainsi que l’importance du petit café du matin. Cette notion du temps là-bas était étonnante : le temps ce n’était pas celui que des horaires t’imposent, mais le temps dont tu avais besoin, le temps que tu prenais. Chez nous, lorsqu’arrivait midi, dans tous les colloques ou autres grandes réunions, l’organisateur te disait : « Il faut nous arrêter parce que le restaurateur nous attend. »  Là-bas, pas du tout. Les interventions prévues ne se sont finies que vers 15 heures, les 300 personnes se sont rendues au restaurant prévu, reçues avec la même gentillesse sans que cela n’ait semblé déranger personne. Une fois habitué, c’est finalement un vrai plaisir et j’ai beaucoup aimé cela chaque fois qu’ensuite je suis retourné au Portugal.

Cette fois, arrivé le moment où je devais plancher, tout aurait dû bien se passer. Sauf… sauf qu’un détail est venu fortement me perturber. Depuis que j’étais descendu de l’avion j’avais le nez qui coulait en permanence. J’en étais encore à avoir dans ma poche le grand mouchoir à carreaux qu’on appelait d’ailleurs un crasseux. Et crasseux, il l’était devenu, quelque peu dégoulinant et nauséabond. Le cauchemar lorsque le conférencier, soi-disant le plus important, n’ose plus le sortir pour essuyer sa morve au nez et imagine tous les regards horrifiés ou rigolards du public. Bonjour ton image ! Je suis quand même arrivé tant bien que mal à terminer la lecture du discours préparé, ce qui n’avait d’ailleurs pas trop d’importance puisqu’une grande partie de l’assistance ne comprenait pas le français et que c’était surtout le texte qui devait servir. Dès que nous sommes sortis, je partis dans le village et je ne vous dis pas le soulagement quand dans une sorte de supérette je trouvai… des kleenex ! J’ai apprécié le modernisme et ne me suis plus jamais servi d’un mouchoir en tissu.

 

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Une autre anecdote qui explique pourquoi j’aurais bien aimé finir mes jours dans ce pays. Un après-midi était consacré à la détente et des cars avaient emmené tout le monde dans une visite de l’étonnant Parc du Gérés, aux paysages sublimes, mais semblant aussi être d’un autre temps comme par exemple ces greniers à grains en plein air datant du temps des Romains et dont quelques-uns étaient toujours utilisés. Le Géres était très peu fréquenté par les touristes qui préféraient les plages et le coût de la vie là-bas qui avec l’Espagne en faisaient la destination préférée des Français. À un moment les cars s’étaient arrêtés dans un petit village pour une petite demi-heure, le temps que tout le monde aille se dégourdir les jambes. Tout le monde s’était à nouveau installé dans les cars, mais ceux-ci ne partaient pas. Cela avait l’air normal, personne ne semblait s’inquiéter, ça somnolait ou discutait, mais quand même au bout d’une demi-heure j’étais un peu intrigué :

- Qu’est-ce qui se passe ?

- Ce n’est rien, il manque seulement quelqu’un. Il va bien finir par arriver.

Finalement, le quelqu’un est bien arrivé. Il était allé chercher des cigarettes, avait flâné et s’était un peu perdu dans le village. Lorsqu’il est revenu, il n’y a eu que des rires et des plaisanteries. Vous imaginez chez nous !

Dans le même après-midi, nouvel arrêt le soir dans un restaurant situé au sommet d’une route sinueuse. À la descente des cars s’engagea alors sur la route une improvisation joyeuse et traditionnelle entre ceux du Sud et ceux du Nord. Dans chaque camp quelqu’un commence à entonner une phrase sur un air folklorique, un autre de l’autre camp doit immédiatement lui répondre par une autre phrase sur le même air, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’un des camps reste muet. Et cela durait, durait, les Portugais sont vraiment créatifs. Et dans les lacets de la route, je voyais s’agrandir la file des voitures qui ne pouvaient plus passer. Non seulement pas un coup de klaxon, mais les passagers descendaient assister au match !

Le Portugal, un pays aux gens merveilleux.

J’y ai à nouveau été invité l’année suivante, mais cette fois j’étais en pays de connaissance… et j’avais un stock de mouchoirs en papier.

Tout ceci était bien dans le cadre de la défense des classes uniques, ce n’était pas du tourisme. Et cela a bien abouti à quelque chose qui s’est formalisé, justement au colloque d’Autrans.

La suite : prochain épisode.

(1) Rui d’Espiney. 

Rui était un personnage exceptionnel.

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Il avait débuté comme instituteur dans un petit village du sud du Portugal. Combattant de toutes les dominations, ayant une notion allant jusqu’à l’intransigeance de la liberté, très rapidement il était rentré dans la lutte contre le régime de Salazar. Il avait été ainsi emprisonné et torturé dans les geôles du dictateur ainsi que son épouse. Il n’en avait été libéré qu’au moment de la Révolution des Œillets. À sa sortie de prison, lorsqu’il voulut rejoindre son épouse, il apprenait que celle-ci venait de décéder des suites de son emprisonnement. Il était bien perçu au Portugal comme un des héros de la révolution.

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Il était un fumeur invétéré, allumant clope sur clope. Lorsque Air France a été la première compagnie aérienne à interdire les fumeurs pendant les vols, il n’a plus jamais voulu prendre ses avions, non pas parce qu’il n’aurait pas pu se priver de fumer pendant un voyage pour ne pas gêner les autres, mais parce qu’il lui était intolérable que qui que ce soit lui dicte ce qu’il devait faire pour son bien et celui des autres.

Il avait une autre particularité : il était célèbre dans son entourage pour ne vouloir boire que des cafés… bien serrés. Mais serrés à sa façon comme n’étaient même pas les cafés portugais et il n’y avait parait-il qu’un seul garçon de café de Sétubal qui pouvait les lui faire. Rui avait beaucoup d’humour. Il me raconta qu’un jour où il était en réunion dans un pays d’Europe centrale, il avait demandé « un café bien serré » à un garçon de café d’origine orientale en lui expliquant ce qu’il entendait par café bien serré et en concluant que de toute façon celui-ci ne pouvait pas comprendre. Le garçon, très attentif, à chaque précision hochait poliment de la tête. Lorsqu’il revint imperturbable avec la tasse, au fond il y avait… un grain de café : « Désolé, je n’ai pas pu faire plus serré ! » dit-il à Rui dans un portugais presque sans accent.

Rui parlait parfaitement le français parce qu’il avait fait des études en France et parlait aussi plusieurs autres langues.

Il avait donc créé ICE dans le début des années 90. ICE fédérait aussi des communes, des associations portugaises comme « In loco » créé par un médecin, Alberto Melo, qui voulait que les habitants des communes se réapproprient leur santé. Ses champs d’action ne concernaient pas que les écoles, mais de multiples champs où il fallait que les opprimés se défendent, comme par exemple les gitans des quartiers de Lisbonne où l’État les avait installés pour les sédentariser. Se méfiant de toute prise de pouvoirs, il avait conçu des statuts de plus de quarante pages, il me les avait envoyés et c’était surprenant de les comparer avec la seule page qu’occupaient les statuts des CREPSC, avec le même but d’empêcher toute prise de pouvoirs. Mais nous n’étions que tout petits à côté d’ICE.

Rui est décédé en 2016. Lorsque Mirna Montenegro sa fidèle et principale collaboratrice m’a appris la nouvelle, j’ai vraiment été très triste. Il a été un des très grands personnages que les classes uniques m'ont fait rencontrer.

"De loin à près" et de "obstacle à l'appel" nous faisons "parcours de chemin" sur les sentiers et sentiers de la Citoyenneté participative, qui "couloirs de liberté", dans les territoires périphériques et / ou désertifiés, "à la recherche des points lumineux".
« Donnez de l'espace à l'endroit, du temps à son affirmation, du pouvoir à votre pouvoir, »
"Quand la famille part en sortie, il faut fixer le rythme pour ce qui est derrière" et "Changer de chemin"...
"Prenez le pied qui est plus loin ou la main qui est plus loin, pour aider à mettre au monde un enfant (ou un projet communautaire)"

Prochain épisode : création d'ADELE, association européenne de défense d'une éducation de proximité - épisodes précédents ou index de 1940-2021 – La lutte pour l’école ruraletous les épisodes  sur l’école et l’éducation

 

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